"François Dubet : « Recruter les profs à bac+5, c’est une erreur »" (Rue89)

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21 Jui 2014 12:10 #10998 par Loys
Dans "Rue89" du 18/06/14 ce long entretien : "François Dubet : « Recruter les profs à bac+5, c’est une erreur »"

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18 Fév 2016 22:21 - 19 Fév 2016 17:24 #15936 par Loys

François Dubet. Avec un chômage de 25 %, une telle profession dans la fonction publique devrait attirer. Ce n’est plus le cas et c’est une énigme. Elle est mal payée, c’est vrai, mais ce n’est pas nouveau  : dès les années 60, on disait déjà que les profs étaient mal payés, ils l’étaient moins que les policiers, par exemple.

Relativisme qui permet de ne pas poser la question des salaires : le MEN peut remercier M. Dubet. Les écarts sont pourtant criants avec les autres pays.

Aujourd’hui, un ménage de jeunes enseignants, avec deux salaires et avec une sécurité de l’emploi totale, ne démarre pas dans la vie dans les pires conditions. Dans les pays dont les écoles sont considérées comme excellentes, comme la Suède, la Norvège ou la Finlande, les salaires des professeurs ne sont pas considérablement supérieurs à ce qu’ils sont en France.

Le relativisme continue : entrons donc dans les chiffres de cet eldorado pédagogique qu'est la Finlande.
Après quinze ans d’exercice le salaire horaire est supérieur en Finlande de 60% dans le primaire et de 40% dans le premier cycle de secondaire (RSE 2014). Pour l'évolution les salaires finlandais ont été revalorisés de 16% dans le primaire et de 8% dans le premier cycle du secondaire entre 2000 et 2011 : en France, sur la même période, ils ont baissé de 10%. Ajoutons que l’entrée dans le métier est moins douloureuse : les enseignants du secondaire ne sont pas affectés dans des académies lointaines : en effet, les principales zones métropolitaines finlandaises sont concentrées sur une centaine de kilomètres autour d’Helsinki, sur la côte méridionale.
Mythologie vertigineuse, pour le reste, d'un "expert" qui ne connaît pas ce dont il parle : dans PISA 2012, la Norvège et la Suède ont de moins bons résultats... que la France ! La Suède a même subi la plus belle dégradation de résultats dans PISA (-6% en 12 ans)... Des "écoles excellentes", donc.

Mon sentiment, c’est donc que le salaire n’est pas fondamental dans l’explication de la désaffection que nous constatons aujourd’hui.

Ce n'est pas du sentiment de M. Dubet que nous avons besoin, mais de chiffres.

Il y a pourtant eu une paupérisation. Autrefois, en France, l’instituteur étaient un notable. Son train de vie était plus confortable.
Pas tant que cela. C’était un notable, mais son salaire n’était pas considérable.
Il était mieux payé qu’un plombier...
Oui, si l’on prend le fameux cas du plombier. Mais l’enseignant ne gagnait pas tellement plus que l’ouvrier très qualifié, par exemple. Les profs n’ont jamais été bien payés, mais la profession avait un prestige indiscutable.

Toujours le même relativisme, en forme de déni.

Dans un monde du travail bien plus dur qu’il ne l’est aujourd’hui – avec un chômage qui vous plongeait dans la misère, des accidents de travail... –, cette profession, même mal rémunérée, vous donnait un prestige social et une forte stabilité de l’emploi.

Le régime d'assurance chômage date quand même de 1958.

Mais les profs vivaient modestement, même si certains avaient un logement de fonction.

Qu'ils n'ont plus. :santa:

Si on augmentait le salaire des enseignants de 20 %, je ne suis pas sûr qu’on améliorerait considérablement le recrutement. D’ailleurs, regardez  : un maître de conf’ de fac est payé autant qu’un prof de lycée. Or, des centaines de candidats se présentent quand vous ouvrez un poste à la fac.

C'est vrai que ce sont des métiers tout à fait comparables. Il fallait oser ! :santa:
De fait, la comparaison vaut éventuellement avec la minorité des agrégés... qui ne font pas défaut aux concours. CQFD.

Dans l’Education nationale, les enjeux symboliques sont toujours plus importants que les enjeux matériels.
Les deux peuvent se rejoindre  : si les profs étaient mieux payés, le regard de la société sur eux changerait...
Possible, mais ce n’est pas un facteur décisif.

Ce "possible" est dénié quelques phrases auparavant.

Si le niveau de vie n’est pas une des explications importantes de cette crise du recrutement, quelles sont-elles  ?
Il y en a deux. D’une part, un problème d’image. L’image, c’est celle d’un métier difficile. Celle d’un enseignant qui souffre, face à des élèves qui ne veulent pas apprendre, à des parents d’élèves qui l’enquiquinent, à une administration qui lui gâche la vie...

Une image évidemment tout à fait artificielle...

Le discours que produisent les enseignants sur eux-mêmes est celui de la plainte. Autrefois, c’était un discours sur la grandeur de la profession, le plaisir d’enseigner, de faire la classe... Il y avait une mise en scène positive, une représentation du métier qui pouvait donner envie de l’exercer.

On ne peut pas avoir la vocation et se plaindre de la dégradation du métier. Curieux raisonnement.

Aujourd’hui, quand les enseignants parlent d’eux-mêmes collectivement, c’est pour dire  : « Nous souffrons, nous ne sommes pas reconnus, nous sommes méprisés, nous avons un métier de chien, c’est extrêmement difficile, nous sommes soumis à la violence »...

En tout cas, François Dubet contribue utilement à dévaloriser les enseignants, ces geigneurs.

L’image qui s’est répandue, c’est que tous exercent dans des collèges de ZEP violents, ce qui est rarement le cas.

Si François Dubet se renseignait, il saurait que tout professeur débute en éducation prioritaire, et souvent dans une académie déficitaire lointaine.

L’image de l’école elle-même s’est renversée  : l’école qui intégrait la société, qui fabriquait des citoyens, qui les préparait à vivre quelque chose de commun a laissé place à l’image de la machine à diviser, à trier, à créer des inégalités.

:shock:
Curieux déclinisme qui idéalise l'école d'avant le collège unique. :mrgreen:

Les sociologues ne sont pas pour rien dans cette image, mais elle a peu à peu été intériorisée par les Français.

Bel aveu, en effet.

L’école, c’est « l’endroit où mon gamin risque de se faire jeter » et dans certains quartiers, c’est carrément « la machine faite pour nous exclure ». A cela s’ajoute une perte de confiance dans la culture scolaire.

...stigmatisée par des sociologues.

Cette dernière n’est plus perçue que comme un moyen de sélectionner  : la « vraie culture » est ailleurs...

C'est ainsi qu'elle est présentée par des "progressistes" comme François Dubet.

Dans les médias, vous ne trouvez plus beaucoup d’image positive des enseignants, à part ce vieux feuilleton, L’Instit, qui présente un enseignant idéal, positif, qui a des relations formidables avec les gamins et roule à moto...
Et qui travaille en milieu rural...
Oui ! L’action se passe aujourd’hui, mais c’est un enseignant d’autrefois. Le reste du temps, les enseignants sont soit ridicules, soit en souffrance. Le temps de La Gloire de mon père, de Marcel Pagnol [autobiographie où il livre son admiration pour son père instituteur, ndlr], c’est fini. Il y a eu un renversement de l’image des enseignants, produit pour une part par le monde enseignant lui-même.

Merci François Dubet ! :cheers:

Un exemple frappant se trouve dans une récente enquête, on demandait à des sondés : « Souhaiteriez-vous que vos enfants soient enseignants  ? » La profession qui souhaitait le moins que ses enfants soient enseignants, c’était les enseignants  !

C'est peut-être la preuve qu'il ne s'agit pas d'"un problème d’image"... :santa:

C’est terrifiant. On ne peut pas dire indéfiniment  : « Passez un concours pour faire un métier de chien. »

Rien sur la déconsidération dont les enseignants sont l'objet de la part même de leur hiérarchie, comme en témoigne la réforme du collège, qui veut porter atteinte à la liberté pédagogique des enseignants. Rien sur les taux d'encadrements, la réalité des incivilités, le nombre de classes accru par enseignant...

Quand ce changement de discours s’est-il produit et qu’est-ce qui l’a déclenché  ?
Ce changement de discours des enseignants sur eux-mêmes a eu lieu il y a une vingtaine d’années. D’abord, le métier est devenu objectivement beaucoup plus difficile qu’il ne l’était. Dans un collège normal, quand il a une heure de cours, un prof en passe la moitié à établir l’ordre scolaire.

Il faut admirer la schizophrénie de cette réflexion : c'est la faute du "discours", pas de ses causes "objectives". :santa:

Je crois aussi qu’on a assisté à une évolution du syndicalisme enseignant, devenu extrêmement défensif.

On le serait à moins...

Il était pendant longtemps axé sur les revendications salariales et les conditions de travail, mais il appelait ausi à la grandeur de l’éducation. Il se réclamait d’un grand projet culturel, démocratique, national... Aujourd’hui, c’est terminé.
Pour avoir des enseignants qui vous parlent très positivement de leur métier, il faut leur parler en tête à tête. Il faut qu’un individu vous parle de l’intimité de son boulot. La parole collective, elle, est toujours négative. On ne demande plus d’augmenter les salaires parce que le travail avec les élèves est important, mais parce qu’il est épouvantable  !

:roll:

Et pourtant, si le métier est effectivement devenu plus difficile, c’est un métier qui a ses bonheurs, ses voluptés.

François Dubet peut en parler, qui discours toujours sur l'école sans avoir jamais enseigné.

Une autre chose qui a selon moi complètement changé le recrutement, c’est le bac+5 exigé pour passer le concours. Au fond, pendant très longtemps, le choix d’être enseignant était un choix positif et précoce.

La crise des vocations est bien antérieure à la mastérisation de 2010...

Une « vocation »...
J’aime bien le mot de vocation, mais il évoque souvent une période passée dans laquelle l’enseignant se sentait investi d’une mission morale et politique. Là, je parle simplement d’un goût pour le métier, qui était défini précocement.
Jusqu’aux années 60, pour devenir instituteur, on était recruté dans les écoles normales au niveau la troisième. Vous alliez dans une école normale, vous passiez le bac et vous deveniez instituteur...

Avant les années 60, le bac était obtenu par moins de 10% d'une génération...
François Dubet oublie surtout que le métier d'enseignant a toujours été attractif jusqu'à la fin des années 1990, comme on peut le constater avec l'afflux des candidats.

C’est un choix que vous faisiez positivement et tôt. Quand vous faisiez des études de lettres, vous saviez au sortir du bac que l’enseignement était grosso modo votre destin.

Oui c'est pour cela que les études de lettres classiques souffrent d'une grave crise des vocations depuis quinze ans.

Quand on embauchait les profs encore étudiants
En 1957 sont créés les Instituts de préparation à l’enseignement secondaire (Ipes), alors que la scolarisation jusqu’au collège devient de plus en plus courante.
« “Construire un collège par jour” [expression d’un ministre de l’époque, ndlr] ne suffisait pas, il fallait aussi assurer attirer vers le métier de professeur, puis fidéliser, de nombreux étudiants », rappelle la syndicaliste Marianne Auxenfans dans un article consacré aux prérecrutements dans l’Education nationale.
« Recrutés par concours locaux dans les universités à bac+1, les “Ipésiens” percevaient un “prétraitement” correspondant à 171 % du smic de l’époque, avec l’obligation d’assiduité et aussi de réussite universitaire. »

Un professeur des écoles stagiaire (bac+4) touche aujourd'hui 125% du Smic...

Il y avait même à cette période un système qui s’appelait les Ipes [instituts de préparation à l’enseignement secondaire, lire encadré, ndlr]. Vous passiez après le bac un petit concours assez facile qui vous donnait l’écrit du Capes. Et au lendemain de votre licence, vous passiez l’épreuve orale du Capes. Les choix professionnels se définissaient assez tôt.
Aujourd’hui, que se passe-t-il  ? Les étudiants vont à l’université, généralement au terme de choix souvent négatifs  : « Je n’ai pas pu faire une classe prépa, une fac sélective, un IUT... » Tendanciellement, les futurs enseignants ne sont plus les meilleurs étudiants  : il faut quand même le dire  !

C'est normal de moins les payer, du coup ! :santa:

Les meilleurs étudiants, eux, font tout pour ne pas aller à la fac. Une école d’assistantes sociales ou d’éducateurs a un quota de candidats sur le quota de reçus plus considérable que l’Education nationale. Ce ne sont pas des métiers tellement mieux payés ou tellement plus faciles.

Si ce n'est pas la rémunération ou les conditions de travail qui sont repoussoir, où est le problème ?

Les étudiants font leur licence  : en histoire, en langues, en français en sciences, etc. Ils se demandent alors ce qu’ils vont faire  : « Si je pense que je suis très bon, je fais une thèse. Si je pense que je suis bon, je fais un master compétitif. Si je pense que je suis bon en sciences, je m’oriente vers une formation d’ingénieur »...
Beaucoup parmi les autres, ceux qui pensent qu’ils ne sont pas assez bons, qui ne sont pas trop sûrs, vont vers les concours d’enseignants.
Ce ne sont plus les meilleurs étudiants. Et je dirais même qu’en sciences, ce ne sont non seulement pas les meilleurs, mais ce sont souvent les moins bons.

Mais ne pas oublier que tout ça, c'est la faute des enseignants. :doc:

Au Capes, on a un mal fou à recruter en maths, en physique, en chimie...
Le choix professionnel, qui était positif et précoce, est devenu avec le système bac+5 un choix souvent contraint, parce qu’il n’y pas d’autre voie, et qui n’est pas fait par les meilleurs des étudiants.

Hors sujet : la question est celle de la crise générale des vocations, pas de la fuite des meilleurs étudiants seulement.

Prônez-vous le rétablissement de filières précoces, à la manière des écoles d’ingénieur ou des facs de médecine  ?
Je pense que les filières que choisissent les bons étudiants, ce sont des filières à sélection précoce, celles qui garantissent leur avenir.

Ce qu'oublie de dire François Dubet, c'est que jamais la sélectivité des concours n'a été si basse pour entrer dans la fonction publique. Considération qui invalide son raisonnement, d'autant plus que nous vivons dans une période de chômage important.

L’étudiant préfère un IUT, une école d’ingénieur, une école de commerce. Il y trouve d’emblée l’image d’un avenir professionnel, et c’est pour lui un choix « positif ».

Raisonnement absurde, sauf à penser qu'enseigner ne constitue pas un "avenir professionnel".

Il faudrait donc recruter les futurs enseignants à bac+1 ou bac+2  ; ensuite,on les formerait jusqu’au master. Pourquoi se bagarre-t-on pour devenir infirmière, alors qu’on n’arrive pas à recruter des enseignants  ? Les infirmières ne sont pourtant pas mieux payées que les enseignants... et leur métier n’est pas plus facile. Mais elles ne sont pas recrutées à bac+5  !

Le problème, ce n'est pas le bac+5 (même si la mastérisation a aggravé les choses) : c'est que le haut niveau d'études n'est pas reconnu.
En 2012, un enseignant français touche 72% du revenu d'autre actifs diplômés de l'enseignement tertiaire (et donc n'ayant pas nécessairement un master).

On a commis une erreur. On est passé de l’idée, juste, qu’il faut que les enseignants aient un niveau bac+5 à l’idée, fausse, qu’il faut donc les recruter à bac+5. Ce sont deux choses qu’on a eu le tort de confondre.

L'idée fausse, c'est surtout qu'ils soient recrutés à bac+5 avec 25% de plus que le smic seulement...

J’ajoute que si l’on recrutait à bac+1 ou bac+2, on aurait des chances de recruter de bons élèves d’origine populaire. Parce que des bons élèves d’origine populaire, on en trouve à bac+1, mais ils ont presque disparu à bac+4. Ils n’ont pas survécu dans le système : il faut tenir  ; quatre ans d’études, c’est long.

En leur garantissant donc le métier ainsi que le niveau atteint à bac+5 ? :scratch:

Tenir financièrement, dans votre filière « professeur des écoles », serait plus facile  ?
Oui, parce que vous avez la garantie, une fois passé le concours d’entrée, que vous passerez la sortie.

Curieuse garantie. :shock:

Si on disait  : « Tu es un bon élève, tu as une mention au bac, tu auras une bourse, et à la fin tu feras des stages et au bout tu auras un métier », je suis persuadé qu’on rendrait le métier plus attirant.

On recruterait sur le niveau au bac ? :shock:

Je vois mes propres étudiants qui passent le Capes. Ils sont là, ils passent la licence, ils arrivent en maîtrise et se demandent ce qu’ils pourraient bien faire. Et souvent ils choisissent instit’, parce qu’ils ne quitteront pas la région. Ils regardent aussi le Capes, mais c’est très compliqué  : il y a le risque d’atterrir dans un établissement de ZEP où personne ne veut aller...
Ce type de calculs n’existerait pas si vous mettiez en place un recrutement plus précoce.

Par contre, les risques, toujours. Mais ce n'est pas grave. :P

Comme les polytechniciens, les ingénieurs, les médecins, les infirmières, les travailleurs sociaux... Si vous croisez cela avec l’image très négative du métier, cela ne déclenche pas l’enthousiasme.
En même temps, on embourgeoise le recrutement. On se retrouve avec des candidats pas très bons d’origine sociale favorisée...

Les bourgeois très bons, c'est déjà regrettable, mais alors les bourgeois pas très bons... :doc:

Pourquoi cette idée de recrutement précoce n’aboutit-elle pas  ?
J’en avais parlé à Vincent Peillon [précédent ministre de l’Education, ndlr]. Il n’y était pas hostile.
Mais il se heurtait à deux obstacles majeurs. Le premier, c’était les universitaires, qui veulent que les étudiants s’inscrivent chez eux avant d’entrer dans une école professionnelle – sinon, c’est une perte sèche pour les universités. La seconde raison, c’est que le syndicat Snes [Syndicat national des enseignements de second degré, ndlr] est un défenseur absolu de l’idée qu’on doit recruter sur un niveau académique, qui selon lui fait la valeur d’un prof.

Quelle importance, le niveau académique...

Quand vous avez sur les bras les facs (et notamment les facs de lettres) et le Snes, ça devient compliqué.
Dans le système actuel, vous êtes censé être spécialisé dans une discipline avant de devenir enseignant. Et dans le cas des professeurs des écoles, vous n’avez même pas d’obligation disciplinaire. On se retrouve avec des gens qui disent : « Je vais faire instit, mais moi les maths, je ne peux pas. » C’est embêtant.

D'où l'importance du niveau académique...

Vincent Peillon a réformé la formation, en créant les écoles supérieures du professorat et de l’éducation (Espe). Est-ce un simple retour aux Instituts universitaires pour la formation des maîtres (IUFM)  ?
Il y a de grandes chances pour qu’il ne s’agisse que d’un retour aux IUFM. Certes, le recrutement est un peu plus précoce, mais cela pose un problème aux étudiants, le concours ayant lieu avant le master. Alain Boissinot [président du Conseil supérieur des programmes, ndlr] a proposé par provocation de supprimer le concours. Car soit on recrute au niveau master, soit on recrute par concours...
Aujourd’hui vous pouvez avoir le master des métiers de l’enseignement, mais pas le concours qui permet d’enseigner  !

Oui et ça en dit long...

Imaginez que vous fassiez une formation de médecin, que vous alliez jusqu’au bout de cette formation, et qu’on vous dise à la fin  : « OK, mais vous ne pouvez pas exercer la médecine... »

...parce que vous n'avez pas les connaissances nécessaires : encore heureux !

En tout cas, on n’a pas basculé dans un autre modèle. On est dans une situation ambiguë, et l’ambiguïté, cela refroidit les étudiants.
Vous dites que le salaire n’est pas déterminant dans les problèmes de recrutement. Ne peut-on pas cependant imaginer que les professeurs travaillant dans les établissements difficiles soient beaucoup mieux payés que les autres  ?
Je suis totalement favorable à cette piste.

Il faudrait savoir...

Mais ce n’est pas si simple. D’une part, si vous faites cela, vous avez 300 000 types...

Les "types" apprécieront...

... dans la rue demain, au nom de l’unité de la fonction publique, l’unité de la République, l’égalité des traitements sur le territoire, etc. On touche là à une vache sacrée.
D’autre part, cela supposerait un changement fondamental du mode d’affectation. Aujourd’hui, il se déroule « à l’aveugle »  : on considère que tous les enseignants se valent  ; l’administration, qui contrôle le recrutement, affecte les enseignants en fonction des postes disponibles. En général, les jeunes vont là où personne ne veut aller.
Ils y vont, ils obtiennent des points, certains se pacsent parce que cela fait des points supplémentaires, puis ils vont rejoindre des endroits plus paisibles. C’est désastreux pour les élèves de ces établissements difficiles  : ils sont victimes à la fois du turn over des profs et ce sont les enseignants les moins expérimentés qui font le boulot le plus difficile.

Si on faisait en sorte que le passage par ces postes soit moins douloureux ? Il y a de nombreuses autres pistes à explorer à ce sujet...

Si vous voulez changer cette situation, ce qui me semble nécessaire, il faut changer complètement de système. Il faut adopter celui qui est en vigueur dans la plupart des autres pays  : vous avez un titre professionnel (par exemple, professeur d’espagnol) mais c’est l’établissement qui vous recrute.

Les bons établissements recrutent les bons enseignants, les établissements difficiles prennent ceux qui restent. Vive le système libéral, qui fait les délices de François Dubet ! :cheers:
Bon, la logique de M. Dubet est difficile à suivre. Il veut promouvoir l'emploi garanti à bac+1 et en même temps la libéralisation du recrutement. :santa:

Et certains établissements peuvent avoir des moyens supplémentaires afin de pouvoir vous recruter à de meilleurs conditions financières.
Pour dire les choses de manière brutale  : il faudrait généraliser le système d’affectation en vigueur dans les écoles privées.

Voilà qui a le mérite d'être clair : François Dubet rejoint d'ailleurs sur ce point le très libéral rapport de la Cour des comptes en 2013 .

Mais aucun syndicat n’acceptera un tel changement, à part peut-être le Sgen [Syndicat général de l’Education nationale, ndlr]. Il faudrait pourtant le faire. Nous sommes dans la pire des conjonctures  : on a massifié l’université, il y a du chômage, et on ne parvient pas à recruter les enseignants. Peut-on continuer ainsi  ?

En ne faisant pas le constat objectif des causes de cette crise des vocations et en trouvant de vraies solutions ? Non.

Faut-il aussi changer la façon dont on gère les carrières des professeurs, dont on évalue leur travail ? Orienter ceux qui ne sont pas aptes à enseigner vers d’autres postes  ?

C'est déjà le cas...

Ce sujet est encore plus tabou. Logiquement, si l’on recrute bien et si l’on forme bien, l’écrasante majorité des enseignants doit être apte à enseigner.

Ce "doit" est admirable. :mrgreen:

Au quotidien, on croise très peu d’ingénieurs « non aptes », très peu d’infirmières « non aptes »... Non  ?

Alors que des professeurs incapables...
François Dubet aide les enseignants à dévaloriser leur profession.

Évidemment on doit se méfier de ce que M. Dubet appelle "aptitude" au métier, notamment concernant les compétences disciplinaires. Surtout que, pour M. Dubet, on peut aussi bien enseigner en maternelle qu'en 3e...

Je ne sais pas. Ce qui est sûr, c’est qu’on a tous eu de très mauvais profs à un moment...
Oui et on sait que « l’effet prof » est considérable. Par exemple, la qualité d’un prof de CP est déterminante pour le parcours scolaire d’un élève, quelle que soit son origine sociale. Au fond, les enseignants sont maltraités  ; quand ils rencontrent des difficultés, ils sont laissés à eux-mêmes  : ils se démerdent.
Logiquement, dans un milieu professionnel, quand vous rencontrez des difficultés, vous êtes aidé pour les surmonter  : on vous forme de nouveau, on vous soutient...

Euh...

Ce n’est pas le cas dans l’éducation  : vous êtes seul dans votre classe. Vous souffrez le martyr et il ne se passera rien.
Ce qui m’étonne, c’est que les enseignants ne protestent pas contre cela. Le système actuel leur apparaît comme une protection, mais elle est illusoire. Beaucoup sont victimes de ce système.
De même, ils préfèrent être évalués par un inspecteur qui vient tous les sept ans assister à une heure de classe avant de leur mettre une note à peu près automatique, plutôt que d’être soumis à une évaluation collective de leur établissement, où leurs difficultés seraient examinées de façon constructive...

Si l'évaluation collective a lieu tous les sept ans, où est le progrès ?
Quant aux notes, elles n'ont rien d'"automatique" puisqu'elles sont décisives pour l'avancement. M. Dubet fait partie de ces colporteurs de légendes urbaines alors même qu'il s'autoproclame expert de l'éducation.

Les enseignants tiennent au système actuel, qui les protège du regard des collègues, du chef d’établissement, des parents, des élèves... Résultat : on ne sait pas quoi faire des gens qui déconnent.

Et des sociologues qui racontent des inepties depuis des décennies et sont en partie responsables du naufrage actuel ?

Il y a un autre problème. Je crois qu’il faudrait qu’on forme les enseignants suffisamment bien pour qu’ils connaissent d’autres modes d’exercice de leur métier. Aujourd’hui, vous êtes professeur des écoles, vous ne dépasserez jamais le CM2  ; vous êtes professeur de collège, vous n’irez jamais dans une école élémentaire.

Décidément, François Dubet est une bénédiction pour le MEN ! Une telle gestion des ressources humaines permettrait de substantielles économies, et le MEN voudrait bien aller dans ce sens, aidé en cela par des syndicats complaisants comme le SE-UNSA ou le Sgen-CFDT.

Je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas, dans une vie professionnelle, changer d’exercice.

:santa:

On pourrait imaginer une formation commune collège/école élémentaire. Qu’est-ce qui empêche un instit d’enseigner en sixième ou en cinquième  ?

Petite section de maternelle ou CM2, c'est déjà la même chose. :santa:

Vous êtes depuis longtemps défenseur d’un rapprochement entre le collège et l’école élémentaire. Pourquoi est-ce important  ?
Je pense qu’une des réformes essentielles consisterait à décrocher le collège du lycée et de le rapprocher de l’école élémentaire. Il y a trop de gamins qui sortent faibles de l’école élémentaire, et qui ne peuvent pas être sauvés par le collège.

L'école élémentaire échoue : étendons-la ! Quitte à faire une sélection drastique à l'entrée au lycée, comme en Finlande.
Avec le même raisonnement, on colmate les fuites avec des bassines plus grandes.

Parce qu’ils sont perdus avec dix professeurs différents  ?
Oui, et parce que ces professeurs ont des niveaux d’exigence définis par le lycée.

Bien sûr : on exige des élèves qui sortent de CM2 de rédiger des dissertations littéraires ! :santa:
Si "trop de gamins [...] sortent faibles de l’école élémentaire", c'est la faute du nombre d'enseignants en 6e. :santa:

Notre système ne coule pas complètement, parce qu’il y a des armées de profs généreux, ouverts, travaillant comme des brutes... Heureusement  ! Mais cela ne fonctionne que grâce à la vertu de ces individus. Le système, lui-même, n’est pas vertueux.
L’éducation était la grande priorité du président François Hollande, et l’école primaire, la grande priorité de l’ancien ministre Vincent Peillon. Est-ce un échec sur toute la ligne  ?
L’affaire des rythmes scolaires a flingué le projet. Même si ce changement finit par se mettre en place, il aura épuisé la capacité de réforme du quinquennat.

Un bel exemple d'idéologie en action dans l'école.

Sur le « socle commun de connaissances », le rapprochement collège-école élémentaire, on s’oriente vers des mesures d’une extrême timidité  : on parle de quelques dispositifs qui pourraient être mis en place entre l’école et le collège.
Au lieu de s’embarquer dans des réformes que le gouvernement a eu du mal à mettre en place, Vincent Peillon aurait pu dire  : « Nous recrutons désormais sur un nouveau statut. » Les 60 000 postes créés auraient alors trouvé un sens. On aurait dit  : « Les candidats qui passent le nouveau concours seront mieux payés, mais ils auront une autre obligation de service, ils seront recrutés par les établissements. »

Toujours le même illogisme saisissant : comment concilier "obligation de service" et recrutement autonome des établissements ? :santa:

Enfin, il reste un enjeu plus difficile encore sur la table  : le déséquilibre financier du système. Le lycée est surfinancé. Un lycéen coûte en France, 38% de plus que la moyenne des lycéens de l’OCDE.

33% selon RSE 2014. Le surcoût est surtout occasionné par la voie professionnelle.

L’élève de l’école élémentaire coûte 17% de moins. Vous serez bien obligé d’organiser un transfert du lycée vers l’école.

Et comment organiser concrètement ce "transfert" très théorique ? En payant moins les professeurs qui achèvent leur carrière en lycée ?

Il faudra arrêter les options invraisemblables, les filières superfines, les classes européennes et autres « seconde théâtre ». C’est sympa, mais ça coûte très cher.

Finalement les considérations pédagogiques...
En réalité, si les options peuvent coûter cher par élève, elles n'expliquent pas le surcoût du lycée...

Cependant, je n’imagine pas que ce gouvernement aura le courage de s’attaquer à ce dossier. Il y a quelques mois, Vincent Peillon a lancé une sonde sur les salaires des profs de prépa. Douze heures après, il a plié bagage.

Ce ne sont pas les professeurs de classe préparatoire qui déséquilibrent le budget de l'Éducation nationale...
Dernière édition: 19 Fév 2016 17:24 par Loys.

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