Les langues anciennes dans la ligne de mire

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21 Avr 2013 10:27 - 16 Mar 2015 00:15 #5294 par Loys
Vous pouvez commenter ici l'article "Ad patres" du 21/04/13.
Pour mémoire, les chiffres concernant les latinistes et hellénistes : http://www.sauv.net/effectifsla2011.php
A lire également ce rapport de l'IGEN en août 2011 : "L’enseignement des langues et cultures de l’antiquité dans le second degré"
Et cet article de Corinne Jésion sur "Sauver les lettres" : "Du latin et du grec ou comment tuer les morts qui parlent encore" .

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21 Avr 2013 16:40 #5296 par Ahalia
Réponse de Ahalia sur le sujet Les langues anciennes dans la ligne de mire
Pour avoir passé le CAPES de Lettres Classiques tout récemment (été 2012), le contenu n'en est en fait quasiment pas modifié. Ce n'est que la reconnaissance de notre spécificité qui disparaît.
C'est malheureux à dire, mais les passionnés l'ont bien compris: puisque le latin et le grec encore davantage ne sont plus reconnus dans le secondaire, ils ne souhaitent pour la plupart plus enseigner que dans le supérieur...
Il faut rester optimiste et s'appuyer sur les exemples du passé: il a fallu du temps pour que les Carolingiens approfondissent de nouveau leur connaissance du latin (qui avait progressivement dépéri sous les Mérovingiens). Peut-être le latin reviendra-t-il a l'honneur (avant cent ans, qu'on puisse s'en rendre compte)?

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21 Avr 2013 18:16 #5297 par Loys
Réponse de Loys sur le sujet Les langues anciennes dans la ligne de mire
En réduisant le latin et le grec à une affaire de spécialistes, c'est de notre propre culture que nous nous amputons. :|

Et avec la bénédiction de certains de nos philosophes qui pensent que le latin "est sur Wikipédia" (sic). Pourquoi donc l'enseigner ? Comme dit Michel Serres : "Le savoir ? Le voilà, partout sur la toile, disponible, objectivé. Le transmettre à tous ? Désormais, tout le savoir est accessible à tous. Comment le transmettre ? Voilà, c’est fait."

La prochaine cible de ce nouvel obscurantisme sera l'enseignement de la littérature.

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22 Avr 2013 10:06 - 19 Mai 2013 00:22 #5307 par Loys
Réponse de Loys sur le sujet Les langues anciennes dans la ligne de mire
Lionel Jeanjeau, sur son blog , s'est ému également de la disparition du Capes de lettres classiques en ces termes pleins de compassion :


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22 Avr 2013 10:06 #5308 par Loys
Réponse de Loys sur le sujet Les langues anciennes dans la ligne de mire

Suppression du Capes de lettres classiques ... et alors ?

Le week-end qui se termine a accouché de l'un de ces splendides psychodrames dont notre chère Education nationale a le secret.

C'est vrai que pour Lionel Jeanjeau, qui a souvent l'occasion d'exprimer sur son blog toute l'estime qu'il a pour les enseignants : un vrai psychodrame à ses yeux concernerait plutôt la suppression du socle de compétences. :devil:

Une angoisse (le mot n'est pas trop fort) a parfois saisi certains enseignants sur les réseaux sociaux, les blogs, les forums. Ceux qui n'ont pas été saisis par cette angoisse ont pour le moins marqué des questionnements vifs, des inquiétudes ... parce que le Capes de lettres classiques va disparaître. Évènement à mes yeux sans réelle importance, ni sans réelle conséquence, tout du moins à court terme.

S'il est "sans réelle conséquence", pourquoi cet évènement a-t-il lieu ?

Tout est parti de la publication, la semaine, dernière, sur le site du ministère, d'informations précises sur la maquette des nouveaux Capes. Voyons donc ce qui est dit, d'abord, à la page "Epreuves de la session des concours de recrutement des personnels enseignants et d'éducation dont les inscriptions débuteront en septembre 2013". Il y est effectivement fait référence, de façon très claire, à l'existence d'un Capes de Lettres, avec deux options : lettres classiques ou lettres modernes. En ce sens, il est effectivement indiscutable que la Capes de lettres classiques va disparaître (ce qui provoque l'émoi du corps enseignant), au même titre d'ailleurs que le Capes de lettres modernes, ce qui n'a a priori provoqué l'émoi de personne ou presque. Un peu comme si dans l'idée générale, le Capes de lettres modernes devenait le seul à exister. Or il disparaît également, au profit de ce seul Capes de "Lettres", avec une importante proportion d'épreuves communes aux candidats des deux options.

L'émoi est moindre pour les Lettres modernes car la réforme ne remet pas en cause deux enseignements primordiaux : le latin et le grec, voués à devenir une simple option unique.

Que signifie cette disparition des Capes de lettres classiques et de lettres modernes ? S'agirait-il, comme je l'ai lu toute la journée sur Twitter, par exemple, d'un "début de la fin" pour l'enseignement des langues et civilisations anciennes dans nos collèges et lycées ?

Rien que cet intitulé (" l'enseignement des langues et civilisations anciennes") montre que ce n'est pas "le début de la fin" mais un degré supplémentaire, avec une forte charge symbolique. On comprend à ce sujet que le Ministère n'ait guère communiqué sur cette annonce et qu'il ait fallu découvrir cette suppression comme par hasard.

Dans ce cas effectivement, la chose serait préoccupante, il serait tout à fait légitime de réclamer des mesures de protection de ces enseignements. Mais en réalité, il n'en n'est rien. Pour s'en convaincre, il n'est que de lire, attentivement, la maquette de ce nouveau Capes de lettres, telle qu'elle figure dans un autre document mis en ligne récemment par le ministère, le projet d'arrêté fixant les modalités d'organisation des concours du Capes.

Je vais me répéter : si rien ne change, pourquoi avoir tout changé ?

Et l'on voit alors clairement que l'inquiétude exprimée à propos de l'enseignement des langues anciennes n'est fondée sur rien. En effet, que dit l'arrêté ? Qu'il y aura bien deux concours, mais qui donneront lieu à deux classements de lauréats, un par option ; qu'en fonction de l'option choisie, la 2e épreuve écrite, à partir d'un dossier documentaire, portera soit sur "une épreuve de latin et de grec" (option lettres classiques) soit sur une "étude grammaticale d'un texte de langue française" (option lettres modernes) ;

Cette "épreuve de latin et grec", instituée en 2010, est en soi un degré très important dans la dégradation des exigences du concours. A tel point que le jury du Capes de lettres classiques a démissionné alors : http://www.sauvonsluniversite.com/spip.php?article3929

Je cite : "La solution adoptée pour maintenir le grec et le latin à l’écrit du concours (à savoir une épreuve « fourre-tout » comportant une brève version latine, une brève version grecque et une question de civilisation) étant à la fois peu sérieuse et d’une invraisemblable complication, nous avons demandé instamment, au nom de la sauvegarde des humanités, la restauration de deux épreuves de version (latine et grecque)."

Elle n'est plus qu'une simple option en 2013. Quand aux "deux concours" ce n'est pas ce que dit le texte officiel : deux classements encore, pour donner le change, mais bien un seul concours : "Les candidats proposés pour l’admissibilité et pour l’admission par le jury du concours font l’objet de classements distincts selon l’option." ( p. 19 de l'Arrêté )

l'oral comportera pour sa part une épreuve de mise en situation professionnelle ("explication de texte et question de grammaire") qui sera commune aux deux options, et une épreuve d'analyse dune situation professionnelle, dont le sujet portera sur l'un des 5 thèmes, à choisir au moment de l'inscription. Certains de ces thèmes sont communs aux deux options, et un thème est réservé à chacune des deux options ("Langues et cultures de l'antiquité" pour l'option classique, et "latin pour lettres modernes" pour l'option moderne).

M. Jeanjeau résume très mal. :twisted:

Citons le texte :

2° Analyse d’une situation professionnelle.
Epreuve au choix :

Pour l’option lettres classiques :
1. Langues et cultures de l’Antiquité;

Pour l’option lettres modernes :
2. Latin pour lettres modernes ;

3. Littérature et langue françaises ;
4. Français langue étrangère et
français langue seconde ;
5. Théâtre ou cinéma ;

Le latin et le grec, pardon "les langues et cultures de l'antiquité" (ce qui est quelque peu différent...) sont donc assimilés à ce qui était déjà des options dans le Capes de Lettres modernes. De plus il n'est pas très clair, à la lecture de l'arrêté, si les candidats de Lettres classiques pourront choisir ou non une autre option que celle qui leur est réservée : "Le candidat détermine son choix au moment de l’inscription. Toutefois, les candidats ayant choisi l’option lettres classiques à l’inscription au concours ne peuvent demander à subir l’épreuve « latin pour lettres modernes »."

J'ai beau regarder partout, lire et relire ce projet de décret, je n'y vois rien qui change fondamentalement pour ce qui est du recrutement des enseignants de lettres tel qu'il se pratique aujoud'hui : il y aura toujours, à l'issue de ce concours, des professeurs de lettres qui auront compétence pour enseigner le latin, le grec et les civilisations qui vont avec, et d'autres qui n'auront pas nécessairement ces compétences.

Le recrutement actuel, comme nous l'avons vu, est déjà problématique du point de vue de ces compétences. La question est maintenant de savoir combien d'enseignants choisiront cette option et pourront par conséquent enseigner le latin et le grec. La question n'a visiblement pas effleuré Lionel Jeanjeau.

N'est-ce pas déjà le cas aujourd'hui ?? Par ailleurs, un étudiant qui souhaite effectivement enseigner le latin et/ou le grec pourra faire ses choix d'épreuve de telle sorte que ces disciplines aient une place importante dans son concours.

Quel intérêt de se spécialiser en latin et en grec, deux langues qui demandent un travail et un investissement importants dans un cursus universitaire dont M. Jeanjeau ne semble pas avoir conscience, si de tels efforts ne comptent qu'au titre de simple "option".

Et puis il restera toujours les agrégations pour se spécialiser...

Voilà bien l'aveu que le Capes de lettres classiques n'a plus vocation à former des spécialistes.

...si tant est qu'on estime utile cette spécialisation.

On reconnaît bien là toute l'estime de M. Jeanjeau pour le latin et le grec. :twisted:

A partir de là, si le nombre de candidats attirés par l'option "lettre classique" est trop faible, il faut peut-être en chercher la cause ailleurs que dans les visées comptables du ministère !

Un concours dont le nombre de postes a été divisé par trois en quinze ans mérite en effet de s'inscrire en première année de lettres classiques à l'université. :cheers:

Je trouve donc franchement exagérés les propos qui sont tenus par les un et les autres, notamment dans un article du Monde sur la question des langues anciennes (signé par quelques membres actuels du jury du Capes de lettres classiques, dont on ne sait pas très bien s'ils ont autorité pour parler au nom des autres, d'ailleurs)...

Qu'ils parlent en leur nom propre suffit bien, M. Jeanjeau.

...ou dans un "éloge funèbre" dressé par le collectif "méritez-le", dont le nom est tout un programme (il fait référence au Bac, qui n'a de sens que s'il y a de l'échec, pour ces gens qui pensent encore être enseignants... mais je m'égare, je m'égare).

Non, comme le nom l'indique qui n'a de sens que s'il est mérité. Il ne reste plus qu'à faire mériter son obtention par tous, mais c'est moins facile et plus coûteux que de le donner à tous, effectivement.

Cet éloge prétend que la refonte des concours n'est ni plus ni moins que "la subordination [des lettres classiques]". Mais subordination à qui, à quoi ? Aux lettres modernes sans doute. Or on sait très bien que depuis bien longtemps, et sauf en de très rares exceptions sans doute, plus un seul professeur de lettres classiques n'exerce son service que sur du latin et du grec !

Et pourquoi donc M. Jeanjeau ? Posez-vous seulement la question ou lisez mon article.

Tous ont besoin de cours de français pour compléter leurs services. Et cela alors même qu'il existe deux concours distincts.

Le français n'est pas un "complément de services" pour les enseignants de lettres classiques. M. Jeanjeau n'a visiblement pas compris grand chose à cet enseignement particulier.

Dès lors, le ministère entérine, me semble-t-il, un fait indiscutable : le déclin, à l'échelle de l'ensemble de l'institution, de l'attractivité des enseignements de langues et civilisations anciennes.

Moi je constate plutôt sa bonne résistance malgré tous les mauvais traitements infligés aux élèves et les fermetures de section : http://www.sauv.net/effectifsla2011.php

Dès lors que les enseignants de lettres classiques semblent voués, pour des décennies sans doute, à devoir enseigner des lettres modernes en complément du latin ou du grec...

"enseigner les lettres modernes" ?! :shock:

M. Jeanjeau comprend-il seulement ce qu'il écrit ?

... je ne vois pas pourquoi on n'exigerait pas d'eux de passer des épreuves communes avec les collègues qui assurent ces mêmes enseignements. Ce n'est qu'une question de bon sens.

Qu'à cela ne tienne en ce cas : que certaines épreuves soient communes, mais que les concours soient distincts.

Non, le Ministère a plusieurs buts :
- masquer d'abord le tarissement des postes et des candidats
- réduire autant que possible le nombre de candidats : le latin et le grec sont des options coûteuses et complexes à mettre en oeuvre.
- fluidifier la gestion de personnels que deux statuts distincts rendent plus complexe (emplois du temps, affectation de postes, DPE etc.)

Il y a plus : Sur le terrain, le latin et le grec ne changeront pas de statut : ils resteront ce qu'ils ont toujours été, à savoir des options (sauf cas particulier des enseignements d'exploration de seconde et de l'enseignement de spécialité en série littéraire).

Il y aurait beaucoup à dire sur ces "enseignements d'exploration" créés pour concurrencer pendant un an seulement le latin et le grec que les nouveaux lycéens seraient tentés d'étudier pendant trois ans au lycée.

Et comment ces options seront-elles enseignés s'il n'y pas de professeurs pour les enseigner ?

Et des options très ségrégatives, n'en déplaise à ceux qui pensent (quelquefois avec raison en fonction de certaines réalités locales de tel ou tel établissement, sans doute) que les choses ont changé ces dernières années.

Voilà la vraie raison du billet de M. Jeanjeau : un mépris tenace pour tout ce qui peut ressembler à un enseignement jugé élitiste et malvenu dans une école où tout le monde doit réussir (ou du moins faire semblant de réussir).

J'aimerais bien savoir ce qu'a d'élitiste un enseignement ouvert à tous, notamment dans les collèges les plus défavorisés où l'on rencontre, comme ailleurs, beaucoup de latinistes.

Elles ont changé en collège, le plus souvent, effectivement. Mais au lycée ? Certains enseignants modernisent leurs pratiques, mais pas tous, pas partout, et pas majoritairement.

M. Jeanjeau, qui pense que les lettres modernes s'enseignent et chef d'établissement de son état, a donc des compétences pédagogiques qui lui permettent, tel un inspecteur de lettres classiques, de juger des pratiques - bonnes ou mauvaises - des professeurs de lettres classiques.

Afin de bien mesurer de quoi il s'agit lorsque je parle d'option ségrégatives, il n'est pas inutile de regarder un peu ce qui se passe dans les indicateurs des lycées ... du côté de ces indicateurs qui n'intéressent presque personne, surtout pas la presse, et qui sont pourtant, à mon avis, si révélateurs du mode de fonctionnement "inavoué" de notre système. (source : site IPES, Indicateurs de Pilotage des Établissements Scolaires, accessible par mot de passe).

On voit alors très nettement que la latin et le grec restent des enseignements très prisés dans les grands lycées parisiens, nettement moins dans les autres, et bien peu dans les établissements plus périphériques de province.

Car dans les lycées privilégiés on sait l'importance du latin et du grec, même dans les sections scientifiques où ils se recrutent d'ailleurs le plus. La solution pour M. Jeanjeau, ce n'est pas d'étendre cet enseignement, mais de l'éteindre. Quelle remarquable conclusion !

Pour être précis, deux lycées concentrent de très forts taux de suivi des enseignements de latin et de grec : Louis le Grand (dont plus de 40% des élèves de seconde suivaient, à la rentrée 2011 un enseignement de latin ou de grec optionnel) et surtout Henri IV, dont pratiquement les deux-tiers des élèves de seconde suivaient un enseignement optionnel de latin ou de grec à la rentrée 2011. Non le latin n'est pas passé de mode chez les élites...

Ces lycées ont les moyens de résister aux pressions pour fermer des sections.

Il est même sans doute devenu l'un des grands marqueurs des inégalités scolaires, qui préparent si efficacement la pérennisation des inégalités sociales de demain.

Pour supprimer les inégalités, supprimons la culture, qui est un facteur d'inégalité. :cheers:

Certes on parle ici d'avantage des élites intellectuelles que des élites économiques (qui elle, effectivement, boudent les langues anciennes, sans doute pas assez porteuses professionnellement). Les défenseurs inconditionnels des langues anciennes (dont le collectif "méritez-le") n'ont donc aucun souci à se faire, la reproduction des élites intellectuelles par la pratique du grec et du latin pourra continuer à se faire.

Que M. Jeanjeau soit un tant soit peu cohérent, s'il se veut réaliste : pour lutter contre les inégalités, il faut ouvrir les portes du latin et du grec au plus grand nombre.

Finalement, l'adepte de la "reproduction", c'est bien lui.

Non seulement le latin et le grec continueront d'être enseignés dans les établissements français, fut-ce à très peu d'élèves, mais ils continueront aussi, dans certains endroits, à servir de variable de sélection pour la préparation des études supérieures. Ce n'est pas demain par exemple, que nous verrons la Rue d'Ulm renoncer aux épreuves de latin au concours d'entrée ! Que chacun dorme sur ses deux oreilles, et que personne ne se fasse d'illusions : ce n'est pas un ajustement structurel dans un concours qui remettra en cause des pratiques qui ont plusieurs décennies d'existance sur le terrain.

Si seulement M. Jeanjeau était ministre : il supprimerait, au nom de la lutte contre les inégalités, l’École Normale Supérieure pour créer des Écoles Normales Égales. :santa:

Pour finir sur une note positive, tout de même, il me semble que ce que je décris ici, à savoir la "non mise à mort" du latin et du grec, est une bonne chose. Les langues anciennes font en effet incontestablement partie de la culture générale qu'il peut être intéressant d'acquérir, indépendamment des études envisagées et des professions visées par les élèves.

Quelle magnanimité de la part de M. Jeanjeau : cette "non-mise à mort" serait donc finalement une bonne nouvelle pour le latin et le grec. Réjouissons-nous !

La culture classique ne doit pas disparaître...

Monsieur est trop bon.

... elle est trop évidemment aux fondements de notre civilisation pour cela. Mais très honnêtement, après des décennies d'existence de deux Capes séparés, qui peut raisonnablement estimer aujourd'hui, qu'en dehors des grands lycées de prestige, les langues anciennes se portent bien ? C'est plutôt en se battant, comme le font déjà beaucoup d'enseignants de collège et parfois de lycée, pour moderniser l'enseignement du latin, pour le rendre compatible avec les TICE ou les pédagogies modernes, par exemple, qu'on le défendra.

Ah encore le dada des TICE et la pensée magique du numérique !

Les TICE ne dispenseront jamais de l'effort nécessaire pour apprendre une langue. La vérité, c'est que M. Jeanjeau souhaite que l'enseignement d'une langue fasse place à l'enseignement d'un vague vernis culturel. Mais appréhender une culture à travers ses textes sans en appréhender la langue, c'est comme visiter un pays avec un bandeau sur les yeux.

En refusant aussi le caractère sélectif de cet enseignement.

Le baccalauréat de latin ou de grec est l'un des plus accessibles...

En accord avec l'enseignante concernée, j'ai, dans mon lycée, ouvert le latin à tout élève volontaire, qu'il soit déjà latiniste ou non, alors que jusqu'à présent, seuls les latinistes de collège (espèce en voie de disparition) étaient acceptés.

Je ne connais aucun lycée où ce soit le cas : tous les élèves latinistes sont acceptés !

J'ai organisé les emplois du temps de telle sorte que les cours de latin ne soient pas systématiquement rejetés sur les horaires repoussoir de fin de journée. C'est peu de choses, certes, mais c'est sans doute plus efficace que de défendre, par principe, l'existance de deux concours pour exercer en réalité le même métier.

C'est déjà bien en effet, mais je ne vois guère en quoi l'un empêcherait l'autre. :scratch:

PS : Attention aux difficultés de l'existence. :mrgreen:

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22 Avr 2013 13:27 #5312 par Loys
Réponse de Loys sur le sujet Les langues anciennes dans la ligne de mire
A lire aussi, cette mise à plat des questions posées par la suppression du Capes de lettres classiques par Latine loquere ( @latineloquere ) sur son site le 20/04/13 : "Disparition du capes de lettres classiques" .

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22 Avr 2013 19:12 #5328 par DM
Réponse de DM sur le sujet Les langues anciennes dans la ligne de mire

Lionel Jeanjeau dit: Car dans les lycées privilégiés on sait l'importance du latin et du grec, même dans les sections scientifiques où ils se recrutent d'ailleurs le plus.


Selon mon expérience, la connaissance du latin et du grec est d'une utilité à peu près nulle pour les sciences exactes (elle permet, certes, de comprendre la formation de mots tels que "pluripotente". mais pas mieux qu'un lexique). Pour tout dire, je crois que les seules utilité professionnelles que j'en aie eu depuis 20 ans ont été de pouvoir passer le latin comme seconde langue au concours de l'ENS (j'en parle puisqu'elle est évoquée plus haut) et pouvoir rappeler des expressions comme "negativa non sunt probanda", ce qui est assez maigre.

En revanche, la connaissance du latin aide à certaines activités extra-professionnelles, comme par exemple comprendre les inscriptions sur les monuments.

Est-ce que tout cela est fondamental?

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22 Avr 2013 20:11 #5331 par Loys
Réponse de Loys sur le sujet Les langues anciennes dans la ligne de mire

DM dit: Selon mon expérience, la connaissance du latin et du grec est d'une utilité à peu près nulle pour les sciences exactes (elle permet, certes, de comprendre la formation de mots tels que "pluripotente". mais pas mieux qu'un lexique).

Je pourrais vous répondre que la connaissance de la loi de Bernouilli ou de la relation de Chasles sont peu utiles dans la vie quotidienne, contrairement aux racines grecques et latines de 90% des mots que vous utilisez tous les jours, si je n'étais pas moi-même un fervent amoureux des mathématiques. Vous seriez par exemple surpris de savoir ce que sont les sciences dites "exactes".

Il est de ce point de vue symptomatique que vous vous réduisiez l'intérêt du latin à des mots barbares et rares ou à d'obscures expressions latines.

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22 Avr 2013 21:06 #5333 par DM
Réponse de DM sur le sujet Les langues anciennes dans la ligne de mire
Loin de moi l'idée qu'une bonne partie des mathématiques sont utiles dans la vie quotidienne. Toutefois:

Les mathématiques permettent de comprendre certaines choses, comme par exemple, puisque vous prenez la loi de Bernouilli, les probabilités (ce qui a une importance non négligeable, y compris pour comprendre des affirmations comme celles portant sur la fiabilité des tests ADN), ou encore le raisonnement logique, qui ont une importance pour notre compréhension de la société. Elles permettent également de comprendre la physique — or le concept physique d'énergie (sa conservation etc.) est très important pour comprendre nos problèmes énergétiques, qui sont un problème politique très important.

Il suffit pour comprendre l'utilité de connaissances mathématiques en politique de se rendre dans une assemblée (p.ex. de copropriétaires) où une bonne partie des gens ne les ont pas : cela donne des blocages, des incompréhensions, des contresens dès qu'il faut faire intervenir la moindre formule de calcul budgétaire.

En revanche, je ne suis pas convaincu que cela change grand chose à ma compréhension du monde de connaître les racines latines (et un peu grecques) des mots que j'emploie, si ce n'est que cela offre une vision d'ensemble pour apprendre d'autres langues latines.

Comme je vous l'ai dit, l'intérêt du latin est pour moi purement culturel (notamment pour comprendre ce qui est écrit ici ou là ; et puis l'étymologie m'amuse). Il m'est en revanche d'utilité négligeable dans ma vie professionnelle (et je ne connais aucun collègue pour qui il en serait autrement), et de fort peu d'utilité dans ma compréhension de la Cité.

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22 Avr 2013 21:09 #5334 par DM
Réponse de DM sur le sujet Les langues anciennes dans la ligne de mire
(Je pense qu'il y a eu quiproquo : je parlais de l'utilité du latin dans la vie professionnelle d'un scientifique ou d'un ingénieur, et Loys me répond sur l'intérêt culturel, qui est indéniable. Je crains de n'avoir pas été assez clair.)

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22 Avr 2013 21:50 #5338 par Loys
Réponse de Loys sur le sujet Les langues anciennes dans la ligne de mire

DM dit: (Je pense qu'il y a eu quiproquo : je parlais de l'utilité du latin dans la vie professionnelle d'un scientifique ou d'un ingénieur, et Loys me répond sur l'intérêt culturel, qui est indéniable. Je crains de n'avoir pas été assez clair.)

Oui mais enseignez-vous seulement une science exacte ? ;)

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22 Avr 2013 22:00 #5339 par Loys
Réponse de Loys sur le sujet Les langues anciennes dans la ligne de mire

DM dit: Loin de moi l'idée qu'une bonne partie des mathématiques sont utiles dans la vie quotidienne. Toutefois:

Les mathématiques permettent de comprendre certaines choses, comme par exemple, puisque vous prenez la loi de Bernouilli, les probabilités (ce qui a une importance non négligeable, y compris pour comprendre des affirmations comme celles portant sur la fiabilité des tests ADN), ou encore le raisonnement logique, qui ont une importance pour notre compréhension de la société.

La logique est née en Grèce et a été théorisée par Aristote par exemple. :mrgreen:

Croyez-moi, la compréhension d'un texte latin ou grec exige avant tout de la rigueur logique. Autant que dans une démonstration mathématique : c'est même une des raisons qui font que les élèves scientifiques, avec un esprit analytique, aiment le latin ou le grec.

Elles permettent également de comprendre la physique — or le concept physique d'énergie (sa conservation etc.) est très important pour comprendre nos problèmes énergétiques, qui sont un problème politique très important.

On est quand même très loin du quotidien.

Il suffit pour comprendre l'utilité de connaissances mathématiques en politique de se rendre dans une assemblée (p.ex. de copropriétaires) où une bonne partie des gens ne les ont pas : cela donne des blocages, des incompréhensions, des contresens dès qu'il faut faire intervenir la moindre formule de calcul budgétaire.

Les mathématiques ne sont pourtant pas un enseignement optionnel comme le latin... :devil:

En revanche, je ne suis pas convaincu que cela change grand chose à ma compréhension du monde de connaître les racines latines (et un peu grecques) des mots que j'emploie, si ce n'est que cela offre une vision d'ensemble pour apprendre d'autres langues latines.

Les racines permettent la compréhension de notre propre langue, DM. Et le monde gréco-romain, son histoire, sa culture et sa littérature, de notre propre culture et de notre propre littérature.

Comme je vous l'ai dit, l'intérêt du latin est pour moi purement culturel (notamment pour comprendre ce qui est écrit ici ou là ; et puis l'étymologie m'amuse). Il m'est en revanche d'utilité négligeable dans ma vie professionnelle (et je ne connais aucun collègue pour qui il en serait autrement), et de fort peu d'utilité dans ma compréhension de la Cité.

Votre dernier mot vous a trahi. :topla:

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22 Avr 2013 22:10 #5340 par DM
Réponse de DM sur le sujet Les langues anciennes dans la ligne de mire
La logique et les démonstrations mathématiques ont certes été théorisés par les grecs anciens, mais on ne peut pas dire que les logiciens et mathématiciens actuels ont besoin de lire ceux-ci; p.ex. les gens parlent d'équations diophantiennes sans avoir lu Diophante comme ils parlent d'égalité de Leibniz sans avoir lu Leibniz.

C'est pour ce genre de raisons que j'évoquais le peu d'utilité professionnelle du latin et du grec pour ingénieurs et scientifiques.

Encore une fois, le fait qu'un enseignement ait peu d'intérêt professionnel ou politique n'est pas une raison suffisante pour sa suppression; l'intérêt peut être culturel (après tout au collège il y a de la musique et des arts plastiques!).

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22 Avr 2013 22:17 #5341 par DM
Réponse de DM sur le sujet Les langues anciennes dans la ligne de mire
On peut en effet discuter du caractère de science des mathématiques et de l'informatique théorique; cf
http://david.monniaux.free.fr/dotclear/ ... A9matiques

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22 Avr 2013 22:49 #5342 par archeboc
Réponse de archeboc sur le sujet Les langues anciennes dans la ligne de mire

DM dit: et de fort peu d'utilité dans ma compréhension de la Cité.


Je vis une époque qui m'est opaque. Je n'en vois nettement que les détails. Les grandes masses, les grands mouvements, je ne les saisis que par pressentiment.

Mais la douce glissade de nos démocraties vers le gouffre, je ne peux m'empêcher de la relier à l'éclipse des humanités classiques.

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22 Avr 2013 22:58 #5343 par DM
Réponse de DM sur le sujet Les langues anciennes dans la ligne de mire
Excusez-moi, archeboc, mais il me semble que nos démocraties sont passées fort près du gouffre entre 1933 et 1945, à une époque où les humanités classiques étaient bien plus florissantes qu'actuellement !

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22 Avr 2013 23:17 #5345 par Loys
Réponse de Loys sur le sujet Les langues anciennes dans la ligne de mire

DM dit: Excusez-moi, archeboc, mais il me semble que nos démocraties sont passées fort près du gouffre entre 1933 et 1945, à une époque où les humanités classiques étaient bien plus florissantes qu'actuellement !

Vous parlez comme Michel Serres... :devil:

Puisque vous en parlez, le culte de la technique d'une part et la suspicion ou le mépris à l'égard de la culture me semblent bien plus constitutives de l'idéologie nazie que les dangereuses humanités classiques.

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22 Avr 2013 23:57 #5349 par archeboc
Réponse de archeboc sur le sujet Les langues anciennes dans la ligne de mire

DM dit: Excusez-moi, archeboc, mais il me semble que nos démocraties sont passées fort près du gouffre entre 1933 et 1945


Pas si près que cela. Et il leur manquait la glissade.

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23 Avr 2013 07:36 #5352 par DM
Réponse de DM sur le sujet Les langues anciennes dans la ligne de mire
@Loys: Le régime nazi ne me semble pas basé sur le culte de la technique, même si bien sûr il a utilisé la technique à ses fins ; il me semble que ce qualificatif conviendrait plus aux États-Unis et à l'URSS, qui voyaient dans la technique et l'industrie la voie vers des sociétés meilleures. Au contraire, le régime nazi rejetait, par bien des aspects, la modernité : il voulait assujettir l'Homme à des valeurs traditionnelles (la Terre, le Sang), le rattacher à tel ou tel peuple ancien ; il rejetait les sciences trop théoriques (« science juive ») et les arts trop novateurs. Cette idée du régime nazi « scientifique » a été dénoncée, par exemple, par Primo Lévy et Richard Feynman. Je vous accorde cependant que le régime nazi était — du moins en partie — anti-intellectuel ; mais n'oubliez pas le rôle d'intellectuels tels que Martin Heidegger.

Quant à l'oubli des humanités anciennes... Mais songez donc que le fascisme italien a abondamment voulu rattacher les italiens du XXe siècle à la tradition romaine ! Songez à ces affiches de propagande montrant l'italien, digne héritier des légionnaires antiques, protégeant les œuvres d'art millénaires face aux « dégénérés » (américains, noirs, juifs...). On était au contraire en plein culte de la Rome antique !

Bref, je ne suis nullement convaincu par les arguments selon lesquels les humanités anciennes donnent des pays « civilisés » ; les épouvantables guerres mondiales ont eu lieu à des époques où celles-ci étaient très valorisées dans l'enseignement.

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23 Avr 2013 09:45 #5357 par DM
Réponse de DM sur le sujet Les langues anciennes dans la ligne de mire
@archeboc: Pas si près du gouffre que cela? Parce que le remplacement en France de la démocratie par une espèce de technocratie veule, raciste, réactionnaire et pratiquant le culte du Chef, ce n'est pas déjà un peu le gouffre, par exemple?

@loys: Si vous voulez un autre exemple de ce dont sont capables les civilisations imbibées d'humanités anciennes: les élites britanniques étaient largement sélectionnées sur la maîtrise du latin et du grec... et ont mené une politique de colonisation raciste (« Que pensez vous de la civilisation occidentale ? Gandhi : Je pense que ce serait une bonne idée. »).

Je ne prétends évidemment pas que ce sont les humanités anciennes qui ont provoqué ces comportements, mais en tout cas elles n'ont rien empêché et ont parfois servi d'excuse (raccrochement aux civilisations antiques pour justifier qu'on aille civiliser les « barbares »).

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23 Avr 2013 11:36 #5360 par Loys
Réponse de Loys sur le sujet Les langues anciennes dans la ligne de mire

DM dit: @Loys: Le régime nazi ne me semble pas basé sur le culte de la technique, même si bien sûr il a utilisé la technique à ses fins ; il me semble que ce qualificatif conviendrait plus aux États-Unis et à l'URSS, qui voyaient dans la technique et l'industrie la voie vers des sociétés meilleures. Au contraire, le régime nazi rejetait, par bien des aspects, la modernité : il voulait assujettir l'Homme à des valeurs traditionnelles (la Terre, le Sang), le rattacher à tel ou tel peuple ancien ; il rejetait les sciences trop théoriques (« science juive ») et les arts trop novateurs. Cette idée du régime nazi « scientifique » a été dénoncée, par exemple, par Primo Lévy et Richard Feynman.

Je n'ai pas défendu cette idée, bien au contraire. La science, comme la culture - malheureusement pour les états totalitaires - n'obéit pas à aucune idéologie.

L'inscription du nazisme dans un tradition relève, comme pour le fascisme, davantage du folklore puisque l'idéologie nazie visait à promouvoir un "homme nouveau". Dans ce but tous les moyens techniques nouveaux de la propagande ou de la guerre ont été mis à contribution. Voilà pourquoi je parle du culte de la technique, et non de la science. Effectivement on retrouve ce même culte dans le totalitarisme soviétique.

Je vous accorde cependant que le régime nazi était — du moins en partie — anti-intellectuel ; mais n'oubliez pas le rôle d'intellectuels tels que Martin Heidegger.

Et le rôle, beaucoup plus important, de très grands scientifiques. :doc:

Quant à l'oubli des humanités anciennes... Mais songez donc que le fascisme italien a abondamment voulu rattacher les italiens du XXe siècle à la tradition romaine ! Songez à ces affiches de propagande montrant l'italien, digne héritier des légionnaires antiques, protégeant les œuvres d'art millénaires face aux « dégénérés » (américains, noirs, juifs...). On était au contraire en plein culte de la Rome antique !

Folklore. La culture antique se résumerait-elle pour vous aux conquêtes romaines ? :shock:

Bref, je ne suis nullement convaincu par les arguments selon lesquels les humanités anciennes donnent des pays « civilisés » ;

C'est parce que vous oubliez tout ce que nous devons à ces humanités. Ce n'est pas tant le latin et le grec dont vous parlez, mais de l'ensemble d'une culture littéraire dont l'utilité ne vous apparaît pas : voilà qui nous renvoie à des échanges de l'an passé sur l'intérêt de l'enseignement de la littérature.

A la vérité c'est un terrible aveu pour le wikipédien que vous êtes : à quoi bon la culture ?

les épouvantables guerres mondiales ont eu lieu à des époques où celles-ci étaient très valorisées dans l'enseignement.

Les humanités étaient déjà déjà une tradition scolaire à l'époque romaine : que faut-il en penser ? :scratch:

Pour sa part Adolf Hitler n'était ni latiniste ni helléniste, mais - contrairement à vous - je n'en tire aucune conclusion pour autant.

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23 Avr 2013 11:46 - 26 Fév 2015 10:28 #5361 par Loys
Réponse de Loys sur le sujet Les langues anciennes dans la ligne de mire

DM dit: Si vous voulez un autre exemple de ce dont sont capables les civilisations imbibées d'humanités anciennes: les élites britanniques étaient largement sélectionnées sur la maîtrise du latin et du grec... et ont mené une politique de colonisation raciste.

L'enseignement du latin et du grec n'est pas un vaccin. C'est simplement le signe d'un humanité ne voulant pas devenir amnésique.

Je ne prétends évidemment pas que ce sont les humanités anciennes qui ont provoqué ces comportements, mais en tout cas elles n'ont rien empêché et ont parfois servi d'excuse (raccrochement aux civilisations antiques pour justifier qu'on aille civiliser les « barbares »).

Lisez Euripide et vous verrez que, dès le Ve siècle av. J.-C., les barbares ne sont forcément ceux que l'on croit.
D'une culture on peut garder les traits de ce que l'on estime conforme à une idéologie. L'ensemble d'une culture résiste par définition à toute idéologie. Le culte des légions romaines était déjà raillé par la plupart des poètes élégiaques latins du Ier siècle av. J.-C.

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23 Avr 2013 12:41 #5363 par archeboc
Réponse de archeboc sur le sujet Les langues anciennes dans la ligne de mire

DM dit: @Loys: Le régime nazi ne me semble pas basé sur le culte de la technique, même si bien sûr il a utilisé la technique à ses fins ;

Je ne sais pas si on peut parler de culte de la technique. Par ailleurs, cela dépasse la période nazi. C’est quelque chose qui est sensible dès le début du XXe siècle. Il s’agit de faire du corps humain un rouage dans une machine, rouage bien huilé par les exercices physiques qui assureront un jeu sans défaut dans la mécanique du groupe, en interaction avec les machines dont le corps humain devient un prolongement.

On le voit très bien dans le monde d’hier de Stephan Zweig, et c’est l’un des aspect de ce que les historiens appellent la brutalisation. Cet aspect du mécanisme a dû entrer en résonnance en Allemagne avec le dressage prussien. La technique a joué ici plus qu’un rôle de simple métaphore : un modèle d’efficacité.

On imagine bien ce que ce modèle a pu avoir de déshumanisant. Mais pour le coup, Loys, la comparaison avec Michel Serres me semble fausse.

DM dit: Au contraire, le régime nazi rejetait, par bien des aspects, la modernité : il voulait assujettir l'Homme à des valeurs traditionnelles (la Terre, le Sang), le rattacher à tel ou tel peuple ancien ; il rejetait les sciences trop théoriques (« science juive »)

Vous confondez sciences et techniques.

DM dit: Quant à l'oubli des humanités anciennes... Mais songez donc que le fascisme italien a abondamment voulu rattacher les italiens du XXe siècle à la tradition romaine !

Le fascisme a pris ses exemples plus dans la Rome impériale que dans la Rome républicaine.

D’un autre côté, voyez comme les insurgés américains ont pris à la Rome républicaine. Non pas pour ses traits militaristes ou expansionnistes, mais comme exemple de conservatoire des vertus civiques. Et cette confiance placée en l’exemple antique, illustré par le serment des Cincinatti, a trouvé suffisamment de force pour s’inscrire ensuite dans les noms de plusieurs villes américaines. On est là dans le détail, mais un détail révélateur.

Ce n'est pas seulement un élément de folklore : la référence antique a nourri la réflexion de l'Occident, et cette réflexion a nourri à la fois les mouvements d'émancipation et les constructions politiques qui ont suivi. La comparaison entre indépendance américaine et indépendance des nations arabes est cruelle pour ces dernières.

DM dit: @archeboc: Pas si près du gouffre que cela? Parce que le remplacement en France de la démocratie par une espèce de technocratie veule, raciste, réactionnaire et pratiquant le culte du Chef, ce n'est pas déjà un peu le gouffre, par exemple?

Vous n’avez encore rien vu.

Allez, je ne vais pas prendre la défense du régime de Vichy, dont vous avez donné une description assez fidèle, mais penchez-vous sur le procès de Riom. Il est sûr que si Vichy s’est lancé dans cette bouffonnerie, en dépit des avertissements des nazis, c’était moins par vertu que par vaine gloire. Mais mettre cette vaine gloire dans un procès à la loyale, n’est-ce pas la preuve que tout n’était pas corrompu, qu’il y avait, derrière l’avachissement provoqué par la défaite, des vertus qui se gâchaient ?

DM dit: @loys: Si vous voulez un autre exemple de ce dont sont capables les civilisations imbibées d'humanités anciennes: les élites britanniques étaient largement sélectionnées sur la maîtrise du latin et du grec... et ont mené une politique de colonisation raciste (« Que pensez vous de la civilisation occidentale ? Gandhi : Je pense que ce serait une bonne idée. »).

Votre exemple est frappant, sur deux points.

1- tout d'abord, la réponse de Gandhi est un très bel hommage. J'ai du mal à imaginer la Bouboulina à qui on demanderait : "que pensez-vous de la civilisation ottomane" répondre "ce serait une bonne idée". Cette affirmation plus générale que l'Occident dans la colonisation a trahi ses valeurs, c'est quelque chose qu'on trouve déjà chez Montaigne.

2- Plus fondamentalement, je pense que si les élites britanniques n’avaient pas été cet alliage de christianisme pondéré, de philosophie pragmatique, de lettres classiques élégantes et de traditions de collège, Gandhi n’aurait pas eu l’occasion de vivre jusqu’à l’indépendance : il aurait fini comme ont fini Tupac Amaru, Vercingétorix, Jésus de Nazareth et tant de héros de la lutte anti-coloniale et des communautés minorisées.

DM dit: Je ne prétends évidemment pas que ce sont les humanités anciennes qui ont provoqué ces comportements, mais en tout cas elles n'ont rien empêché et ont parfois servi d'excuse (raccrochement aux civilisations antiques pour justifier qu'on aille civiliser les « barbares »).

Toutes les colonisations sont violentes, et tous les colonisateurs vont trouver dans leur histoire les mythes qui justifient leurs actes. Si l’Europe s’est moins mal comportée que ses devanciers, oui, je pense que c’est dû à une culture spécifique, dont la composante gréco-latine n’était pas la moins importante.

Je pense au Premier Homme, de Camus, dont le héros s’indigne de la profanation des cadavres : « un homme, cela s’empêche ». (Je dois tirer cela du cœur intelligent de Finkielkraut). Je ne sais pas ce que Camus mettait derrière cet épisode de la guerre d’Algérie, mais si on relie Camus à Antigone, on fait de l’ancienne histoire thébaine bien autre chose qu’une ode à la rébellion adolescente : peut-être un cours de moral ?

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23 Avr 2013 13:28 #5364 par DM
Réponse de DM sur le sujet Les langues anciennes dans la ligne de mire
« à quoi bon la culture ? »

Voici un excellent sujet de dissertation.

J'ai tendance, je l'avoue, à l'utiliser des arguments utilitaristes lorsque l'on m'interroge sur la nécessité d'enseigner (surtout en enseignement obligatoire) tel ou tel sujet, de faire telles ou telles recherche — tout simplement en raison de la part de coercition implicite : puisqu'un enseignement obligatoire peut être subi involontairement (*), puisque l'enseignement et la recherche sont financés par l'impôt. Il paraît en effet peu légitime d'imposer aux autres ses propres marottes et ses goûts personnels.

En résumé, j'ai bien aimé le latin (j'ai passé le latin au baccalauréat avec, il me semble, une note élevée, je l'ai passé à l'ENS etc.) mais je manque d'arguments politiques pour justifier de la continuation du financement d'un recrutement de masse d'enseignants spécialisés dans ce domaine.

(*) J. Alan Robinson, l'inventeur de la méthode de résolution en logique, britannique, depuis naturalisé américain, a ainsi mal ressenti dans sa jeunesse l'accent mis dans les universités britanniques sur les humanités anciennes et s'était bien mieux senti aux USA.

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24 Avr 2013 07:41 - 10 Aoû 2014 15:54 #5371 par Loys
Réponse de Loys sur le sujet Les langues anciennes dans la ligne de mire

archeboc dit: On imagine bien ce que ce modèle a pu avoir de déshumanisant. Mais pour le coup, Loys, la comparaison avec Michel Serres me semble fausse.

Je pensais à sa mise en accusation de la culture dans l'émission de Finkielkraut.

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24 Avr 2013 07:50 #5372 par Loys
Réponse de Loys sur le sujet Les langues anciennes dans la ligne de mire

DM dit: J'ai tendance, je l'avoue, à l'utiliser des arguments utilitaristes lorsque l'on m'interroge sur la nécessité d'enseigner (surtout en enseignement obligatoire) tel ou tel sujet, de faire telles ou telles recherche — tout simplement en raison de la part de coercition implicite : puisqu'un enseignement obligatoire peut être subi involontairement (*), puisque l'enseignement et la recherche sont financés par l'impôt.

J'avoue mal comprendre votre raisonnement s'agissant d'un enseignement qui n'est précisément pas obligatoire.

Et que signifie votre raisonnement pour l'ensemble de l'école obligatoire ?

Il paraît en effet peu légitime d'imposer aux autres ses propres marottes et ses goûts personnels.

De quoi parlez-vous ? :shock:

(*) J. Alan Robinson, l'inventeur de la méthode de résolution en logique, britannique, depuis naturalisé américain, a ainsi mal ressenti dans sa jeunesse l'accent mis dans les universités britanniques sur les humanités anciennes et s'était bien mieux senti aux USA.

Ce brave homme est l'un des plus actifs destructeurs de l'école républicaine : qu'il en soit remercié !

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24 Avr 2013 08:26 #5373 par DM
Réponse de DM sur le sujet Les langues anciennes dans la ligne de mire
Je crois que je me suis mal exprimé et que je n'ai pas été assez clair.

J'ai apprécié le latin. Pourtant, j'estime que celui-ci n'est pas très utile pour moi ; il s'agit de pur développement personnel, sans visée applicative. Comme les ressources publiques ne sont pas infinies, j'admets que l'État ait à faire des choix dans les enseignements financés, et a priori le critère d'utilité doit être assez important : il me semble difficile d'expliquer aux gens qu'ils payent des impôts pour financer des enseignements de peu d'utilité (qui ne forment substantiellement ni le citoyen, ni le travailleur en nous...).

C'est une discussion qui est également valable pour la recherche scientifique. Un collègue approchant de la retraite me dit qu'il y a bien un moment où l'on doit se justifier à soi-même, sinon aux autres, que l'on dépense bien l'argent du contribuable ; il paraît plutôt abusif d'expliquer que l'on poursuit des marottes personnelles.

Vous voyez ce que je veux dire?

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24 Avr 2013 11:53 - 22 Fév 2017 09:11 #5375 par Loys
Réponse de Loys sur le sujet Les langues anciennes dans la ligne de mire
Les termes grec et latin de σχολή et d'otium expriment tout le deux l'idée de loisir, de temps libre, la disponibilité intellectuelle que l'on peut consacrer à l'étude (de studium = le goût, la passion ; l'application à l'étude, l'étude). L'activité professionnelle, le travail, l'occupation se désignent à l'inverse par le terme neg-otium (d'où notre négoce). Cet idéal antique s'est si bien perpétué jusqu'à nous que σχολή a donné "école". L'école est donc ce temps de la vie où l'on peut se consacrer aux études : l'enseignement est en ce sens fondamentalement libéral, au sens où il vise à la formation de l'esprit.
Au terme de ce que vous appelez l'utilité, bien peu de choses enseignées à l'école sont véritablement utiles mais le secondaire (et une partie du supérieur) n'a pas vocation à former à une profession particulière : il ouvre le champ des possibles.
De ce point de vue réduire l'école à une vocation utilitaire (c'est ce qu'essaie de faire l'enseignement par compétences), ce n'est rien d'autre que vouloir supprimer l'école au sens de cet idéal de la formation de l'esprit. Le goût de l'effort gratuit fait chaque jour davantage place au goût de l'utilité sans effort.
Je vous conseille la lecture des ces articles récents :
- « Les langues anciennes ne servent à rien en particulier, mais elles peuvent être utiles à tout » , Le Nouvel Économiste" du 15/03/13.
- « Le latin et le grec, une force pour l’entreprise ! » dans "Les Échos" du 22/03/13.
- "Les « humanités », au cœur de l’excellence scolaire et professionnelle" , une publication du Centre d’Analyse stratégique, N°2013-02, 02/13 par Jean-François Pradeau. Nouveau lien : archives.strategie.gouv.fr/cas/system/fi...naleval_le_25-02.pdf
- www.lemonde.fr/campus/article/2017/02/16...5080634_4401467.html
Voir aussi du même auteur : www.institutdiderot.fr/wp-content/upload...dans-lentreprise.pdf

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25 Avr 2013 16:49 #5386 par Ahalia
Réponse de Ahalia sur le sujet Les langues anciennes dans la ligne de mire
Quelques spécialistes ont tout de même proposé une ode funèbre dans le Monde:
http://www.lemonde.fr/idees/article/201 ... _3232.html
Bonne journée!

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25 Avr 2013 18:01 #5388 par Loys
Réponse de Loys sur le sujet Les langues anciennes dans la ligne de mire
Oui mais c'était en 2010, à l'occasion de la piteuse réforme du Capes... :?

Aucune réaction des partis politiques à part deux communiqués : Marine Le Pen et "Debout la République" .

Aucun commentaire dans les médias. Le sujet n'est pas même évoqué.

Une exception : interview d'un défenseur du latin et du grec dans "Rue des écoles" sur "France Culture" samedi 27/04/13 à 19h.

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