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Le plan numérique pour l'école
Exégèse des nouveaux lieux communs (extrait)
Jacques Ellul, 1966
"Il est de bon ton d'être chagrin (en matière technique)"... "L'attitude courante est de critiquer la technique"... Ce lieu commun est vraiment très commun chez les techniciens, technologues, technolâtres, technophage, technophiles, technocrates, technopans. Ils se plaignent d'être incompris. Ils se plaignent de l'ingratitude de ce peuple pour lequel ils travaillent et dont ils veulent le bonheur. Ils ne suffit pas d'avoir tous les postes dans l'administration et l'Etat; d'avoir tous les crédits. Il ne leur suffit pas d'avoir l'admiration béate et universelle des foules délirantes quand on leur annonce le spoutnik. Il ne leur suffit pas de cristalliser la totalité de l'espérance des masses quand on leur annonce la pénicilline ou l'automation. Il ne leur suffit pas de faire trembler les foules de crainte par les progrès des fusées, fusions, fissions et autres secrets mystérieux. Il ne leur suffit pas d'avoir tous les prestiges, si bien que tout le monde s'arrache à son niveau le titre de technicien. Il ne leur suffit pas de recruter laudateurs et thuriféraires même parmi les moins techniciens des hommes, chez les philosophes et les théologiens. Il ne leur suffit pas d'avoir l'avenir à eux et à eux seuls, que la partie soit gagnée et que le seul avenir prévisible soit "davantage de technique, toujours davantage de technique; davantage de pouvoir aux techniciens, toujours davantage de pouvoir aux techniciens". Il ne leur suffit pas d'être entourés d'honneurs et que ce soit parmi eux qu'on recrute les célèbres "Sages" dont on a tant besoin. Il ne leur suffit pas qu'en tous lieux et en toutes réunions leur parole fasse la loi, parce qu'ils sont ceux qui savent et en même temps agissent. Il ne leur suffit pas d'être par-delà le bien et le mal, parce que la nécessité du progrès n'est pas soumise à de vaines contingences. Il ne leur suffit pas, enfin, d'avoir bonne conscience, de savoir qu'ils sont du bon côté de la barricade, du côté de la Justice et du Bonheur, d'avoir devant eux une route humaine parfaitement claire et tracée, sans doutes, reculs, scrupules, hésitations et remords. Non, tout cela ne leur suffit pas.
Il leur faut encore une chose : la palme du Martyre et la consécration de la Vertu triomphant du dragon tout-puissant et venimeux. Voyons, vous ne le savez pas ? Mais bien sûr, nous en sommes toujours au temps de Philâtre de Rozier et de Fulton. Il y a toujours de vilains artisans capitalistes rétrogrades qui brisent les métiers à tisser emblèmes de la science et du progrès. Il y a toujours d'affreux paysans à peine sortis de la bestialité terrienne qui assoment à coups de fléaux les pauvres et vertueux techniciens qui travailent pour leur bien. Les journaux ne l'ont pas dit ? Mais ça se voit tous les jours, n'est-ce pas ? Il y a toujours des imbéciles de philosophes qui prétendent mettre des bâtons dans les roues du progrès avec des déclamations de sophistes et des arguments aussi vicieux qu'inexacts, en vertu d'une conception de l'homme radicalement périmée. Vous ne le saviez pas ? Et vous ne saviez pas non plus sans doute que ce sont ces méchants philosophes qui forment les conseils du gouvernement, qui réussissent dans l'Université et qui ont les honneurs de L'Express, de Paris-Match, de Réalités et autres formateurs de l'opinion. Vous ne le saviez pas, et vous aviez bien raison, car rien de tout cela n'est vrai. Mais les techniciens, technologues, etc., ont besoin de ce supplément d'honneur et de vertu. Ils ont besoin en plus d'être plaints et aimés. Ils fabriquent cette mythologie pour se présenter comme en proie à l'immense effort d'avoir à convaincre les forces hostiles. Ils sont en outre d'une extrême sensibilité, et le point d'honneur leur est fort délicat. Il suffit du plus léger doute sur la valeur absolue de ce qu'ils font, de la plus circonspecte mise en question de tel résultat, de la question la plus mesurée sur la finalité de leur entreprise pour qu'aussitôt on entende des cris de désespoir, des jugements sévères ou qu'un doigt vengeur se braque pour désigner l'affreux qui a osé attenter à la majesté du progrès. Il suffit que le moindre crédit leur soit enlevé par le gouvernement pour leurs entreprises les plus vaines et les plus folles, pour qu'aussitôt on clame à l'injustice, à la persécution, pour que la presse soit alertée et vienne au secours des victimes et des affligés. "Comment, comment, mais quel gouvernement avons-nous donc ?... Voilà qu'on refuse de l'argent pour des laboratoires." Tout peut attendre, mais pas ça. Ils ont besoin non seulement d'être les héros de la science, mais en plus les martyrs de l'incompréhension et de la réaction. Ils ont besoin, non pas de 98% de l'opinion avec eux, mais de 100% de l'unanimité , car toute réserve est un grief contre eux; la technique est totalitaire.
Mais je soupçonne au fond, dans cette attitude geignarde, l'affleurement d'une inquiétude, l'éclair d'un soupçon sur lequel ils accumulent les sacs de ciment et les souffles atomiques pour l'empêcher de brûler. "Après tout, si par hasard, nous nous étions trompés ? Si par hasard, nous conduisions l'humanité à sa fin ?" Je ne parle pas tant de la fin atomique que de la fin de la conscience, la fin de la liberté, la fin de l'individu, la fin de la création, la fin de l'homme simplement humain. Si par hasard ils nous conduisaient vraiment à l'anonymat de cette fourmilière, si souvent à tort annoncée ? Il faut bien prendre ses précautions. Il faut, dans l'ultime sursaut de lucidité, pouvoir dire que c'est tous ensemble que nous avons marché. Tous ensemble en plein accord. Et que l'avant-garde était la moins responsable et la plus exposée. "Plaignez-nous, plaignez-nous, bonnes gens. Nous avons eu bien du mal, et nous n'avions pas voulu cela..."
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A lire sur "VousNousIls" du 29/08/13 : "Un portail de ressources pédagogiques pour enseignants lancé par le ministère en octobre"
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Alain Thillay écrit: Le principe d'Edutech est [...] de proposer des grains libérés de droits
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Un peu moins de numérisme ?Enseigner le numérique : j’ai changé d’avis
A qui et à quel discours Michel Guillou pense-t-il ? Autant ne pas le dire, c'est plus simple à réfuter.C’est vrai, il est encore possible de ne pas échapper au discours sur le sujet de quelques personnages plus médiatisés que médiatiques. C’est vrai aussi que les énormes bourdes qu’ils profèrent ont le mérite d’être rigolotes, de faire le buzz, comme on dit, de passer donc aisément à la postérité via les réseaux sociaux, contribuant ainsi à rendre ces détestables réactionnaires encore plus ridicules qu’ils ne l’étaient.
Même chose : on restera dans l'allusion sibylline.C’est vrai encore que sur le sujet du numérique comme sur celui, plus étroit, du numérique éducatif, il est possible d’observer aujourd’hui d’étranges retournements de vestes…
Voilà qui est d'une limpidité limpidifiante.Comme quoi il reste un peu d’espoir.
La question d’enseigner avec le numérique ne se pose donc plus, car la question d’enseigner ne se pose pas.
Pourtant avec M. Guillou la question d'enseigner se pose parfois .
Il est temps que l'enseignement, ses contenus, ses programmes se soumettent au tout-numérique !Notez qu’il n’est pas question pour l’école, à mon avis, d’intégrer le numérique, comme certains discours ou écrits officiels nous le serinent. Je n’aime pas ce mot d’intégration qui ne correspond pas à ce qui doit se passer. Non, il est juste question de mettre l’école en adéquation avec son temps et la société telle qu’elle est. Et donc l’enseignement et les manières d’enseigner. Et donc les contenus et les programmes.
Transposons le même discours avec l'invention de l'électricité ou de la télévision...
Euh...Je reviens sur ce point des programmes un peu plus loin dans ce billet car il est crucial, fondamental.
Si la question d’enseigner avec le numérique ne se pose plus...
Le numérique n'est plus un outil au service de l'enseignement mais devient lui-même un objet d'enseignement devant remplacer d'autres objets....celle d’enseigner le numérique continue de se poser et nombreux sont ceux qui apportent sur le sujet des réponses différentes. Que convient-il de faire exactement ?
Car l'informatique est une science.Certains, comme l’EPI et l’Académie des sciences et, à leur traîne, sans réfléchir une seconde, le Conseil national du numérique et certaines associations du libre, n’hésitent pas à proposer la création d’une nouvelle discipline scientifique informatique qui serait enseignée du premier degré à l’Université.
L'idée même de champs disciplinaires est obsolète. Tout est dans tout.J’ai déjà dit combien cette démarche, en tentant de cloisonner mieux encore les champs disciplinaires quand tout aujourd’hui, avec le numérique justement, tend à les rapprocher...
A transmettre à qui de droit....me semblait ressortir d’un néo-obscurantisme moderne. Il convient donc de la combattre. Ce ne sera pas trop compliqué tant elle est navrante.
Michel Guillou aurait été un "néo-obscurantiste" convaincue d'une idée "navrante" ? On ne peut y croire.J’ai, pour ma part, longtemps pensé — je crois même l’avoir écrit sur ce blogue — que l’urgence commandait de proposer, à côté des disciplines traditionnelles, un nouvel enseignement du numérique.
Dommage que Michel Guillou n'ait pas réfléchi avant...J’ai même imaginé, je crois bien, que cet enseignement soit pris en charge, dans leur emploi du temps, par des professeurs volontaires et compétents, à commencer par les professeurs documentalistes dont nombreux sont déjà formés à cet effet. Je crois avoir lu que certains m’appuyaient dans cette démarche. J’ai même proposé de réfléchir, l’été dernier, pour appuyer le travail d’OVEI, à un référentiel complet sur ce sujet de l’enseignement du numérique, intégrant l’éducation aux médias, l’éducation informationnelle, les littératies numériques et médiatiques, des éléments d’algorithmique, de programmation, des éléments juridiques, philosophiques, civiques, économiques… Et puis j’ai réfléchi.
Cette dernière formule ("c'est nécessaire") suffira comme argumentaire. Le numérique ne peut qu'augmenter l'enseignement. Jamais lui porter préjudice de quelque façon que ce soit. Bonne définition du numérisme.Et j’ai changé d’avis.
Si l’école doit réussir sa mutation et se mettre à l’heure numérique, il ne faut pas créer de nouvelle discipline. C’est inutile. En revanche, chaque discipline existante doit s’éclairer, s’enrichir, s’augmenter dirait-on aujourd’hui, de la dimension du numérique. C’est devenu nécessaire.
Certains venaient à peine d'entrer en vigueur...C’est tout l’enjeu de cette mission si importante de la refondation que Vincent Peillon a confiée à Alain Boissinot, le 10 octobre dernier. Ce dernier, nommé donc à la présidence du Conseil national des programmes, a déjà commencé, avec ses collègues et les experts qu’il a choisis, le travail de réécriture des programmes de l’école du socle, de la maternelle au collège.
... et traité donc dans la précipitation.C’est là un chantier fondamental.
Nous l'attendons avec impatience.J’ai pu rencontrer Alain Boissinot récemment. J’ai pu lui poser quelques questions et tout ça fait l’objet d’un reportage vidéo qui sera projeté bientôt sur l’événement des « Boussoles du numérique » à Cenon, près de Bordeaux, le 12 décembre prochain.
Attention, aguichage : vous verrez et lirez tout cela bientôt !
En voilà une nouvelle qu'elle est bonne. Quel cachottier, ce M. Boissinot !J’espère bien trouver le temps de transcrire ses propos, soyez patients. Cela fera l’objet d’un nouveau billet ici et sur le site Éducavox dans les premiers jours de décembre.
Dans l’attente et sans déflorer les propos du président du CSP, ce dernier, qui présentera son plan d’action au Conseil supérieur de l’éducation le 6 décembre prochain, semble décidé à construire les nouveaux programmes de l’école du socle à l’éclairage de la dimension paradigmatique du numérique...
Tout un programme....en toute conscience des conséquences sur la formation des maîtres, les postures, les modalités d’enseignement, les espaces, les temps et surtout l’évaluation.
Qu'est-ce que c'est exactement que les "littératies numériques" ? Et est-ce que la littératie tout court ce ne serait pas plus important ?Pas question pour lui donc d’une nouvelle discipline, ce sont bien les disciplines existantes qui doivent partager la prise en compte des littératies numériques et médiatiques.
"Inadapté", mais on ne saura pas pourquoi. Le numérisme ne s'embarrasse pas d'explication : il n'est qu'injonction et célébration. Il est vrai que Michel Guillou, commentant mon expérience, n'a pas même compris ce qui se jouait dans un commentaire de texte au bac de français...Un fort regret pour ma part : les programmes du lycée ne seront modifiés que plus tard. Quand ? Sauf accident tectonique, notre vieux baccalauréat inadapté est donc encore là pour quelques années encore.
C’est bien malheureux.
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