"Socrate et le numérique" (Eddie Playfair)

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03 Mar 2015 17:42 - 03 Mar 2015 20:30 #13441 par Loys
A lire dans "EducaVox" du 2/03/15 : "Socrate et le numérique".
Traduction de cet article (non indiqué en lien) du 13/01/2014 : eddieplayfair.com/2014/01/13/socrates-on-e-learning/


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Dernière édition: 03 Mar 2015 20:30 par Loys.

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03 Mar 2015 18:24 - 04 Mar 2015 15:09 #13443 par Loys

Socrate et le numérique
Il y a 2,400 ans en Grèce antique quand le principal moyen de transmission culturelle et d’apprentissage était la langue parlée, le philosophe Socrate avait prévenu que la parole écrite posait de graves risques pour la société. Dans une culture orale, l’écriture était une nouvelle technologie et Socrate avait plusieurs soucis quant à son impact possible.

"Socrates had several concerns about its possible impact". Quelle traduction calamiteuse. Passons...

Il considérait que la parole écrite était inflexible...

"inflexible" ("the written word was inflexible")... Non, c'est pas possible de passer, en fait. :mrgreen:

le discours « vivant » est dynamique et prêt à être découvert et interrogé par le dialogue. Dans le discours « mort » de la parole écrite, les mots semblent nous parler comme s’ils étaient eux-mêmes intelligents.

Sauf si ce discours se présente comme un dialogue. Platonicien.
Il faudrait d'ailleurs peut-être donner la référence du texte de Platon auquel on se réfère ici : Phèdre; 274-276

Une fois écrits, ils continuent à raconter la même chose pour toujours, quoique nous en pensons.

La dialectique des ouvrages de Platon permet précisément d'éviter cet écueil.

Les mots écrits sont susceptibles d’êtres confondus avec la réalité...

Ce n'est pas dans le texte de Platon. :scratch:

...et les lecteurs peuvent obtenir la fausse impression de bien comprendre quelque chose quand ils ne font que commencer à le comprendre.
Il considérait que l’écriture détruirait la mémoire : l’effort de mémoire permet la transmission orale et préserve une mémoire culturelle tout en améliorant la compréhension personnelle de chacun. Le lecteur ne peut pas s’approprier le texte sur une page comme il le peut avec celui qu’il a mémorisé.

De fait on ne réfléchit pas à l'identique selon que l'on pense avec ce que l'on a assimilé ou avec ce que l'on découvre. Celui qui ne mémorise rien est comme un voyageur cherchant son chemin sur une carte à chacun de ses pas.

Il considérait que nous perdrions la maîtrise de la langue

Non. :shock:

la lecture représente une perte de contrôle de nos connaissances.

Non, c'est l'abandon de l'effort de mémoire que permet la lecture : c'est très différent..

On ne peut pas savoir qui va lire notre texte et comment cette lecture sera interprétée. Une fois qu’une chose est écrite elle peut tomber dans les mains de ceux qui la comprennent tout aussi bien que de ceux qui n’en comprennent rien. Le texte ne peut pas s’adapter pour répondre aux différents besoins des différents publics et quand il est maltraité, il ne peut pas se défendre. Les dérives sont possibles de tous les côtés.

Oui, c'est le discours de Socrate. On en a eu l'illustration plus haut. :P

Socrate ne nous a pas laissé d’écrits, mais heureusement que son disciple Platon avait moins de scrupules, ce qui nous permet d’avoir un compte-rendu des meilleurs arguments Socratiques.

Platon a surtout trouvé comment répondre à cette objection...

Plus de deux mille ans plus tard, sommes nous en mesure de répondre aux préoccupations de Socrate ?
L’écrit est devenu un élément essentiel de la transmission culturelle et nous dépendons tellement de la parole écrite qu’il est impossible d’imaginer notre monde sans elle.

Mais nous avons bien conscience des insuffisances de l'écrit. Si l'écrit suffisait pour transmettre, on pourrait fermer les écoles et les remplacer par des bibliothèques. :santa:

Face à un Socrate du 21eme siècle, nous pourrions commencer par rappeler qu’il est inconcevable aujourd’hui qu’un individu ou même un groupe puisse acquérir toutes les connaissances humaines. Nous pourrions lui expliquer la nécessité absolue d’avoir des textes écrits pour pouvoir rassembler la totalité de nos connaissances contemporaines dans une forme capable d’être partagée et comprise par nos concitoyens de la république humaine des connaissances.

S'il est impossible de les acquérir, il est également impossible de les lire : leur mise à disposition relève de la seule potentialité de lecture (et encore : de lecture partielle).

Nous pourrions également lui démontrer que l’avancée de l’écrit n’a étouffé ni le dialogue ni le débat, il en est en fait le principal moyen.

On pourrait répondre qu'il existe des conceptions du Livre qui précisément ne reposent pas sur le dialogue et le débat.
Mais de toute façon, dans Phèdre, Socrate, cherchant à "examiner la convenance ou l’inconvenance qu’il peut y avoir à écrire" n'a jamais condamné à proprement parler l'écrit par lui-même, mais une conception naïve de l'écrit ("celui qui croit transmettre un art en le consignant dans un livre, comme celui qui pense, en recueillant cet écrit, acquérir un enseignement clair et solide, est vraiment plein de grande simplicité").

C’est généralement en langue écrite que nous proposons, que nous partageons et que nous contestons nos idées nouvelles. On pourrait convenir que l’écrit est sujet aux abus, y compris ceux que l’auteur n’aurait pas pu prévoir, mais on pourrait aussi montrer que le développement de l’alphabétisation généralisée et la lecture critique peuvent protéger contre ces abus.

Certes. Mais quand l'illettrisme progresse à nouveau...

Bien que la mémoire n’a pas été détruite, nous apprenons beaucoup moins par cœur...

Caricature : mémoriser n'est pas nécessairement apprendre par cœur.

...qu’autrefois et la pratique routine de la mémoire est bien moins valorisée hormis à des fins très spécifiques.

Le par cœur a par ailleurs ses vertus dans de nombreux apprentissages, par exemple en langue.

Nous avons remplacé la mémoire par une gamme de compétences de recherche sophistiquée qui nous aide à sélectionner précisément ce dont nous avons besoin parmi la masse des sources écrites disponibles et à en évaluer la validité.

On ne sait malheureusement que ce que l'on a appris. Par définition le chercheur est celui qui ne sait pas.
Voilà donc ce qu'il faudrait former : des chercheurs qui ne savent pas... :santa:
Le constructivisme a de beaux jours devant lui.

Le plaisir d’apprendre un poème, une chanson ou une citation préférée par cœur est toujours à notre disposition et même si nous ne récitons plus les grands poèmes épiques notre mémoire nous sert quotidiennement dans toutes sortes de situations complexes.

A part les aèdes qui en faisaient métier, qui récitait de "grand poèmes épiques" ? :shock:
Les exemples d'apprentissage systématiques sont ici caricaturaux : et les tables de multiplication, les définitions géométriques par exemple ? Et l'orthographe ? Et les verbes irréguliers ?
Comment peut-on penser, parler sans savoir tout cela ? :shock:
D'une certaine manière nous avons tenu compte de l'avertissement de Socrate, qui, avant d'être un réactionnaire borné, est le fondateur de la philosophie occidentale...

L’inquiétude de Socrate au sujet de l’impact négatif d’une nouvelle technologie de communications a été réitéré à chaque cycle suivant de révolution en communication.

Il s'agit donc de discréditer toute critique par analogie, ce qui est aberrant puisque chaque révolution technologique est potentiellement spécifique.

L’imprimerie encouragerait-elle une propagation de l’hérésie et appauvrirait-elle la culture?

Du point de vue de l'écrit, l'imprimerie ne constitue qu'une évolution, pas une révolution.

La photographie et puis le cinéma entraîneraient-ils la fin de la peinture et du théâtre?

Hors sujet ici : les arts sont mis sur le même plan que les progrès techniques.

Le téléphone et l’email détruiraient-ils l’art d’écrire? A chaque étape certains craignent que les pertes l’emporteraient sur les gains, mais une fois qu’une nouvelle technologie de communication s’implante et mûrit, nous trouvons éventuellement qu’elle renforce les interactions humaines et qu’elle permet aux anciennes technologies de s’adapter et de trouver un nouveau rôle.

Donc, selon cette définition, tout progrès technique ne peut constituer qu'une amélioration. La télévision peut en donner un bon exemple...

Nous sommes aujourd’hui en pleine révolution de la communication.
La connectivité mondiale à grande vitesse entre les individus, la création de ressources accessibles, interrogeables et interactives intégrant l’image, le son et l’écrit ;
A noter les suffixes qui renvoient tous à la potentialité d'usage : "accessibles", "interrogeables". Ces ressources sont-elles, dans les faits, consultées et interrogées ? C'est la seule question valable pour ne pas rester dans le domaine de l'idéologie.

...tout cela nous offre de merveilleuses possibilités éducatives.

Aux enseignants, on peut l'espérer, pour peu qu'ils fassent preuve d'esprit critique à leur égard. Mais pour les élèves ?
La consultation d'un résumé de livre, dispensant de le lire, constitue-t-elle une "merveilleuse possibilité éducative" ? :fur

Les enseignants ont toujours été soucieux d’appliquer les nouvelles techniques pour renforcer l’apprentissage, mais il faut du temps pour percevoir leurs avantages.

Faut-il supposer qu'elles n'ont que des avantages ? Nous devrions au contraire procéder à un examen socratique.

Ceux d’entre nous qui ont vécu l’introduction des premiers ordinateurs en classe se souviendront qu’ils nous offraient très peu de valeur éducative. L’incorporation technologique nécessite un temps de scepticisme, d’expérimentation et de réflexion.

Voire de mise à distance : l'expérience de la télévision scolaire est assez amusant, à ce sujet.

En tant qu’enseignants, nous devons incorporer ces nouvelles technologies dans notre boîte à outils...

Au contraire : rien ne doit nous y obliger. Il est même sans doute important de montrer quelque résistance intelligente à la bête injonction de modernité.

...tout en posant le même genre de questions que poserait Socrate : Que risque t’on de perdre? Quels aspects des anciennes technologies faudrait-il préserver ?

Si la question de "perdre" se pose, il faut surtout se demander si la perte n'est pas supérieure au gain. Un médicament nouveau ne mérite d'être conservé que si son apport est supérieur aux médicaments antérieurs...

Dans leur essai Questions for a Reader dans la collection Stop what you’re doing and read this (Vintage 2011) Maryanne Wolf et Mirit Barzillai décrivent certains des défis du numérique pour le lecteur contemporain :
« Les lecteurs de demain apprendront-ils à ne réclamer que la simplicité, la rapidité et l’explication par un autre ? Ou seront-ils plongés dans l’innovation technologique, devenus habiles à faire le triage et l’évaluation critique de différents types de lecture en fonction de leurs intérêts et de leur but ; recherche, compréhension? …La souplesse du texte numérique…pourrait-elle améliorer l’expérience de la lecture pour les lecteurs, les propulsant vers un engagement plus profond avec le texte, ou est ce que tout cela ne fera que multiplier les distractions? »

L'hésitation est problématique, voire inquiétante lorsqu'on réalise que les compétences de lecture sont de moins en moins bien acquises...
De fait les usages numériques constatés ne portent pas les plus jeunes à la lecture, voire ils en détournent.

Selon Wolf et Barzillaï, pour réussir leur apprentissage, les étudiants auront besoin de :
« connecter des compétences de lecture profonde aux compétences de traitement de l’information afin d’être en mesure d’utiliser les ressources et les plates-formes du 21ème siècle judicieusement. La tâche est de comprendre comment le faire. »

En comprenant qu'il est nécessaire pour cela de respecter des étapes.

Le numérique n’est pas une mode passagère ou une tentative de pertinence. Nous ne voulons pas niveler vers le bas pour atteindre une génération en-ligne avec leur prétendue courte durée d’attention.
Les enseignants qui connaissent bien leur sujet, qui ont des objectifs clairs et qui comprennent l’apprentissage doivent développer et sélectionner les meilleurs matériaux possibles et s’en servir intelligemment pour renforcer l’acquisition des connaissances et de la compréhension approfondie. Ils doivent également se servir du numérique pour partager leurs bonnes pratiques pédagogiques et éviter de réinventer la roue.

Cette injonction est contradictoire avec l'appel à l'esprit critique.

Tout en faisant cela, nous devons rappeler que pour un apprentissage réussi, il faut pouvoir se concentrer, penser, parler, écouter, lire et écrire en profondeur. Par conséquent, nos objectifs pour le numérique doivent êtres ambitieux.

Ces objectifs sont surtout tout à fait indépendants du numérique, qui ne doit pas devenir une finalité ("nos objectifs pour le numérique")...

Nous voulons que nos étudiants puissent naviguer l’internet pour les commentaires et les sommaires de livres...

:shock:

...mais aussi qu’ils puissent lire des livres entiers et et en former leur propres opinions.

C'est très logique et cohérent !

Nous voulons qu’ils puissent tweeter mais aussi qu’ils puissent écrire une bonne rédaction, qu’ils puissent critiquer leurs études avec leurs camarades tout en s’engageant dans un effort personnel soutenu.

Qui sait écrire une bonne rédaction sait tweeter... :roll:

Bref, nous devons développer des étudiants qui peuvent maitriser tous les moyens à leur disposition pour enrichir leur apprentissage et leur vie.
Il se pourrait bien que l’exploitation du numérique par des enseignants experts et créatifs puisse les libérer et leur permettre d’engager leurs étudiants de plus en plus en dialogue « Socratique ».

Le dialogue socratique est pratiqué... par des adultes. Nous revenons ici au constructivisme le plus décomplexé.

Le grand philosophe approuverait certainement.

On peut en douter.
Dernière édition: 04 Mar 2015 15:09 par archeboc.

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