Hauts et bas du classement de la « Chine »

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Largement en tête du palmarès 2012 de PISA, la « Chine » a vu sa performance régresser de façon spectaculaire en 2015, pour remonter tout aussi spectaculairement en 2018.

Un affaissement spectaculaire dans PISA 2015

En 2009 et en 2012, alors tout au sommet du classement PISA, la Chine − enfin plus exactement une toute petite partie de la Chine : Shanghai − avait été donnée en exemple au monde entier par l’OCDE pour son système scolaire ultra-performant (des élèves avec jusqu’à trois ans d’avance sur les élèves français  !) et en même temps son équité sociale hors du commun, déclassant même la Finlande, dont le déclin ne faisait que commencer. Une trop belle histoire, pour les trois raisons que nous avions déjà montrées ici.

Mais il y a une suite étrange.

Curiosité en 2015, Shanghai est désormais incluse par l'OCDE dans un nouvel ensemble de quatre provinces chinoises relativement privilégiées : le P.S.J.G. (Pékin, Shanghai, Jiangsu et Guangdong). Un tel changement rend évidemment complexe toute évolution comparative.

Il n'en reste pas moins que, quand on compare la performance du P.S.J.G. avec la performance de Shanghai en 2012, l'écart est sidérant : 73 points de moins en moyenne dans les trois domaines d'évaluation1, soit l'équivalent de presque deux années scolaires. Andreas Schleicher, directeur de l'éducation et des compétences à l'OCDE, avait pourtant assuré que les résultats de la Chine ne différaient pas de ceux de Shanghai.

Les résultats des quatre provinces restent très bons en culture mathématique (531 pts) et en culture scientifique (518 pts), mais bien moins impressionnants : en compréhension de l’écrit (494 pts), ils sont même largement inférieurs à ceux de la France (505 pts). Et encore : ces provinces côtières pratiquent elles-mêmes le hukou, cette ségrégation institutionnelle à l'égard des migrants chinois, sans compter que la plupart des autres provinces chinoises restent toujours oubliées par PISA, dans le cadre de l'accord spécifique de l'OCDE avec la Chine.

Plus édifiant encore : en 2016, la Chine n'est plus donnée en modèle d'équité par l'OCDE… bien au contraire ! En culture scientifique, par exemple, le pourcentage (18%) de la variation de la performance en sciences expliqué par le statut socio-économique des élèves (PISA 2015 I. 6.2) est assez proche du pourcentage du système éducatif français (20%), jusqu'ici considéré comme l'un des pires de ce point de vue. En somme, entre deux sessions PISA, la Chine serait passée d'un extrême à l'autre…

Un modèle éducatif... factice ?

Bien sûr, l'OCDE n'a guère communiqué sur ces écarts saisissants et on comprend bien pourquoi : c'est la démontration que, pendant six ans, un modèle éducatif factice a été donné en exemple au monde entier, assorti de toutes les préconisations libérales convenues. Et en passant sous silence tout ce qui pouvait mettre en cause ce modèle, à commencer par la pratique du hukou (nulle part mentionnée jusqu'ici dans les énormes volumes de PISA). Certains journaux attardés continuent d'ailleurs en 2016 de donner Shanghai en exemple2.

Pour donner le change en 2016, Andreas Schleicher a d'ores et déjà désigné un nouveau modèle : Singapour, petite cité-état de cinq millions d'habitants à peine plus grande que le territoire de Belfort. Malheureusement, selon l'enquête PISA elle-même, l'équité n'y vaut guère mieux qu'en France3.

Un rebond spectaculaire dans PISA 2018

Fort heureusement, après le malencontreux affaissement de 2015 que l'on pouvait attribuer à cet élargissement à quatre provinces, un petit miracle s'est produit avec PISA 2018, difficilement explicable, sauf peut-être par l'étonnant remplacement du Guangdong par le Zhejiang : le P.S.J.Z. (que certains médias continuent d'appeler « la Chine ») est ainsi passé de la 9e place à la 1e place du classement, avec des résultats de nouveau mirifiques : en une session PISA, les élèves de ce groupe de province ont progressé de 61 à 72 points selon les domaines, l'équivalent d'entre une et deux années scolaires, une progression jamais relevée par PISA dans aucun pays depuis 20004.

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On le voit : la « Chine » brille de nouveau !

Ces hauts et ces bas prouvent par leur incohérence combien les évaluations (et les modèles éducatifs) de l'OCDE sont à considérer avec circonspection. À commencer par le “modèle” de la « Chine ». Avec la complaisance de l'OCDE et du programme PISA, un modèle... de manipulation statistique !

@loysbonod

Article édité le 5 décembre 2019 avec les résultats de PISA 2018.


Notes

[1] Pour comparer les performances :

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On notera que dans PISA 2015, tout le haut du tableau est en nette régression.

[2] « L’Obs » du 7 décembre 2016 : «  Pisa : voici ce que les pays bien classés ont à nous apprendre »

[3] Le pourcentage de la variation de la performance en sciences expliqué par le statut socio-économique des élèves (PISA 2015 I. 6.2) est de 17%. La probabilité pour les élèves défavorisés d’obtenir une faible performance en sciences, par rapport à leurs pairs non défavorisés est même inférieure en France (PISA 2015 I. 6.9).Article

[4] Depuis 2000, un seul exemple de variation aussi spectaculaire : l'Argentine en 2015 (+72 points) puis en 2018 (-73 points). Il faut dire que, pour PISA 2015, seule la CABA (Ciudad Autonoma de Buenos Aires) avait été évaluée !

Voir aussi : « Washington Post » du 4 décembre 2019 : « China is No. 1 on PISA — but here’s why its test scores are hard to believe » avec Tom Loveless :

B-S-J-Z’s scores are 61 scale score points higher (494 versus 555) in reading, 60 points higher (531 versus 591) in math, and a whopping 72 points higher (518 versus 590) in science. How uncommon are differences like these? To answer that question, I examined PISA data from 2006-2015.

For each three-year test interval, I computed the changes for each country on the three PISA tests and converted them to absolute values. That produced 497 observations, with a mean of 9.5 points and standard deviation of 8.6.

So the typical change in a nation’s scores is about 10 points. The differences between the 2015 and 2018 Chinese participants are at least six times that amount. The differences are also at least seven times the standard deviation of all interval changes. Highly unusual.

 

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