L'affectation au lycée… à l'aveuglette !

20170325

Avec la réforme du collège, les notes ne sont pas supprimées mais, comme nous allons le voir, c'est tout comme.

Les notes sont d'abord devenues facultatives sur les bulletins scolaires. Les professeurs doivent en principe évaluer par compétences et peuvent, s'ils le souhaitent en plus, évaluer les élèves par notes. Une bonne façon de les décourager sans leur interdire : il fallait y penser.

Le "contrôle continu" du brevet 2017

Au contrôle continu du brevet (ou plus exactement ce qui en tient lieu sans l'être, puisque le livret de compétences évalue des compétences atteintes en fin de cycle), ne sont plus pris en compte que les paliers du socle (et non plus les moyennes annuelles), paliers convertis en points (c'est-à-dire… en notes) par domaine du socle, mais de curieuse façon :

Niveau de maîtrise Points au brevet
maîtrise insuffisante 10 points
maîtrise fragile 25 points
maîtrise satisfaisante 40 points
très bonne maîtrise 50 points

Une absence totale de maîtrise rapporte donc 80 points, soit presque autant que les épreuves finales de français et d'histoire-géographie (50 points chacune).

De plus, une "maîtrise" (désignant, selon le dictionnaire, une connaissance approfondie et sûre) peut donc être considérée comme "fragile" sans crainte d'aucune contradiction. Et cette "maîtrise fragile" comme suffisante pour rapporter 200 points au total, soit 57% des points nécessaires pour obtenir le brevet.

Rappelons que les compétences (par exemple "Comprendre, s'exprimer en utilisant la langue française à l'oral et à l'écrit") peuvent être évaluées par un professeur de n'importe quelle discipline.

L'affectation au lycée en 2017

Pour l'affectation au lycée (à travers l'opaque algorithme Affelnet), certaines circulaires académiques se font encore attendre. Comment les élèves de la voie professionnelles obtiendront-ils les filières qu'ils souhaitent, par exemple ?

D'ores et déjà, pour le choix du lycée dans la voie générale et technologique, un nouveau système se met en place dans l'improvisation, pour la plus grande joie des parents d'élèves et des élèves eux-mêmes1.

Première nouveauté : les compétences sont désormais prises en compte, avec une importance démesurée (400 points) par rapport aux moyennes disciplinaires (112 points au plus : voir tableau plus bas). Une moyenne catastrophique en mathématiques (5 points sur 16 au plus par exemple) est facilement compensée par la maîtrise satisfaisante d'un domaine du socle comme les "méthodes et outils pour apprendre" (50 points) ou bien la "formation de la personne et du citoyen" (50 points), des domaines de compétences bien nébuleux, le plus souvent évalués à la va-vite et toujours de façon bienveillante (parfois même en urgence par la vie scolaire ou le chef d'établissement en fin d'année).

Seconde nouveauté : les résultats disciplinaires eux-mêmes (sous forme de moyennes ou de niveaux de compétences) sont désormais pris en compte à travers sept champs disciplinaires. Certaines disciplines sont en effet globalisées : les langues vivantes, les disciplines artistiques, les sciences (sciences physiques, SVT, technologie et découverte professionnelle). Mais surtout les moyennes (ou niveaux de compétences) sont converties en quatre paliers de points, ce qui ne pourra que provoquer de nombreux cas d'égalité difficiles à départager :

Couleur
Note Groupe Points
blanc, jaune 0  ≤ note < 5 1 : objectifs non atteints 3 points
orange, vert 5 ≤ note < 10 2 : objectifs partiellement atteints 8 points
bleu, marron 10  ≤ note < 15 3 : objectifs atteints 13 points
noir 15  ≤ note ≤ 20 4 : objectifs dépassés 16 points

Encore une fois l'évaluation fine et précise, tout au long de l'année, par les professeurs est donc rendue totalement caduque.

Il est frappant de constater que ces quatre paliers non seulement ne correspondent pas à ceux du socle mais semblent fixés de façon arbitraire : pourquoi 8 points et pas 7 ou 10, par exemple ? On ne le sait pas. Mais le plus grave est que certains résultats disciplinaires des élèves se trouvent augmentés et d'autres diminués par ce nouveau système : un 10 devient par exemple un 13 et un 20 devient un 16.

Ce sont donc, dans une académie comme Paris où les élèves doivent choisir leur lycée dans de vastes secteurs, les affectations qui se risquent de se trouver bouleversées par ces nouveaux paliers, dont rien de rationnel ne semble justifier l'existence.

Deux simulations de points

Avec deux élèves d'une même classe, voyons un exemple d'aberration possible :

lsu 1

lsu 2

Par le jeu des globalisations et des conversions en quatre paliers arbitraires, un bulletin médiocre peut ainsi rapporter plus de points qu'un bon bulletin pour le choix du lycée.

Au manque de transparence de l'algorithme Affelnet, on s'apprête donc à ajouter le caractère nébuleux des compétences ainsi que des moyennes altérées. L'affectation au lycée ne manquera pas d'être plus arbitraire et injuste que jamais… et l'effet, dévastateur dans les classes. A quoi bon en effet les efforts ou le travail ?

Les professeurs, quant à eux, éprouveront toute l'inanité de leur notation pendant l'année, puisqu'à la fin les moyennes se trouvent tronquées et ne comptent plus que de façon marginale.

De fait, le but de toutes ces réformes est bien là : faire progressivement admettre aux élèves, aux parents et aux professeurs qui y sont attachés que les notes sont inutiles dans l'école moderne (après les avoir supprimées − avec quelle réussite ! − en primaire). Une réforme controversée ne s'impose-t-elle pas mieux à des acteurs qui ne la voient pas se mettre en place… ou qui finissent par la mettre en place d'eux-mêmes ?

Et, en effaçant les notes, ne supprime-t-on pas les inégalités ? Assurément, elles seront moins visibles tout en étant plus criantes.

@loysbonod


Notes

[1] "Le Figaro" du 16 mars 2017 : "À Paris, l’affectation au lycée suscite l’angoisse". A noter que l'article compte 600 points pour le dossier scolaire, or les compétences rapportent 400 points et les moyennes ne peuvent rapporter que 112 points…

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