Quinze ans de progrès trop beaux pour être vrais

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Chaque année, les taux de réussite et de mentions au diplôme national du brevet (DNB) de tous les collèges de France sont publiés par le ministère, avec une progression spectaculaire depuis 2006. Mais, pour la première fois en 2023, le ministère a également publié les résultats à l'examen du brevet 2022.

Ces résultats permettent de confirmer ce que savent tous les professeurs du secondaire : une grande partie des records récents dans les taux de réussite et dans les taux de mention au brevet est tout simplement factice.

Une progression spectaculaire depuis 2006

En une quinzaine d'années (2006-2022), le taux de réussite au DNB en France a progressé de 79% à 89%, frôlant de plus en plus la réussite de tous. Avec certains résultats spectaculaires : le nombre de collèges en France obtenant moins de 50 % de réussite au DNB est passé de 157 en 2006 à 1 en 2022. Inversement, trois fois plus de collèges (506) ont atteint 100 % de réussite en 2022.

Le taux de mention TB a, lui, été multiplié par six : un quart des collégiens obtiennent désormais la mention TB. La progression apparaît nettement avec l'aplatissement de la courbe :

Nombre de collèges par taux de mentions TB au DNB

Avec ces résultats exceptionnels, les résultats des collèges apparaissent bien lissés : l'immense majorité des collèges obtient désormais plus de 80 % de réussite au DNB.

Pourtant, quelques indices laissent penser que le niveau des élèves n'a guère progressé sur la même période. Alors, comment expliquer ce miracle ?

Il est bon de savoir que la réussite scolaire peut se piloter administrativement, y compris aux examens : le choix judicieux des sujets et des questions posées, les consignes de correction bienveillantes et les procédures d’harmonisation vers le haut y comptent pour beaucoup. Sans oublier le nouveau mode de calcul du brevet depuis 2017, avec un oral local (100 points sur 800) et à un socle de compétences dépourvu de sens (par ce qu'il évalue autant que par la façon dont il évalue) désormais prépondérant : 400 points sur 800 !

Par contraste, les résultats aux examens traditionnels, évalués anonymement, dans des disciplines précises (français, mathématiques, histoire-géographie, sciences) et avec des exigences identiques dans chaque académie, sont bien différents.

Dès lors, une décorrélation nette apparaît de plus en plus entre la réussite au brevet et le niveau scolaire réel.

L’exemple parisien

Limitons notre comparaison à un exemple restreint mais instructif : l'académie de Paris (dont nous avions déjà étudié les résultats au DNB 2015).

En 2006, les écarts de réussite au brevet étaient criants : un collège sur deux n'atteignait pas 80% de réussite. Dans quatre collèges parisiens, les élèves qui n'obtenaient pas le brevet étaient même majoritaires ! 

En 2022, seuls 23 sur 167 collèges obtiennent moins de 80% de réussite mais parmi ces 23 collèges, presque tous obtiennent plus de 70%. En apparence – et en apparence seulement –, le niveau de tous les collèges semble donc se valoir à peu près, dans une belle réussite républicaine.

Mais l'étude du taux de mentions TB et des résultats aux examens du DNB dit tout à fait autre chose.

Les collèges parisiens au DNB 2022

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Certes, près de la moitié des élèves (48%) obtiennent désormais la mention TB à Paris, beaucoup plus qu'auparavant, mais on voit que le taux de mentions TB varie grandement d'un collège à l'autre de Paris, de 10%... à 92% !

La moyenne obtenue aux examens du DNB confirme ces écarts puisque elle varie entre 06,7/20 et 16,6/20. Un écart alarmant quand on connaît les exigences relativement faibles des examens : dans un peu moins d'un quart des collèges parisiens, la moyenne aux examens est inférieure à 10/20. Il faut imaginer, d’un lot de copies à l’autre, le désarroi des enseignants corrigeant le brevet face à de tels écarts, et sommés d'harmoniser... ce qui ne peut l'être.

Comme nous l'avions vu ("La grande illusion"), le même constat peut s’appliquer au baccalauréat, dans lequel le contrôle continu au lycée ou le grand oral avec son jury naïf jouent désormais le même rôle que le socle de compétences au collège, parachevant la même inflation sans précédent des taux de réussite et de mentions depuis plusieurs décennies. A quoi vient s'ajouter – merveilleuse nouveauté numérique ! – le contrôle administratif des notes en lignes par d’autres que les correcteurs et les jurys de corrections.

Au brevet, le socle de compétences rempli en ligne permet, lui aussi, tous les miracles.

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Une des conséquences désolantes de cette réussite universelle au baccalauréat : la procédure de sélection dans le supérieur (Parcoursup) devient de plus en plus erratique, arbitraire et injuste.

Mais plus grave encore : les élèves eux-mêmes ne prennent plus au sérieux le DNB ou le baccalauréat. Car, avec ce renoncement institutionnel, ce sont les idées même d'attentes et d'exigences scolaires qu'on a enterrées.

@loysbonod

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