Un nouveau barème pour la réussite... de tous !

Le nouveau "barème graduel"Une proposition attractive de l'Inspection générale pour améliorer facilement les notes des élèves en dictée...

Après le langage SMS utile pour l’orthographe, voici venir la dictée moderne, la dictée positive, celle à laquelle on ne peut pas échouer ! Tous les médias se sont fait l’écho avec enthousiasme de cette solution numérique, innovante et quasi-miraculeuse[1].

Il est vrai que les sujets de dictée ridiculement courts ou faciles au Brevet des collèges de ces dernières années devenaient un peu trop voyants.

Le groupe Lettres de l’Inspection générale a donc proposé ce 1er avril 2014 un tout nouveau « barème graduel de correction »[2], promis à un grand succès. Ce barème ascendant se présente en effet sous la forme d’un tableur logiciel à paramétrer à chaque nouvelle dictée : il faut entrer le barème spécifique de chaque texte, en indiquant pour chaque mot le ou les types d'erreurs possibles, recopier dans le tableur la copie de chaque élève avec toutes ses erreurs, rectifier le calcul des erreurs pour chaque mot pouvant comporter plusieurs types d’erreurs... et cette véritable usine à gaz calcule, en toute simplicité et automatiquement, une note statistiquement meilleure !

La Vie moderne a expérimenté cette nouvelle évaluation positive, qui — n'en doutons pas — permettra de combattre efficacement les difficultés orthographiques de nos élèves.

Pour s’en convaincre, voici une copie imaginaire, comportant rien moins que vingt-neuf fautes et qui aurait obtenu, avec ce nouveau barème graduel, la moitié des points au Brevet des collèges 2013 :

 Le nouveau barème graduel

Cette évaluation positive, supposée plus pédagogique et moins « décourageante » pour l’élève (ce qui ne manquera d’étonner puisqu’elle a été expérimentée... à un examen de fin de cycle, le Brevet !) permettrait de mieux « cerner quelles sont ses difficultés orthographiques et quels remèdes y apporter ».

Or elle repose sur un postulat étrange : les erreurs sont réparties en trois grandes catégories distinctes, comptées à égalité (accords dans le groupe verbal, accords dans le groupe nominal, lexique). On peut donc obtenir les deux tiers des points à une telle dictée en commettant le maximum possible d’erreurs dans une catégorie (par exemple soixante-neuf erreurs lexicales ou plus dans une autre version de la dictée ci-dessus)... comme si l'orthographe d'un texte ne formait pas un tout !

Le nouveau barème graduel

Ces catégories ne peuvent par ailleurs que laisser perplexe : rien dans ce barème, qui postule que les élèves savent séquencer les mots correctement, ne permet d’identifier certaines erreurs parmi les plus courantes, comme les homophones ou les erreurs de conjugaison, sans parler de certaines fautes de syntaxe (l'infinitif après un verbe ou une préposition).

Dernière étrangeté : les erreurs sont décomptées par tranche. Une dictée avec seize erreurs peut ainsi obtenir la même note qu'avec vingt-neuf : c'est effectivement plus « lisible » et plus « encourageant » !

Si, conformément à la loi pour la refondation de l'école de la République[3], cette évaluation sera bien « positive » pour les résultats, lesquels ne pourront que s'améliorer spectaculairement, rien n’indique qu’elle le sera pour les élèves car elle risque bien non seulement de masquer le naufrage orthographique que l'on constate en fin de scolarité obligatoire et dont l'École est en grande partie responsable... mais même d'y contribuer encore un peu plus.

Mais soyons positifs nous-mêmes : nul doute qu’avec un tel barème les élèves retrouverons le goût de l’exigence orthographique. Et qu’importe s’ils ne le retrouvent pas, la réussite sera toujours au bout du chemin et c’est bien l’essentiel dans l'école moderne !

@loysbonod


Notes

[1] « Le Point » du 10/04/14 : « Les zéros pointés en dictée, une pédagogie pas très efficace » ; « Libération » du 10 avril 2014 « Dictée : comment éviter de décourager les élèves » ; « Le Figaro » du 10 avril 2014 « Dictée : la fin des zéros pointés pour les fautes d'orthographe » ; « Le Nouvel Observateur » du 14 avril 2014 « La fin de la dictée-punition à l'école ? » ; « La Croix » du 14 avril 2014 « Un nouveau logiciel pour ne plus avoir zéro en dictée » ; « Le Monde » du 15 avril 2014 « La fin du zéro pointé « non mérité » en dictée » etc.

[2] Eduscol, « Un barème graduel de correction de la dictée » le 1er avril 2014

[3] Loi n° 2013-595 du 8 juillet 2013 d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République : « privilégier une évaluation positive, simple et lisible, valorisant les progrès, encourageant les initiatives et compréhensible par les familles ».