Autopsie d’une déraison collective

20200901 modedegrade

Avec la pandémie de 2020 et le premier confinement, c'est la société toute entière qui a vécu, en six mois, une sorte de petit traumatisme. Mais, s’agissant des enseignants, ce traumatisme a eu quelque chose de plus spécifique, et qui mérite qu’on s’y attarde un peu.

La crise que nous traversons a d’ores et déjà été éprouvante, sidérante mais, à bien des égards – et pour peu qu’on prenne un peu de recul – pleine d’enseignements. Elle a jeté une lumière blafarde sur des évolutions glaçantes de notre école, qu’elle a même semblé précipiter.

La plus évidente de ces évolutions a été celle de l’école numérique (confondue d’ailleurs très souvent, volontairement ou non, avec l’école à distance), évolution ou plutôt régression que nous critiquons ici depuis presque une décennie1. Avec l’urgence sanitaire, puis scolaire, l’heure n’a plus été à la salutaire critique de l’école numérique, mais, au contraire, à sa mise en œuvre la plus brutale.

Pour appeler ces évolutions, une foule de voix sinistres, trouvant soudain de l’écho, se sont pressées pour se faire entendre, que l’anxiété, la maladie ou la mort n'ont pas rendues plus ténues ou plus humbles, mais au contraire – et en toute indécence – plus déchaînées et plus cyniques que jamais.

Cette analyse s’en veut une tentative de synthèse (autant que faire se peut, tant cette période a été monstrueusement prolifique) pour mettre en lumière, derrière les belles intentions solidaires et réformatrices, des projets désespérants qui entendent, en se saisissant de l’opportunité pandémique et numérique (confondues dans un même « virus »), poursuivre, et aggraver, et accélérer cette dégradation de l’école que nous avons sous nos yeux.

Le but plus ou moins consciemment formulé de cette analyse ? Dans la perspective de l’année scolaire – et sans doute de la décennie – à venir, offrir des outils de défense intellectuelle et morale pour nous sortir tous de la sidération numérique. Comme disait, à propos des enfants et des écrans, le philosophe de la technique Bernard Stiegler, qui vient de nous quitter en août 2020 :

« Nous sommes en guerre [...] et, quand on est en guerre, il faut former des combattants »


Sommaire

 Déroulez ici le sommaire

 

 

Le mythe de la « continuité pédagogique »

La « continuité », le déni et l’illusion

« On est préparés »

Quelle continuité ?

Une aberration pédagogique

Mettre l’école à distance

Une continuité factice

Pandémique obsession

Le fiasco inavoué de la continuité

Des enquêtes (un peu trop) enthousiastes

Un fiasco... technologique

Un échec invisible… et indicible

L’EdTech en surchauffe

« Un moment de bascule fabuleux »

Le retard français

La stratégie du choc

Un effet d’aubaine

L’après-crise en ligne de mire

Modernité, solidarité... porosité

Une EdTech française et philanthropique

Drôles de mélange des genres

Deux exemples de désintéressement

L’école étrangement « augmentée »

Le grand soir du numérisme

Le triomphe des écrans à la maison

Des hérauts aux héros du numérique

La crise, opportunité pour l’école numérique

Le retard dans l’équipement et dans la formation

« La révolution numérique » et la stratégie du choc

La déception face aux « outils » numériques

Le grand moment numériste

La critique étouffée

Une transformation inespérée de l’éducation

Un haro indécent sur le système éducatif

« La normalité, c’était l’erreur »

Les examens à la casse

Changer l’évaluation

La contrainte de la classe

À quoi bon les disciplines scolaires ?

Le consumérisme scolaire comme horizon

La fin (espérée) de l’école

Vers le constructivisme et au-delà !

Nouvelles technologies, nouvelles pédagogies

Le choc éducatif

La ludification

Plus de « professeur »

Les élèves enfin « acteurs » !

Valeur(s) de la coopération

Continuité… ou « transition éducative » ?

De l’enseignement à « l’apprenance »

De nouvelles compétences

Scénarisation et empathie

Vers un nouveau management des enseignants

Un stakhanovisme de crise

« L’enseignant augmenté »

La mise en concurrence de tous avec tous

Les badges gadgets

Le nouveau contrôle de la productivité

Les enseignants, boucs émissaires

Un travail très virtuel

Retour en classe : le « refus de travail »

La polémique sur les professeurs « décrocheurs »

La litanie de l’adaptation

Faire l’impossible

« S’adapter », « se réinventer »

« L’accompagnement » au changement

Notre servitude volontaire

L’enseignement, un télétravail comme un autre ?

Le télétravail généralisé ?

Des conditions de télétravail dégradées

Ce que la « classe virtuelle » veut dire

De la contingence à la pérennité

Un modèle pédagogique ?

Un conception très virtuelle de la pédagogie

Le compromis « hybride »

Un modèle d’avenir

Le cauchemar d’une société sans école

Quelle rentrée ? quel avenir ?


 

 

De nombreuses coquilles doivent émailler encore ce très long billet : malheureusement, la rentrée et l'absence de décharge (!) ne m'ont pas donné le temps nécessaire pour tout corriger. Les renvois vers les notes ne sont pas encore actifs : patience !


Le mythe de la « continuité pédagogique »

C’est peut-être ce qui a saisi le plus les enseignants, en même temps que la brutalité d’un confinement généralisé qui ne devait pas avoir lieu : la brutalité d’une « continuité pédagogique » sans cadre et sans précédent.

La « continuité », le déni et l’illusion

« On est préparés »

En février 2020, Jean-Michel Blanquer, le ministre de l’Éducation nationale, s’était voulu rassurant : « On est préparé sur l'enseignement à distance, déclenchable au cas par cas, ou massif si ça devait prendre des proportions plus importantes. » 2

Ces annonces optimistes et volontaristes ont été relayées par des médias peu critiques, et à vrai dire peu conscients de ce qu’est l’enseignement, l’imaginaire technologique prenant magiquement le relais. Ainsi, pour Marie-Estelle Pech du « Figaro », « un téléphone suffit » :

« En français, lorsqu’une explication de textes est fausse, la plate-forme le notifie à l’élève pour qu’il se corrige, etc. Tout est automatisé. »3

Une préparation valant, en réalité, injonction pour les enseignants ainsi sommés d’être prêts lors même qu’ils ne pouvaient pas l’être. De fait, dans le contexte pandémique, l’expression « continuité pédagogique » n’a fait son apparition sur le site du ministère qu’à partir du 1er mars 20204 et le ministre lui-même, quelques heures encore avant l’annonce présidentielle du 12 mars 2020, répétait invariablement : « Fermer les écoles n'est pas la stratégie adoptée. »5

L’épidémie de 2009 n’était pas allée si loin. C’était, en France et dans de nombreux pays dans le monde, une première. Peu importe : à la brutalité du confinement, le ministre a ajouté la brutalité de l’injonction à la « continuité pédagogique » : « Ce ne sont pas des vacances »6.

Et 870.000 enseignants sont ainsi, du jour au lendemain, devenus les télétravailleurs qu’ils n’avaient jamais été. Mais peu importe : Nicolas Saulais, professeur intervenant dans « La Maison Lumni » (« France 4 ») a répondu à l’appel du ministre, au propre comme au figuré :

« je crois que ce sont plutôt des cours gagnés que des cours perdus parce qu’il y a une continuité pédagogique qui s’opère réellement. Et là, on s’aperçoit de l’enthousiasme de chacun, de la ténacité de chacun et on est en train de développer des choses qui sont absolument fascinantes et qui vont probablement changer le monde après la crise . »7

Pourquoi et comment a-t-on postulé que la « continuité » de l’enseignement serait possible à distance – pire : exigible – dans l’éducation, un métier de présence humaine s’il en est ?

D’abord du fait d’une exigence habituelle et attendue, celle de la continuité du service public. Mais surtout parce qu’on a imaginé, naïvement, qu’apprendre, étant un acte dématérialisé, pouvait par conséquent se faire de façon dématérialisée.

L’expérience a montré, comme nous le verrons, l’aberration de penser que l’enseignement pourrait être un télétravail comme un autre. Après six mois, on pouvait espérer un certain recul critique sur cette période d’enseignement si particulière, un recul fondé par exemple sur les retours des enseignants.

Il n’en a rien été. En juillet, la circulaire pour la rentrée de septembre l’a assuré : « un plan de continuité pédagogique sera mis en place pour assurer l'enseignement à distance . »8 Et le ministre de l’Éducation nationale a répété inlassablement, à la veille de la rentrée de septembre 2020 : si les écoles ferment, « nous y sommes prêts ». Et même « nous sommes préparés à tout. »9

En une demi-année, rien n’a changé.

Quelle continuité ?

Il fallait également s’interroger sur ce terme lourd de sens : « continuité », c’est-à-dire absence d’interruption : il y a évidemment eu interruption, non seulement de l’école mais de la société toute entière ou presque, et ce, à un degré inédit.

De ce point de vue, injonction politique ou fait psychologique, la volonté de continuer, faisant abstraction de la sidération psychologique de tous – élèves, familles, professeurs – et de la saisissante dégradation des conditions de travail scolaire de tous, s’apparentait à une forme de déni collectif.

Mais au-delà de ce déni, la définition même de cette « continuité » a posé problème : s’agissait-il simplement de « maintenir un lien » avec les élèves, en mode dégradé, ou bien de « continuer » l’école, en la déplaçant à la maison ? Si le ministre a reconnu assez vite que « l’enseignement à distance ne remplacera jamais l’enseignement en présentiel »10 , quel sens d’employer le terme « continuité », d’autant que la suppression des notes, puis des examens entamaient grandement cette continuité ?

Pour le « vade-mecum de la continuité pédagogique »11 publié le 1er avril 2020 :

« Chaque professeur doit prendre toutes dispositions utiles pour assurer la continuité pédagogique avec les élèves, en lien avec les parents. Il conserve les mêmes missions de conception de son enseignement et de mise en place d’activités pédagogiques et éducatives adaptées à ses objectifs, mais à distance .

Avec le recul, Philippe Champy a parlé plus justement d’un « accompagnement pédagogique d’urgence »12, dessinant un horizon éducatif plus humble, mais plus pragmatique, en restreignant lucidement, par exemple, le travail scolaire à des formes de réinvestissement des acquis. Le vade-mecum restait équivoque :

« La continuité pédagogique est destinée à s’assurer que les élèves poursuivent des activités scolaires leur permettant de progresser dans leurs apprentissages, de maintenir les acquis déjà développés depuis le début de l’année (consolidation, enrichissements, exercices...) et d’acquérir des compétences nouvelles lorsque les modalités d’apprentissage à distance le permettent. »

Mais, dans le même temps, « CanoTech » (Canopé) assurait que sa bibliothèque de ressources et d’accompagnement en ligne visait à « permettre aux élèves de la maternelle à la terminale de continuer à progresser dans les programmes et à développer leurs connaissances, malgré la fermeture des établissements. »13

En juillet 2020, enfin, une fiche sur la « continuité pédagogique » indique :

« La continuité pédagogique à distance doit permettre de maintenir un lien pédagogique entre les professeurs et les élèves, d’entretenir les connaissances déjà acquises par les élèves tout en permettant l’acquisition de nouveaux savoirs. »

On le voit : la continuité était exigée, sans qu’on sût bien de quelle continuité il s’agissait.

Des voix ont bien dénoncé le leurre de la « continuité pédagogique », de Christophe Leterle14 à Thomas Schauder, Claire Pignol, Amélie Hart-Hutasse, Christophe Cailleaux, Nicolas Offenstadt ou François Jarrige, mais combien ont été entendues ?

«  Il faut d’abord reconnaître que, pour l’essentiel, nous ne pouvons plus enseigner . Puisque nous ne sommes pas enjoints, comme les soignants, de poursuivre notre travail en dépit des risques de contagion, puisque l’on prétend, contre toute expérience, que nous pouvons continuer d’enseigner dans les conditions actuelles, il faut comprendre qu’il s’agit surtout de faire semblant et que notre travail n’appartient pas – c’est peut-être regrettable – aux activités jugées nécessaires, comme la distribution alimentaire ou les soins aux malades. »15
« Dans les faits, personne n’était prêt. Immédiatement, personnels, parents et élèves ont été confrontés à la réalité d’une vraie rupture, d’autant plus brutale qu’elle ne fut en rien préparée, et continue d’être niée par l’usage du terme même de « continuité. » »16
« Le risque, c’est que ces PDF, ces Moodle, toute cette agitation passe de l’exception à la norme. “Après tout, ça s’est bien passé, non ?” Non ! »17
« C’est un mythe total de parler de continuité pédagogique à l’université. On peut apporter une aide, un contact, mais pas une vraie continuité. »18
« Nous vivons à l’école comme ailleurs une situation de profonde discontinuité . Nos dirigeants politiques et économiques refusent d’en prendre acte, préférant accélérer le cours mortifère de leurs politiques. »19

Il est à peu près certain qu’aucun bilan pédagogique ne sera véritablement tiré de cette période erratique mais, précisément, peu importe : l’essentiel était de sauver les apparences scolaires, et s’il y a bien un art dans lequel l’institution scolaire excelle depuis longtemps, c’est celui de faire semblant.

Une aberration pédagogique

Le télétravail, selon ses promoteurs même les plus convaincus, a ses limites : il peut bien s’appliquer à des conférences à distance, au développement informatique ou au traitement de documents à distance, par exemple, mais beaucoup moins sûrement à un acte aussi complexe que celui d’enseigner. Et encore moins que celui d’apprendre, car au fond – perdant toute raison – nous avons demandé aux élèves, à des enfants ou des adolescents, de télétravailler comme des adultes !

Mettre l’école à distance

Pire, ce télétravail a été exigé dans des circonstances – la pandémie et le confinement – le rendant aberrant. Mais peu importe : l’injonction à la « continuité pédagogique » a été suivie avec empressement par les « Cahiers pédagogiques » qui ont lancé en avril un « petit abécédaire pour questionner la continuité pédagogique »20 à distance, ou bien par un syndicat enseignant "progressiste", le SE-Unsa, qui a même devancé, le 8 mars 2020, les demandes du ministre en fournissant de longues listes copiées-collées de « ressources et idées pour la continuité pédagogique »21 avant de dispenser le 20 mars 2020 – face au découragement des collègues – « des conseils de survie pour la continuité pédagogique. »

Mais, comme nous le verrons en particulier pour la « classe virtuelle », la pédagogie suppose avant tout de prendre en considération les conditions de son exercice.

Comment pouvait-on ignorer l’anxiété causée par la diffusion rapide d’une pandémie mondiale et par un confinement strict et sans précédent ? Comment pouvait-on nier la difficulté à lire, penser, travailler dans ces conditions ? Comment pouvait-on ignorer la disparité des situations familiales, qu’il s’agisse des inégalités d’accompagnement scolaire, de logement, de matériel ou qu’ils s’agisse des situations d’éloignement, de séparation familiale, de mise au chômage, de perte d’emploi et parfois même de maladie ou de mort ?

La conscience professionnelle des enseignants et l’impératif de la « continuité pédagogique» ont provoqué, dès la première semaine de confinement, un débordement désordonné du travail scolaire, à travers des messages innombrables et une communication éclatée en une multitude de canaux différents, des injonctions contradictoires, une confusion généralisée. Certains ont programmé des classes virtuelles pendant des jours fériés ou même pendant les vacances. Dans le supérieur, où nombre d’enseignants ont voulu d’abord transposer à distance ce qu’ils faisaient en présentiel, les étudiants ont semblé « plus sous pression par leurs études que par la crise qui frappe dehors. »22

En supposant qu’elle fût possible, la « continuité pédagogique » aurait dû, au contraire, exiger au minimum une pause scolaire, une suspension d’une ou plusieurs semaines et pour mieux penser organiser un cadre de travail à distance clair, cohérent, mesuré et équilibré pour les élèves.

Dans les premiers temps du confinement, la nécessité était moins d’assurer l’enseignement à distance, que de mettre l’enseignement à distance.

Une continuité factice

Sur le plan institutionnel, la « continuité pédagogique » a même conduit à l’étrange aberration pédagogique d’une continuité... sans aucun lien avec les élèves. Le ministère a labellisé « Nation apprenante »23 à la chaîne des contenus éducatifs produits par des chaînes télévisées, des radio publiques et privées, et même la presse écrite, voire des contenus recyclés. Et tant pis si, au delà de la médiocrité de certains contenus produits dans l’urgence (du « rap n’classe » pour réviser la guerre froide dans « La Maison Lumni »24 à la désolante série « Écoutez révisez [l’oral du baccalauréat de français] » sur « France Culture »25), la programmation d’une chaîne de télé ou de radio (« une demi-heure par niveau et une heure pour les CP »26 pour « La Maison Lumni » par exemple) n’est pas et ne peut pas être la programmation d’un travail en classe, adaptée à un public scolaire particulier, à une progression particulière, sous la conduite d’un professeur particulier.

Peu importe : les données médiamétriques attesteraient du succès pédagogique de la télévision scolaire. La grande majorité de l'audience... n'était pas même scolaire !

« 2,5 millions d’enfants, dont beaucoup d’élèves de primaire, usent du dispositif sur une audience totale de 9,5 millions de téléspectateurs, plus large que la cible habituelle des 4-14 ans, puisque nous couvrons aussi le lycée. »

Le numérique aurait même permis d’assurer une personnalisation de l’enseignement – meilleure sans doute que ne fait l’école – en fournissant des contenus à la demande.

« La complémentarité entre les antennes linéaires et le numérique permet de rendre disponibles les contenus à la demande, et de faire en sorte que les élèves aillent à leur rythme et puisent dans ces ressources en fonction de leurs besoins . »

« Nous avons besoin d’un Netflix pédagogique » a même déclaré avec enthousiasme Stanislas Dehæne, le président du conseil scientifique de l’éducation nationale (CSEN).

Pandémique obsession

L’aberration pédagogique a également pu conduire à des choix ou à des conseils pédagogiques atterrants.

À des élèves strictement confinés dans l’appartement familial, on a ainsi demandé de méditer sur leur confinement, de le représenter, de le décrire, de le raconter (en suivant même l’exemple d’« Anne Frank, célèbre confinée »27). L’association « La Main à la pâte » a proposé tout un dossier sur l’exploitation pédagogique de la pandémie, le conseil scientifique de l’éducation nationale (CSEN), de prendre l’épidémie pour thème dans toutes les disciplines.

« Plutôt que de terminer le programme scolaire, mieux vaut « favoriser la compréhension de l’actualité, éduquer à trier l’information et à adopter les gestes responsables », écrit le CSEN, qui identifie « une discipline émergente » dans « l’éducation à la lecture critique des médias ». »28

De même, à des enseignants stagiaires débutant dans le métier, on a demandé d’analyser, « dans un cours portant sur le changement en éducation » « ce que le confinement a changé pour eux sur le plan pédagogique. »29

Le fiasco inavoué de la continuité

« Nous avons réussi le défi de l’enseignement à distance » a proclamé avec enthousiasme Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale dès le 3 avril 202030, au point qu’on pouvait se demander pourquoi dès lors convoquer des « états généraux de l’école numérique ».

La circulaire de rentrée 2020 a également salué cette réussite, même si les ambitions de la « continuité pédagogique » ont pu apparaître plus modestes :

« Grâce au travail de tous, la France a eu l'un des plus faibles taux de décrocheurs en Europe, un enseignement à distance salué par les parents et l'un des déconfinements scolaires les plus volontaristes. Notre réussite tient à cet engagement collectif, à un esprit d'équipe. Notre action a permis de limiter les conséquences du confinement sur le niveau des élèves et de maintenir le lien avec l'institution scolaire »8

Des enquêtes (un peu trop) enthousiastes

Des enquêtes ont pu sembler donner raison au ministre.

Un sondage « Opinion Way »31, par exemple, publié en juillet 2020, a salué « l’enseignement à distance comme une expérience positive » (amalgamé ailleurs avec « l’adoption des nouvelles technologies dans les écoles »), confondant tous les niveaux d’enseignement, du primaire au supérieur. L’intitulé en était le suivant : « Les Nouvelles Frontières de l’Enseignement Supérieur - Redéfinition du rôle de l’enseignant, égalité des chances et transition digitale : les trois défis à venir pour l’enseignement supérieur ». Deux aspects précis montrent toute l’inanité de cette simple « enquête » menée par une école de commerce, l’EDHEC, et « l’Institut Montaigne » (promoteur de longue date du numérique scolaire32) :

« 67 % des Français interrogés de plus de 15 ans ont vécu l’enseignement à distance comme une expérience positive. »33

Excluant donc la plus grande partie des élèves, l’enquête ne porte pas spécifiquement sur les étudiants ou à tout le moins les parents d’élèves, et interroge le reste des Français sur une expérience... qu’ils n’ont pas pu vivre. Pire : l’essentiel de l’enquête a été mené... en janvier 2020 : curieux bilan tiré par « Le Figaro » dès lors : « force est de constater que de nombreux étudiants y ont pris goût » !

Plus sérieusement, le ministère peut s’appuyer sur une enquête de la DEPP publiée pendant l’été34. Si l’enquête conclut, dans son intitulé, que « les élèves ont appris de manière satisfaisante », il faut ajouter beaucoup moins « satisfaisante » au lycée professionnel (pour 58 % seulement des enseignants) et en éducation prioritaire en primaire (64 %) ou au collège (49 %), c’est-à-dire auprès des publics scolaires les plus fragiles.

Mais il faudrait surtout préciser : « de manière satisfaisante »... compte tenu des conditions dégradées imposées par les circonstances aux professeurs et aux élèves car dans le détail, 66 % seulement des parents de collégiens et de lycéens ont estimé que leur enfant avait maintenu son niveau d’apprentissage, 41 % qu’il a progressé dans les apprentissages : dans des circonstances normales, une absence de progrès dans les apprentissages n’aurait sans doute pas été considérée comme « satisfaisante ». L’enquête montre d’ailleurs, a contrario, la lucidité des enseignants, peu convaincus de l’incidence positive de la « continuité pédagogique » sur la quantité de travail fourni par les élèves et sur la motivation scolaire.

Ironie du sort : les premiers, dans les médias, à exiger la continuité promise ont aussi été les premiers à réclamer le retour en classe. Il semblerait que les familles les plus consommatrices d’école (« C'est nous, les parents, qui sommes en première ligne du travail scolaire [...] J'ai très peu de temps à consacrer [à mes enfants] »35 ; « Comme si on avait le temps de s’occuper de nos enfants » avec le télétravail36) ont été quelque peu « déçues par la classe à distance ».

Jean-Michel Blanquer a d’ailleurs semblé pris à ses propres contradictions, vantant la satisfaction des parents à l’égard de l’enseignement à distance37 et, en même temps, « l’urgence sociale » de la reprise de l’école38.

Contre toute attente, même les cours particuliers ont montré les limites de l’enseignement à distance :

« Julien Dubos, professeur de cours à domicile indépendant à Paris, n’a quant à lui « pas du tout travaillé pendant le confinement ; car je ne crois pas du tout à l’utilité du cours particulier en distanciel. Et visiblement les familles non plus. » »39

Une enquête de vaste ampleur, menée par deux sociologues, Romain Delès et Filippo Pirone, a montré que « L’école à la maison » est un « amplificateur des inégalités scolaires »40 : « Malgré le travail des enseignants, la distance matérielle fait obstacle à l’explicitation des attendus, des consignes, des savoirs engagés dans les exercices scolaires ». Dans l’école à distance, les interactions et les rétroactions si nécessaires font malheureusement cruellement défaut.

Bref, une « réussite » qui masque ce que tous les enseignants ont pu constater : l’impossibilité de faire aussi bien qu’en classe.

Mais est-il seulement possible, dans une école qui veut devenir numérique, d’interroger l’explication la plus évidente : la faiblesse intrinsèque de l’école à distance ?

Un fiasco... technologique

Une autre explication, on le verra, a été avancée : le manque de formation et même d’investissement des enseignants. Pourtant le naufrage technologique était sous nos yeux.

On pouvait évidemment prévoir l’échec pédagogique la télévision scolaire, censée pallier la fracture numérique. Son échec en classe avait déjà été historique41 : que fallait-il en espérer de la télévision scolaire à la maison ? Bien naïvement, Stanislas Dehæne s’est interrogé :

« Avec les outils de la télévision comme Lumni, les élèves ont-ils réussi à résister au confinement ? »42

Mais s’agissant des outils proprement numériques, la continuité pédagogique a commencé par une immense naufrage technologique. La première montée en charge des environnements numériques (ou personnels) de travail (ENT) a ainsi été un échec retentissant : saturation, connexion impossible, indisponibilité. Dans la plupart des régions, il a fallu imposer un planning de connexion (« réorganiser les modalités d’accès »), mettre en place des quotas pour limiter le nombre d’utilisateurs connectés.

« La défaillance de ces ENT [...] a contraint les familles à se tourner vers d'autres plateformes pour trouver des supports pédagogiques. »43

Nombre de professeurs du secondaire, soucieux d’assurer au plus vite la « continuité pédagogique », se sont tournés vers des « solutions » plus fiables ou plus familières des élèves (Zoom, Discord, YouTube, Teams, Google Apps) voire vers des réseaux sociaux (Facebook, WhatsApp, Instagram). Dans le primaire, en l’absence d’ENT, les professeurs se sont tournés vers des acteurs privés comme Klassroom ou MonEcole (cf infra).

Selon le Conseil scientifique de l’éducation nationale (CSEN), les causes de ce fiasco non avoué ne seraient pas structurelles mais conjoncturelles :

« La crise a conduit à un bouillonnement de créativité numérique (logiciels, émissions de télévision ou de radio…), mais elle a également révélé le manque d’équipements numériques, de coordination inter-académies et de formation des enseignants à l’utilisation optimale des outils numériques »41

A part sur le manque de coordination peut-être, c’est se tromper d’analyse. Au delà des défaillances techniques plus ou moins contingentes, la médiocrité des outils mis à disposition ou – plus exactement – imposés aux enseignants (et sur lesquels ils n’ont pas la main, s’exposant par exemple à la disparition brutale des contenus qu’ils y déposent) a éclaté au grand jour : peu fiables, peu ergonomiques, parfois confus pour les élèves, contraignants, très limités dans leurs possibilités, parfois verrouillés.

C’est notamment le cas des ENT, par bien des aspects obsolètes depuis leur origine. Les possibilités pédagogiques sont médiocres et très réduites : dans la pratique, les professeurs ne les utilisent que pour saisir les retards et absences, entrer les notes, remplir les bulletins, plus rarement pour communiquer avec les élèves. Et même cette communication ne peut se substituer à un lien scolaire : « Cent cinquante des 550 élèves de mon collège ne sont pas connectés sur le logiciel Pronote »44

Le seul bilan vraiment utile aurait été celui de la médiocrité de ces « outils » numérique : il n’aura sans doute jamais lieu.

Mais même si les « outils numériques » fonctionnaient parfaitement, même s’ils étaient conçus de façon pertinente et intelligente, ne nous y trompons pas : l’école à distance resterait une immense régression. Comme le dit le sociologue Bernard Lahire :

« La vision technologique de la continuité pédagogique est une vision désincarnée, hors sol, qui empêche de voir ce qui se joue concrètement dans la période que nous traversons. »45

Un échec invisible… et indicible

On a beaucoup évoqué les professeurs « décrocheurs » (dans une séquence médiatique que nous analyserons plus loin), mais on a beaucoup moins analysé le profil des élèves décrocheurs, et les raisons de ce décrochage.

Évidemment, les élèves les plus éloignés de l’école (et souvent des usages numériques) se sont trouvés plus mis « à distance » que jamais, mais on a également pu observer l’inéluctable décrochage d’autres élèves, peut-être même plus nombreux :

« Mais, et c’est là le plus grave pour ces enseignants, tous ont aussi assisté à l’éloignement inexorable, voire à la perte d’une partie de leurs élèves ; parfois la majorité dans les territoires les plus défavorisés. Ceux qui sont restés injoignables et qui sont les plus faciles à remarquer. Mais aussi ceux qui sont habituellement portés par la pédagogie de leurs professeurs ou la dynamique de leur classe et qui ont perdu le fil malgré leurs efforts. Ou encore ceux pour lesquels le personnel enseignant, du fait de la distance, n’a pas pu repérer les inattentions, incompréhensions, pertes de motivation. »46

Au delà de la suppression des notes, sans doute l’impossibilité à distance d’un lien direct avec l’enseignant, de réelles rétroactions personnalisées y est-elle pour quelque chose, tout comme le sentiment de déréalisation d’un travail scolaire surgissant à tout moment et inopinément, de façon décourageante, dans les messageries scolaires des élèves.

« Eliott a été en grande souffrance, pas anxieux de la maladie, mais de l’enfermement. Perte de repères, de rythme, très rapidement, il a déclaré que s’il n’allait pas à l’école, il était hors de question qu’il « s’emmerde » à faire des devoirs à la maison. Son enseignant, après plusieurs appels au secours, a fini par organiser une visioconférence quotidienne de quarante-cinq minutes. Alors pour préparer la séance, Eliott a bien voulu sortir peu à peu du monde parallèle dans lequel il s’était réfugié. Renée semblait mieux tenir le choc, jusqu’à ce qu’elle craque complètement. Soudainement, elle a cessé toute activité d’apprentissage , n’a plus attendu que le moment où l’on allait enfin sortir de l’appartement. »47

Un exemple de cette déréalisation de l’école a été apporté avec cette petite fille américaine de huit ans à qui manquaient les récréations et son enseignante et qui se demandait si tout le monde ne l’avait pas oubliée... si elle existait encore. Pour le chercheur américain Robert Slavin, la lettre désespérée de sa mère a été le point de départ d’une prise de conscience sur le non dit de l’école à distance :

« Toutes les personnes en lien avec l’école en semblent conscientes mais évitent d’en parler. C’est comme si un épais voile de culpabilité invisible empêchait de discuter librement de ce qui se passe concrètement dans l’enseignement à distance. Les parents se sentent coupables parce que se croyant défaillants s’ils ne parviennent pas à mettre leurs enfants au travail à distance . Les enseignants se sentent coupables parce qu’ils refusent d’admettre qu’ils ne parviennent pas à obtenir d’ attention de la part de davantage de leurs élèves. Les personnels de direction veulent donner l’impression de faire quelque chose, n’importe quoi, pour lutter contre les effets des fermetures d’écoles prolongées. C’est pourquoi , alors qu’ils parlent de leurs besoins d’obtenir plus d’équipements et d’offrir aux enseignements plus de formation professionnelle, ils ne souhaitent pas évoquer le cas de s enfants qui ont des équipements mais n’en tirent pas grand-chose. »48

Comme tout mythe, celui de la « continuité pédagogique » a ses utilités. La première d'entre elles a été commerciale.


L’EdTech en surchauffe

Nombreux, nous l'allons voir, ont été les « enseignants innovants » sur le pont de la « continuité pédagogique » : à  défaut de croire en leur perspicacité, on peut néanmoins croire en leur bonne foi. C’est plus difficile quand il s’agit de cadres de startup ou de représentants de l’EdTech (le secteur de la technologie consacré à l’éducation). Avec mille « solutions » pour « faire l’école confiné à la maison »43, ils proposent – point culminant de l’indécence et du cynisme – à l’occasion de la crise pandémique d’aujourd’hui, de « bâtir le numérique éducatif de demain. »83

« Un moment de bascule fabuleux  »

Le retard français

La notion de retard n’a évidemment aucun sens pour une situation de pandémie et de confinement que personne n’avait imaginée.

Le marché de l’éducation est un des rares à résister à la vague numérique. Pour Litzie Maarek (Educapital) : « avant le confinement, tous ces marchés avaient des degrés de digitalisation très variés. » A vrai dire, la rhétorique du retard n’est pas nouvelle : depuis toujours, la France est en retard pour l’école numérique.

« Le système éducatif français attend une véritable révolution numérique depuis des années… Nous pensions que les nouvelles générations d’EdTech (Educational technology) apparues ces dernières années allaient révolutionner le secteur de l’éducation de manière radicale. Or, le modèle traditionnel domine toujours. »49
«  Les promoteurs de l’EdTech attendaient depuis longtemps la généralisation de l’enseignement numérique, qui ouvre la porte à un grand marché de l’éducation. »50

Cet argumentaire du retard a l’avantage de court-circuiter toute réflexion de fond, de disqualifier toute critique et de légitimer toutes les expérimentations. En période de crise, le retard devient une urgence.

Les causes de ce retard ? Pour Litzie Maarek (Educapital), c’est le modèle éducatif lui-même du « mammouth » :

« il y avait un vrai frein vraiment très très fort qui est l’école, la transformation de l’école qui n’a pas changé depuis 150 ans. ».

De fait, pour une startup agile, « c’est beaucoup plus facile pour vous qu’une académie traditionnelle ou un rectorat de s’adapter à la nouvelle donne . »

Se référant à une étude de l’OCDE (sans mentionner l’étude retentissante de l’OCDE51 qui a montré en 2015 l’inanité de l’école numérique), Rose Lemardeley (Caisse des dépôts), désigne, elle, les enseignants :

« 40 % des enseignants français n’ont pas les compétences numériques nécessaires pour assurer l’enseignement à distance. »52

Avec la crise, ce retard devient coupable. Ainsi un entrepreneur, M. Diaz, s’étonne publiquement53 que les enseignants ne soient pas passé à l’école numérique plus tôt. Un autre entrepreneur, Franck David-Cohen (« Klassroom »), distingue les enseignants « aventuriers » ou « early adopters » prêts depuis longtemps à « passer à une école digitale » des autres « plus longs à la détente  », que M. Diaz appelle des « lazards » ou retardataires.

Dans la ligne de mire prioritaire, le supérieur notamment :

« L’université est le parent pauvre de l’EdTech pour des raisons budgétaires, idéologiques, de gouvernance, tranche Marie-Christine Levet, fondatrice du fonds d’investissement spécialisé Educapital. »18

D’ores et déjà ont peut tirer un premier bilan de « ces deux mois qui ont et qui vont profondément changer le paysage éducatif Français et le monde de la formation professionnelle »54 Et quand ce bilan se révèle quelque peu décevant, ce retard devient même pratique.

« Il y avait la croyance que notre système éducatif était prêt pour l’enseignement à distance, alors que ce n’était pas le cas. »55

C’est même « une catastrophe » pour Marie-Christine Levet. La raison ? L’école n’est pas encore assez numérique.

« On nous a servi une télévision scolaire des années 1960 (avec La Maison Lumni sur France Télévisions, NDLR) ! Quant au Cned, c'est un outil qui date de Vichy… » ; « On n'a pas utilisé ce qui fait l'intérêt du numérique à l'école, soit des outils d'apprentissage plus personnalisées, plus engageants, plus ludiques et immersifs. Je ne critique pas les profs, ils se sont débrouillés comme ils ont pu, d'autant qu'ils n'étaient pas formés. [...] on n'a pas pensé l'innovation pédagogique en l'incluant dans les programmes. Un beau service numérique, cela prend des mois à se développer, on ne va malheureusement pas sortir, comme par magie, des outils intelligents d'ici septembre… En attendant, il ne faudrait pas résumer l'ed-tech à ce que l'on a vu pendant le confinement. » »56

Le problème n’est de toute façon pas l’EdTech, mais l’école :

« Certaines des solutions proposées ne sont pas définitives et évolueront. Il n’y a pas de pas de bons ou de mauvais outils, mais de bons ou de mauvais usages. »102

La stratégie du choc

Reste que, même cet échec est positif pour l’EdTech :

« Cette crise a précipité le monde entier dans l'ed-tech (Educational technology ou numérique éducatif, NDLR) ! On s'est rendu compte que le système éducatif n'était pas prêt  : à l'exception de quelques pays, on est tous tombés dans l'eau froide ! Ç'a été un choc, mais en même temps, cela a fait tomber des barrières psychologiques , aussi bien chez les parents que chez les enseignants. L'école va devoir s'adapter , mais le rôle du prof reste clé, on l'a vu pendant la période de confinement. Le bon côté des choses, c'est que l'on va pouvoir avoir des enseignants qui utilisent à bon escient, quand ils le veulent et selon leurs besoins, des outils numériques interactifs qui peuvent favoriser l'implication et la motivation des jeunes. »56
« On espère que cette crise va ébranler la conscience collective et faire réaliser la nécessité d’investir dans les EdTech en France. »57

D’ores et déjà :

« des fonds d’investissement dédiés. Brighteye Ventures, Educapital ou Ibis Capital s’intéressent de près à ce marché qui n’a pas encore fait sa révolution numérique. »58

D’autres sont plus optimistes. encore Laurent Jolie (« Lalilo ») se félicite, non sans un certain cynisme qu’avec le confinement, « l’alternative du cours présentiel, à l’ancienne » n’existe plus. Pour Yannig Raffenel, président du « cluster EdTech Grand Ouest » :

«  La crise que nous connaissons vient paradoxalement de faire gagner quatre cinq années de maturité pour toutes les institutions sur l’importance d’être en mesure de déployer un plan de secours pour assurer la continuité des enseignements en cas de crise, et donc de proposer une offre cohérente en ligne. Actuellement, il s’agit d’une urgence immédiate. »59
« Nous sommes dans un moment de bascule fabuleux , se réjouit Yannig Raffenel, président du Cluster EdTech Grand Ouest qui fédère les acteurs du secteur sur ce territoire. Du jour au lendemain, les établissements scolaires sont passés de presque 100 % de présentiel à 100 % de distanciel, sans nuance. » Selon lui ce « bac à sable grandeur nature » d’expériences pédagogiques numériques, dans lequel plus de 12 millions d’élèves et près d’un million d’enseignants sont plongés malgré eux depuis trois semaines, est l’occasion de « faire tomber les barrières » érigées contre le numérique éducatif. »60

Pour Arthur Millerand (« Parallel avocats ») : « La crise que l’on est en train de vivre met en lumière que les nouvelles technologies sont capitales pour la communication et pour l’éducation »61. Il demande aux administrations et aux établissements publics de « prendre des risques » et « faire preuve d’ouverture à l’innovation. » Comprendre : aux investissements. « Aujourd’hui les financements ne sont pas assez suffisants ».

L’investisseur Carlos Diaz (dont l’entreprise a investi dans l’entreprise d’un de ses invités) :

« Avec le COVID le monde de l’Éducation a dû faire face à une nouvelle réalité , le Remote Schooling. Les fermetures d’écoles ont entraîné la digitalisation de l’apprentissage, des examens et des devoirs. Les étudiants, les enseignants et les institutions ont dû s’adapter soudainement à une nouvelle façon d’apprendre. […] Est-ce que [...] le monde de l’éducation a enfin réalisé l’intérêt du digital avec cette crise du covid et cette nécessité à passer remote ? »53

Litzie Maarek (Educapital) y a vu « un signal très très positif pour ce marché de l’école : l’école va enfin pouvoir entamer sa transformation ». Pour Mme Blons la victoire est acquise :

« Cependant, l’avènement même des EdTech nous indique que le changement est en bonne voie, amorcé par une modification du travail, des lieux de travail et de la main-d’œuvre. Cette mutation, esquissée progressivement depuis des années, a aujourd’hui atteint son point de basculement pendant la pandémie de Covid-19. Il n’y aura pas de retour en arrière possible. Transformons notre système éducatif ! »49

Carlos Diaz résume l’état d’esprit des investisseurs qu’il a réunis dans son émission :

« vous semblez tous très optimistes sur l’avenir de l’éducation. […] C’est encourageant de voir qu’il y a des technologistes qui pensent de la bonne façon, des investisseurs qui sont prêts à investir sur ces technologies et que tout ça va bénéficier à nos petites bouilles qui ne demandent qu’à apprendre, qui sont déjà des férus de la technologie, qui attendent juste qu’elle s’adapte à l’éducation et c’est ça qui est en train d’être le cas en, ce moment »53

Dans le cadre de cette stratégie du choc, l’impératif de « continuité pédagogique » a été immédiatement et opportunément repris par l’innocente « association EdTech France »62 qui a offert non pas dans des circonstances exceptionnelles mais « à des conditions exceptionnelles – les solutions qui permettront d’assurer pour tous la continuité du droit à l’éducation, à l’enseignement et à la formation. »

« En France, sommes-nous capables dès demain d’assurer pareille continuité du service public de l’éducation ? »

« L’association EdTech France, qui regroupe plus de 240 entreprises innovantes » a offert ses services avant même le confinement, avec un lien « pour connaître les offres et services proposés par nos membres ». « Continuité pédagogique : la filière EdTech se mobilise » parce qu’elle est évidemment « solidaire »63 parce que les entreprises sont « engagées ».

Un site continuitepedagogique.fr a même été lancé peu avant le confinement par une autre « association » quelque peu suspecte (cf infra).

Un effet d’aubaine

Les groupes du secteur, internationaux comme nationaux, ont eu toutes les raisons de se réjouir : « Joli coup [avec le covid]. Aujourd’hui l’EdTech a le vent en poupe », s’enthousiasme l’investisseur Carlos Diaz : « L’Edtech ce n’est plus l’avenir, c’est le présent ! […] Le new normal, c’est le remote work : peut-être le remote schooling aussi. »  »53

Le fondateur de Klassroom se félicite de la brutalité de la fermeture des écoles : les inscriptions ont explosé et le nombre de classes a doublé avec la crise53. De même, La fréquentation du site Lalilo « a littéralement explosé. »58. Olivier Serret, professeur des écoles, parle même de « Lalilo » comme d’un « enfant béni de la crise sanitaire » :

« Lalilo a en effet enregistré en 4 jours les inscriptions de plus de 10 % des enseignants du cycle 2 (14 000 sur 135 000), peut-on lire sur le site de Partech, un des fonds d’investissement finançant Lalilo. Chaque jour les élèves français font plus d’un million d’exercices sur Lalilo contre 20 000 par jour en temps normal. »64

Ce qui est vrai des groupes français l’est également des grands groupes américains, même s’ils sont plus discrets : « Les Gafa améliorent leurs résultats, alors que les pays confinés n’ont jamais eu autant recours à leurs services. »65 Du point de vue du marché la crise a produit « non pas un renversement mais une accélération et une extension de la plupart des tendances à l’œuvre depuis des années »66 : les GAFAM représentent plus de la moitié de la capitalisation du Nasdaq 100.

Inversement, le logiciel libre a reculé. Le site Framasoft a même dû fermer ses portes aux enseignants au début du confinement : « Ce n’est pas à nous de pallier les carences du ministère. »67

La promotion d’une suite « apps.education » a été très tardive et sans aucun succès68 : « alors que le pays compte plus de 850.000 enseignants, seuls 16 000 comptes avaient été créés à la fin du mois de mai ». Qui a entendu parler des appels en vidéoconférence Jitsi ? Miracle de ces temps extraordinaires : des libristes fervents se sont même convertis aux produits – bien meilleurs – des multinationales du numérique69 et en ont même assuré la pleine et entière publicité, et tant pis si les résultats scolaires des élèves peuvent être collectés70.

Une victoire par K. O. de la marchandisation de l’école, en somme.

L’après-crise en ligne de mire

De l’aveu même de Marie-Christine Levet, « En quatre ans, les collectivités ont investi 2 milliards d'euros dans l'ed-tech. »56

Au nom de la crise, les entrepreneurs ont réclamé plus que jamais des investissements massifs :

« [Le marché] a surtout besoin d’une « véritable stratégie nationale d’éducation numérique » selon Marie-Christine Levet, fondatrice d’Educapital, un fonds d’investissement spécialisé dans les technologies de l’éducation qui a pointé la politique du ministère en la matière, dans un communiqué de presse. Intitulé « Covid-19 : l’indispensable Ed-Tech, la preuve par le confinement  », il dénonce le manque d’investissements publics dans la filière, la complexité des marchés publics que les Ed-Tech n’arrivent pas à investir, et qualifie le CNED, mis en avant par le ministère depuis le début de la crise, comme « rescapé de la modernité des années 1960 ». »60

C’est qu’une petite inquiétude a pointé. Rémy Challe (« EdTech France »), interrogé sur la crise :

« C’est ça le sujet dont il faut se saisir aujourd’hui : comment est-ce qu'on fait entrer véritablement ce numérique dans le projet éducatif pour demain, pour l’après-crise ? »49.

Rose Lemardeley (Caisse des dépôts) a mis en garde en garde :

« Il faudra veiller au sortir de la crise à ce que les enjeux d’investissement dans les écoles ne se focalisent pas uniquement sur les enjeux de lutte contre la vétusté et de rénovation prioritaire : il ne faudra pas oublier les investissements qui sont aussi clefs pour construire cette école augmentée , cette école qui fasse la place en son sein à des outils pour aussi apprendre mieux, apprendre autrement »49.

La brèche ouverte par la crise permet néanmoins tous les espoirs, comme l’analyse Jean-Sébastien Philippart, professeur de philosophie :

« Il est fort à parier que les solutions dites « provisoires » de travail à distance apparaissent en réalité, çà et là, comme des expériences-tests assurant la possibilité de leur pérennisation. »71

Modernité, solidarité... porosité

Un des points les plus intéressants de la séquence que nous venons de traverser est la stratégie suivie par la EdTech pour rendre leur offensive plus présentable. A vrai dire, cette stratégie, n’est pas nouvelle, mais, à l’occasion de la crise, elle est apparue avec plus d’acuité pour « faire tomber les barrières ».

Une EdTech française et philanthropique

Les représentants de la EdTech française se sont toujours efforcés de rassurer (« Nos outils ne concurrencent pas l’éducation nationale »55) et de souligner une communauté d’intérêt avec les grandes missions de l’école : lutter contre l’échec scolaire, contre le décrochage, contre les inégalités etc. Le slogan de « Lalilo », une application de lecture pour les plus petits, n’est-il pas, en toute simplicité : « Nous mettons fin à l’illettrisme »72 ?

Cela relève même de l’évidence pour Sabine Delanglade (« Les Échos »), d’autant qu’une filière française relève de l’intérêt supérieur de la nation :

« S'il y a un domaine où la souveraineté doit être entière c'est bien celui de l'éducation. En outre, le numérique est un outil pédagogique à ne pas négliger dans un pays qui laisse chaque année 100.000 décrocheurs sur le bord de la route. La sixième puissance mondiale est 23e dans l'enquête Pisa de l'OCDE. C'est honteux et cela agace particulièrement Marie-Christine Levet qui martèle ces chiffres. Elle a créé Educapital, le premier fonds européen entièrement dédié aux « edtechs », qui, après les foodtechs, les fintechs et les autres, transforment leurs secteurs par la technologie. Pourquoi se passer d'outils qui permettent, en individualisant la progression de leurs acquis, de récupérer les élèves à la traîne, de stimuler les autres ? »73

Et Rémi Challe (EdTech France) de prendre les enseignants par les bons sentiments :

« Il faut sortir d’une vision très manichéenne avec des gentils (le public) et des méchants (le privé). Les entrepreneurs de l’EdTech ne sont pas des grands loups du capitalisme. Ce sont souvent d’anciens enseignants ou des enfants d’enseignants qui ont un réel attachement à la transmission ou à l’idée de service public »57

Avec la pandémie, la philanthropie a pris la forme d’une solidarité d’urgence. On a ainsi vu Microsoft nouer un partenariat avec l’Unesco74 et lancer « une plateforme pour aider les enfants et les jeunes affectés par le virus à poursuivre chez eux leur éducation. »

En France, un portail «  Solidarité EdTech France » a même été créé pour présenter des centaines d’« offres solidaires », façon catalogue commercial (avec des produits distingués par des « tech for good awards »75). Le directeur général de l’association célèbre cette « fraternitech » en des termes pourtant riches d’enseignement :

« Ce portail solidaire, fondé sur le partage et la gratuité, est largement consulté, et aura eu pour autre mérite de présenter l’extraordinaire richesse de la EdTech tricolore. On utilise donc aujourd’hui des solutions dont on ignorait l’existence hier, des usages se créent, de nouvelles habitudes se prennent […] aujourd’hui, nous improvisons ; demain, il nous faudra construire. Construire ensemble, acteurs publics et acteurs privés, une véritable filière du numérique éducatif français, pour accompagner les transformations sociétales et pédagogiques, dans le respect de notre système de droits et de valeurs. »76  :

Derrière la beauté de l’engagement moral, un certain pragmatisme donc. Et Rémy Challe de le déplorer :

« En France, le marché du scolaire est en réalité à peine un marché (7% du marché EdTech en France contre 70% en Chine) [...] Il est donc nécessaire que les acteurs privés et les acteurs publics arrivent à travailler ensemble. Ces acteurs sont complémentaires et il n’existe pas d’antagonisme entre eux. D’une part, le but lucratif n’est pas incompatible avec l’intérêt général. D’autre part, les entrepreneurs EdTech sont fondamentalement attachés au service public de l’éducation [...] Il y a un espèce de dogme de la gratuité qui pèse sur le secteur de l’éducation. Sauf que l’on est dans un monde où rien n’est gratuit (si les manuels scolaires n’étaient pas pris en charge par l’éducation nationale, on accuserait les éditeurs de creuser la fracture sociale). Le meilleur moyen de réduire ces inégalités serait que les pouvoirs publics se saisissent de l’EdTech. Les entreprises EdTech ne peuvent pas travailler gratuitement. »77

Car Rémy Challe le reconnaît : « Évidemment , le directeur général du réseau EdTech France, regroupant 250 entreprises du secteur, on espère qu'il y aura des actes d'achat après cette période . »78

Un exemple parmi d’autres : le « projet Voltaire », « aux côtés des enseignants et des élèves » :

« Pendant la durée de fermeture des établissements scolaires et jusqu’au 3 juillet 2020, le Projet Voltaire, n° 1 de la remise à niveau en orthographe et en grammaire, a mis gratuitement à la disposition des enseignants du primaire, du secondaire et du supérieur l’ensemble de ses modules d’entraînement en ligne en orthographe et en grammaire. »79

Sa publicité pour la rentrée de septembre est d’ailleurs assurée sur son site par les recommandations des acteurs de l’Éducation nationale (« « Merci pour votre aide dans le cadre de la continuité pédagogique. Plusieurs de mes élèves sont demandeurs du Projet Voltaire. » - Lycée Jean-Baptiste Say, académie de Paris ») et par une opportune enquête (de satisfaction?) sur la « continuité pédagogique », concluant, sans surprise, au mérite du « Projet Voltaire » et proposant même un audacieux hashtag pour la rentrée : #ContinuitéVoltaire .

Drôles de mélange des genres

Pour Marie-Christine Levet, les États comme la Chine qui assurent « des partenariats avec des entreprises ed-tech privées […] sont ceux qui se sont le mieux adaptés à la continuité pédagogique » :

« Ce ne sont pas des grands plans d'État qui fonctionneront, il faut rentrer dans une coopération public-privé avec des start-up innovantes. »56 ;

Le ministre de l’Éducation nationale s’est empressé de répondre favorablement à cette demande. Marie-Caroline Missir, directrice de Digischool, a été nommée directrice générale du réseau Canopé par Jean-Michel Blanquer le 21 février 202080 : elle a lancé « CanoTech », proposé « une labellisation des solutions EdTech » ainsi qu’« un hub éducation qui dépasse le duel public/privé. »81

Sur le site du ministère du Travail, les offres solidaires d’EdTech France « sont en accès gratuit, relayées par une très officielle lettre d’information du Ministère. »58 « Lalilo », « Tactiléo » (« Le monde change, la façon d’apprendre aussi » : à 360€ par an pour 20 utilisateurs) et bien d’autres se sont trouvés promus activement par les institutions scolaires. A la fin de l’année, Jean-Michel Blanquer a rappelé l’organisation d’états généraux du numérique pour l’éducation avec cet objectif : « Franchir un grand pas pour de bons usages numériques pour l’éducation. »82 Une consultation participative83 est annoncée pour «  faire émerger une vision partagée du numérique pour l’éducation  » et « construire et préparer l’avenir, tous ensemble. »

Mais le soutien enthousiaste de l’institution a pu donner lieu à un mélange des genres. Comme l’avoue ingénument Sophie Pène (appartenant au « CRI » qui présente lui-même un certain mélange des genres84) :

« Les places assignées de l’enseignant et de l’apprenant sont ébranlées. De nouveaux acteurs industriels et associatifs ont rejoint les communautés éducatives, qui se sont entrouvertes. »85

C’est ainsi qu’à l’occasion des « Ludoviales » – « Ludovia » étant déjà un mélange des genres –, des « partenaires Gold » ont présenté leur « solution » comme « Tactiléo »86 ou bien PopLab87 (gratuite jusqu’à la fin de l’année scolaire 2019-2020), une plateforme « qui simplifie la classe à distance » car les enseignants « n’ont pas le temps à perdre car en plus d’assurer la continuité pédagogique avec leurs élèves, ils doivent gérer des situations personnelles complexes » :

« Face à cette situation inédite, il faut des outils performants à la hauteur des enjeux mais simples d’utilisation. PopLab apparaît alors comme une formidable opportunité pour changer le quotidien des enseignants et leur faciliter la mise en place de cours à distance. »

Plus gênant : dans le cadre de la « nation apprenante », les vidéos de cours « Les bons profs »88 sont apparues estampillées et proposées telles quelles sur le site de « La Maison Lumni » promu par Eduscol (« l’offre éducative gratuite de l’audiovisuel public »). Une publicité inespérée, en somme !

Deux exemples de désintéressement

La startup Klassroom a d’abord offert un exemple de désintéressement philanthropique avec son ENT pour l’école primaire89 : « les professeurs n’avaient donc jusque-là quasiment aucun moyen de communication numérique avec les élèves »68.

Promue depuis longtemps par des enseignants enthousiastes, comme Delphine Guichard (« Charivari »), la startup Klassroom, ravie de se positionner sur un marché où elle n’avait pu jusque là prendre qu’une place timide, a lancé en fanfare « un service gratuit de télétravail pour les écoles primaires »90, ainsi présenté par Philippine Dolbeau, vice-présidente :

« C’est gratuit. Jusque là, nous fonctionnions avec un service de type "freemium", c’est-à-dire où les parents devaient payer quelques euros pour bénéficier de fonctions avancées, en plus des fonctions de base gratuite. Mais, devant l’urgence de la situation, nous avons pris la décision de passer tous nos services en mode gratuit pour toutes les écoles de France. Nous avons considéré que nous avions une responsabilité immense face à cette crise. »

Le renoncement aux services payants n’était évidemment que partiel et temporaire. La crise pandémique s’est présentée comme une sorte de période d’essai forcée pour les utilisateurs de Klassroom, qui cherche d’ailleurs à se positionner face à la concurrence d’autres plateformes (« Contrairement à Ecole Direct ou Pro Note... »).

Sur le terrain, les parents non sollicités reçoivent de nombreux mails de Klassroom et un professeur des écoles se désole :

« Plusieurs parents m’ont fait part de leurs difficultés à mettre des documents sur Klassroom, apparemment on leur demande de prendre un abonnement ».

Mais peu importe : l’objectif philanthropique a été atteint.

« Pendant le confinement, l’application Klassroom, spécialisée sur cette tranche d’âge, a gagné près de 250 000 inscriptions, forçant la start-up française à lancer une levée de fonds de 2 millions d ’euros pour suivre la demande. »335

Autre exemple, pendant le confinement, avec la startup « Eduvoices ». La plate-forme continuitepedagogique.org, née spontanément ou presque, a en effet offert une aide solidaire et désintéressée à tous ceux qui devaient enseigner.

Initiative anonyme lancée « par un collectif informel d’acteurs d’horizons variés » se revendiquant du soutien de grands noms comme Edgar Morin, Mona Ozouf, Philippe Meirieu (avec leur photographie sur le site) et d’une « communauté de citoyen·nes qui soutiennent les enseignant·es », « loin de toute tentative de marchandisation ou de récupération », la plate forme continuitepedagogique.org a été opportunément mise en ligne aux tous premiers jours du confinement, non sans un certain succès, afin de centraliser toutes les bonnes volontés. Même Framasoft a rejoint l’initiative sans méfiance.

Problème : on a vite retrouvé, en tête des « contributeurs » proposant leurs services, l’« association Eduvoices » (ainsi que la plateforme « Être Prof » de « SynLab »). « Eduvoices » est en réalité tout sauf une association ou une « communauté d’enseignants », mais une startup pratiquant l’entrisme dans les formations de l’Éducation nationale depuis plusieurs années91. Sans surprise, on a découvert, quelques temps après, que Joris Renaud, le fondateur de cette startup était à l’origine de cette initiative décidément trop belle pour être vraie. Derrière la spontanéité et le désintéressement, un marketing agressif. Les « soutiens » comme Philippe Meirieu, ont dénoncé l’utilisation abusive de leur nom. Le nom et la photographie de ce dernier ont été retirés du site, qui a disparu lui-même sans bruit du web, avec le compte Twitter associé, dès mai 2020.

Peu importe : Joris Renaud est devenu membre de « Fée », une autre belle « association loi 1901 issue du collectif continuitepedagogique.org » en mai 2020 pour « facilite[r] le soutien citoyen de la communauté éducative durant l’épidémie de Covid-19 ».

On le voit : d'étranges fées se penchent sur le berceau de l'école en crise.

L’école étrangement « augmentée »

Derrière le discours rassurant, avec insistance, sur l’importance des enseignants (« rien ne se fera sans les enseignants. Ils sont la clef de tout » dit Rémy Challe ; « le rôle du prof reste clé » dit Marie-Christine Levet) ou de l’école (« Je crois quand même à l’importance des lieux, je veux pas faire ma réac » dit Litzie Maarek d’« Educapital »), un autre discours met, lui, en cause toute leur expertise et leur liberté.

Pour Rémy Challe, il faut « accompagner les enseignants dans une démarche de transformation de la pédagogie dont ils sont les principaux acteurs »75 : curieux acteurs qui subissent la transformation de la pédagogie et qu’il faut accompagner. On s’interroge même sur l’évaluation de la performance des enseignants avec de tels outils53.

« On voit que les enseignants ne se débrouillent pas si mal avec ces nouveaux outils. Le lien particulier qui s’est créé entre élèves et professeurs perdurera, l’apprentissage entre pairs aussi, le lien avec les parents, le fait de former une communauté éducative. Aujourd’hui, tout le monde se sent impliqué», explique-t-il. Toutefois, c’est dans l’enseignement supérieur que ces nouvelles façons de travailler vont se répandre le plus vite. « Dans les grandes écoles notamment qui ont des étudiants et parfois des campus dans le monde entier, l’enseignement en visioconférence va se généraliser. Les enseignants découvrent, inventent, et de nouvelles habitudes se prennent. »77

Grâce aux moyens numériques, l’enseignant pourrait devenir « un super enseignant » selon Laurent Jolie (« Lalilo »). Et tant pis si la DANE de Nancy-Metz recommande également l’application « pour des vacances apprenantes » : « Incroyable ressource avec de l'intelligence artificielle pour des parcours d'apprentissage personnalisés. »92

Le portrait angélique d’une « école augmentée » cède, cependant, vite la place à l’injonction, comme chez Franck David-Cohen (« Klassroom ») :

« [la posture de l’enseignant] doit nécessairement changer parce qu’on a tous dans notre poche un smartphone qui nous permet d’avoir accès en permanence à une foultitude d’informations mais l’information ne fait pas le savoir ; il y a cet enseignant dont le rôle doit changer pour ne pas être celui sait mais pour être celui qui va sans doute animer de manière différente ».

Pour Alice Riou, professeur à l’École de management de Lyon :

« Les professeurs, dans le sillage de Michel Serres, appliqueraient la « présomption de compétences » à une génération de Petites Poucettes, avides de compléter les cours en face à face par des ressources digitales »58.

D’ailleurs, dans l’esprit d’entrepreneurs EdTech commentant la période de confinement, la collaboration entre des salariés dans une entreprise et la situation d’enseignement entre un professeur et ses élèves est tout à fait comparable54.

Sur « BFM business », Arthur Millerand (« Parallel avocats ») vante cette « révolution éducative numérique » en même temps que ce « marché à très haut potentiel » et « les opportunités pour nos clients, les entrepreneurs »61.

L’école numérique ne recule devant aucun paradoxe :

« Apporter des outils pour permettre à l’éducation d’être plus humaine […] Je pense que le professeur va voir sa tâche évoluer depuis un pur transmetteur de savoir – la transmission verticalisée du savoir est la même pour tout le monde - à un accompagnateur qui est capable, grâce à ces outils tech de faire plus d’humain, plus d’accompagnement, plus de coaching [...] un professeur qui se balade de table en table pour apporter de l’humain à ses élèves »85.

Il s’agit, comme l’indique le numéro 4 de la revue Third paru en plein confinement de « repenser l’éducation avec le numérique » :

« Qu’est-ce qu’apprendre ? Apprendre, est-ce que ça a encore du sens quand tout est à portée de clic. […] Qu’est-ce qu’enseigner ? Quel est le rôle de l’enseignant ? Historiquement, c’est la distinction entre le sachant et l’apprenant, le maître et l’élève : si, aujourd’hui, avec des technologies, vous êtes cognitivement augmenté, qu’est-ce que ça veut encore dire ? Et à la fin, c’est : qu’est-ce qu’il faut apprendre ? Est-ce que, en fait, je dois apprendre la même chose qu’avant : là, il y a toute l’information qui est immédiatement disponible. »93

C’est le contenu même de l’enseignement qui doit changer. Les investisseurs EdTech sont « convaincus que dans un monde qui est en train de changer l’école doit désormais se saisir du sujet du numérique : apprendre le numérique et apprendre par le numérique. »77 Il faut « construire une société apprenante qui placerait la collaboration et la culture numérique au centre des apprentissages scolaires  »58.

Pour M. Jolie, vantant les soft skills que l’école n’enseigne pas assez, l’échec scolaire tient au fait que « l’école n’a pas réussi à s’adapter à l’élève et qu’on a plutôt demandé à l’élève de s’adapter à l’école ».

Des visions d’avenir quelque peu cauchemardesques de ce consumérisme éducatif surgissent :

« Les grandes entreprises technologiques viendront répondre à nombre de ces besoins à mesure qu’elles progresseront dans le monde de l’enseignement supérieur. Ces grands acteurs technologiques vont démocratiser l’éducation. Ils agiront comme des méga plateformes offrant des formations modulaires, pouvant être consultées tout au long de la vie, dans le cadre de formations personnalisées ou lors de petites séries rendues possibles par le dégroupage des données et la diffusion numérique. Désormais, l’éducation, sous la forme de micro-apprentissage sera disponible à la demande, et nous suivra sur nos lieux de travail, à la maison, partout et à tout moment. Transformons notre système éducatif ! »49

Plus de limites à l’imagination :

« On est au tout début de la révolution numérique et de l'intelligence artificielle ; de même pour l'apprentissage immersif à base de réalité augmentée ou virtuelle. »56

L’apprentissage sort d’ailleurs de la classe, et même des EdTechs. Franck David-Cohen (« Klassroom »), s’il met en garde sur les écrans qui captent les enfants comme les fast-food, livre une vision encore plus radicale de ce point de vue :

« il y a énormément de bienfaits avec l’écran, on apprend plein de choses avec l’écran. moi je suis un gros geek de la première heure, chez moi j’ai des assistants virtuels, j’ai des Alexa partout. Alexa, c’est un peu la deuxième mère de mes enfants : ils lui posent des questions toute la journée […] Moi je trouve que, pour l’apprentissage, c’est exceptionnel. Alors aujourd’hui on va me prendre pour un fou, les gens vont rigoler mais je pense que dans 10 ou 15 ans ce sera complètement la norme. C’est comme tout : quand on avait des smartphones, au début, c’était ridicule […] Et maintenant n’importe quel adolescent passe sa journée sur son smartphone ».53

Caractéristique du secteur : comme dans le marché agro-alimentaire, le succès ne se mesure pas à la santé des consommateurs, mais aux quantités de produits écoulés. La réussite est moins pédagogique que commerciale.

On s’émerveille devant les milliards de chiffres d’affaire, les dizaines de millions d’utilisateurs, les centaines de vidéo en ligne.

« Onzic permet aux lycéens de transformer leurs cours en rap rendant ainsi l'apprentissage plus « rapide et cool ». Kartable livre sur smartphone des milliers d'exercices corrigés dans onze matières de la sixième à la terminale, etc. [...] En France, il y a des belles réussites dans l'edtech telles celles d'Openclassroom ou Digischool, mais c'est le cœur de la pédagogie scolaire qu'il s'agit de pénétrer, et là le marché est quasi fermé donc lilliputien. Verrouillé par des barrières « à la française »  : méfiance de la technologie, du privé, procédures d'achat courtelinesques

Et Sabine Delanglade (« Les Échos ») de conclure élégamment :

« Au tour du « mammouth » de se déconfiner. »73

On le voit : s’il faut « tirer un bilan de notre usage du numérique éducatif », ce n’est pas pour en mesurer les limites mais... « pour dégager des perspectives de développement »94


Le grand soir du numérisme

On se rassurerait faussement en pensant que seule la EdTech rêve de l’école numérique.

Parmi les enseignants (plus ou moins éloignés de l’enseignement) et surtout dans les institutions de l’Éducation nationale existe, depuis plus d’une décennie, une même aspiration à une « révolution numérique », au point même de vouloir « refonder l’école de la République par le numérique »95 : « La stratégie pour faire entrer l'École dans l'ère du numérique constitue un des éléments majeurs de la loi de refondation de l'école de la République. »96

Là où on aurait pu espérer enfin, à l’aune de ses évidentes limites, un recul critique sur les miracles de l’école numérique, au contraire, la crise pandémique a donné lieu à une accélération précipitée et – à vrai dire – vertigineuse.

Le triomphe des écrans à la maison

On avait pu voir des représentants de la EdTech se féliciter de « la nouvelle tolérance des parents vis-à-vis des écrans »51 : pour Carlos Diaz, « on a l’impression que ce combat [des parents contre les écrans] est définitivement perdu. »53. Le temps d’écran va plus que doubler pour les enfants, affirme ce représentant d’une société d’études de marché américaine : « Il n’y aura peut-être pas de retour en arrière »97 et on peut même s’interroger sur ce que sera « la nouvelle normalité » car « les pratiques de la société devront changer à long terme ».

En France, l’association « Super Demain » se réjouit de cette « révolution numérique » et tire de la crise ses leçons pour « le monde d’après »98, leçons qu’elle avait – à vrai dire – déjà tirées bien avant « pour le futur numérique de nos enfants »99 : «  des maternelles aux lycéen·nes tous ont désormais besoin d’un écran  ».

Finalement, le temps d’écran sur lequel on voulait bien – à la rigueur – mettre en garde, n’est plus important. Même le psychiatre Serge Tisseron le reconnaît : « Les parents ont temporairement perdu la bataille du temps d’écran ». Les écrans « ont changé de statut » et, d’ennemis, sont devenus de vertueux alliés des parents, mieux leurs « sauveurs »100.

Il faut dire qu’ils peuvent être « de redoutables auxiliaires éducatifs » selon Christophe Doré, médiateur et parent confiné, pour qui les jeux vidéo sont « sans conteste l’un des principaux atouts d’un parent confiné qui doit continuer à travailler. »101

« Cette période troublée nous amène « à nous poser autrement la question de l’utilisation des écrans » résume le psychiatre Serge Tisseron, inventeur de la règle 3-6-9-12. « C’est une invitation faite aux parents à sortir du discours de prévention actuel, trop centré sur le temps passé à s’en servir. Un discours anxiogène qui a malheureusement tendance à occulter la question centrale de leur utilisation. »

Les alertes des professionnels de l’enfance sur le temps d’écran ont alors résonné dans le vide102, (même si Serge Tisseron a continué de prodiguer des recommandations contradictoires : «  Les parents doivent continuer à réguler le temps d’écran »).

Nathalie Franc, pédopsychiatre, interrogée sur les enfants difficiles au début du confinement, a conseillé de « ne pas entrer dans l’affrontement permanent et d’essayer de lâcher prise » temporairement :

« Je pense en particulier aux écrans qui sont souvent l’enjeu de conflits en temps normal. Vouloir tenir les mêmes choses au niveau du temps d’écran est à mon avis infaisable dans certaines situations, car on ne peut pas trouver des activités permanentes ni passer son temps à lutter. »103

C’est une bonne nouvelle pour Pascal Plantard, anthropologue des usages des technologies numériques à l'Université Rennes 2, qui a profité du confinement pour reprocher à l’école d’être trop longtemps restée à l’écart de la culture numérique des jeunes :

« On ne peut pas passer à côté du phénomène Fortnite lorsqu’on réfléchit à la situation des enfants de 8 à 12 ans. De même qu’il faut savoir qu’en sortant de la « culture de la chambre », très présente dans TikTok, pour la tranche 12 à 14 ans, Snapchat est ensuite très utilisé au collège et favorise l’entre-soi des collégiens. S’il demeure au lycée, il est plus ou moins délaissé au profit d’Instagram. Il devient aussi essentiel de savoir que les tutoriels sur YouTube sont vécus comme une « seconde école » par les familles modestes »104

Yann Leroux, « psy et geek » iconoclaste et promoteur de longue date des jeux vidéo, jubile de l’explosion des ventes pendant le confinement : en plus d’être un bon moyen de faire oublier l’anxiété, les jeux vidéos permettraient de faire respecter le confinement et les gestes barrière et participeraient à la bonne santé physique de la population en augmentant significativement « la dépense énergétique et le rythme cardio-respiratoire durant les séances de jeu ». N’en doutons pas : les jeux participent même de la continuité pédagogique !

« Les jeux vidéos sont utilisés depuis presque une décennie pour l’enseignement des matières telles que l’histoire, l’art ou simplement l’alphabet ou les mathématiques aux enfants. Leur utilité dans ce domaine est sans équivoque et leur popularité est en croissance chez les enseignants. Ainsi, alors que la planète est confinée à domicile, plusieurs parents s’appuient sur des jeux pour éduquer, distraire et détendre leurs enfants. »105

Peu importe que le temps d’écran explose pendant le confinement (7h d’écran par jour pour les 6-12 ans contre 1 à 2h avant l’épidémie) puisque les usages auraient été qualitatifs, selon un sondage106 portant sur des publics scolaires plutôt privilégiés :

« Le s parents, fortement réticents à l’usage des écrans avant le confinement, auraient revu en majorité leur jugement [...] Le sport et la lecture sur papier arrivent en seconde position des réponses apportées par les sondés. Une nuance toutefois : l’étude n’inclut pas les classes populaires, qui ont été peu nombreuses à répondre. »

Les parents n’ont, bien sûr, pas « revu leur jugement » mais se sont adaptés bien malgré eux à une situation de crise, comme le confie dans son journal Nicolas Santolaria, « parent confiné »107, dépassé par la « débâcle domestique » et observant « un dysfonctionnement chronique : levers de plus en plus tardifs, consommation immodérée d’écrans, couchers bien souvent après 23 h 30 et de longues palabres avant que les feux ne s’éteignent enfin. »

Le renoncement « des parents qui ne voient pas le bout du confinement » s’accompagne de culpabilité :

« On est obligés de leur mettre des dessins animés pour avoir la paix, se désole Vanessa, mère de deux enfants de 7 et 3 ans à Strasbourg. Cela nous prend deux heures de faire les devoirs quotidiennement avec la grande. Si on ne met pas la télé ou un écran pour le petit, il nous interrompt tout le temps pour nous montrer ce qu’il est en train de faire. »108

On peut sans grande hésitation douter de la réalité des usages « à des fins éducatives ». Pour l’industrie du jeu vidéo, le revirement des discours de prévention a ainsi été une bénédiction : « Portée par le confinement, l’industrie du jeu vidéo en pleine euphorie. »109 et ce, d’autant que : « l’Organisation mondiale de la santé, qui avait reconnu en 2019 un « trouble du jeu vidéo », s’est associée à l’opération Play Apart Together (« jouer ensemble, chacun de son côté »). » Le Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs (S.E.L.L.) a promu les jeux en ligne :

« En cette période de confinement, les mondes virtuels sont des moyens simples et divertissants pour retrouver ses proches, pour s’évader ou pour décompresser. »

L’entreprise de jeux vidéo Ubisoft a proposé son jeu Assassin's Credd Odyssey en accès gratuit110 dès le début du confinement, du 19 au 22 mars … avec la nécessité d’acheter ensuite le jeu pour continuer sa partie !

Pendant ces quelques mois, l’industrie du jeu vidéo a réalisé « des ventes et des profits records. »111 Un analyste n'est pas parvenu pas à cacher son enthousiasme débordant : « tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes pour cette industrie qui n’a jamais été aussi forte qu’à ce jour . »

De fait, pour connaître la réalité des usages, le mieux est de consulter ce que les enfants ont pu confier de leurs usages :

« Je me suis enfilée deux saisons de ma nouvelle série préférée : Teen Wolf, il y a plein de « beaux gosses ». Ni maman ni papa ne sont venus m’embêter, c’est tellement rare. » ; « C’est drôle, mes parents qui veulent qu’on n’aille pas trop sur les écrans vérifient maintenant que je suis connecté, toute la journée ! C’est le monde à l’envers. (...) Mon père a offert à ma mère une Xbox pour son anniversaire, trop cool !!! On va tous pouvoir en profiter ! C’est un immense changement de politique éducative  ! Ils ont cédé sur la console, merci le confinement. » ; « Relâchement total de mes parents, ils ont craqué, on peut faire ce que l’on veut : séries, PS4. On se couche même à des heures tardives. De mémoire, c’est la première foi s. » ; « Je n’avais jamais fait autant d’écran. Comment ferons-nous pour nous déconnecter, quand depuis deux mois on nous dit : connectez-vous pour les cours ! Pour travailler ! Se retrouver ! » ; « Les jeux vidéo que je pensais une source de divertissement infinie m’ennuient eux aussi, j’ai l’impression d’avoir le cerveau endormi toute la journée. Plus rien ne m’intéresse vraiment. » ; « Le confinement commence à me taper sur les nerfs. Je fais de plus en plus d’écrans, j’ai du mal à me limiter. Si ça continue, on va tous en sortir obèses et drogués à l’écran… »112

Le discours positif sur les vertus des écrans a été à ce point intégré par les parents dépassés qu’il confine parfois à l’absurde, comme dans cette anecdote rapportée par une professeur des écoles de l’éducation prioritaire. Se rendant au pied de chez un élève de CP qui ne veut pas revenir en classe, elle l’interroge :

« Qu’est-ce que tu fais de tes journées, J. ? — Je joue. — À quoi ? — À la console. — Toute la journée ? — Non, dit Maman. — Si, corrige J. — À quel jeu est-ce que tu joues ? — À Fortnite, dit J., fier. Dans deux jours, il y a un nouveau niveau, je sens que je vais le réussir lui aussi.“ Maman reprend la parole. “Mais il construit aussi dans ce jeu, c’est pédagogique.” J. la coupe. “Non, je ne construis pas Maman, je tue.” »113

Des hérauts aux héros du numérique

Autre triomphe : celui des hérauts de l’école numérique.

Adeptes des nouvelles technologies dans leurs classes, partenaires de la EdTech (« Apple teacher », « Microsoft innovative educator », « Google educator » etc.) et autres « enseignants innovants » (du nom du concours initié par Microsoft et perpétué par le « Café pédagogique ») ont vu leur heure enfin sonner, d’autant plus que le recours aux moyens numériques était enfin imposé à leurs collègues.

La pandémie est d’ailleurs presque apparue comme une divine surprise tant les doutes commençaient à se faire entendre sur les miracles de l’école numérique. Les professeurs les plus critiques à l’égard de l’école numérique ont bien dû reconnaître qu’en temps de confinement strict, rien ne peut exister en dehors d’elle.

Yann Houry, professeur de français à Londres et « Apple teacher », n’a pas hésité à pointer la responsabilité de « tous ceux qui ont fait la fine bouche » face à « l’inévitable transformation de l’école durant (et forcément après) l’épidémie . »114

L'heure n'était plus à la recherche et à l’expérimentation mais à la mise en place hâtive et généralisée des « outils numériques », sans consultation des premiers intéressés : les enseignants. Comme le dit Yann Houry : en fait de « continuité pédagogique », « il y a de toute évidence une vraie « disruption » pédagogique. »115

De fait, la précipitation est, en réalité, le mode de fonctionnement habituel de l’école numérique116.

Parallèlement aux déclarations autoritaires du ministre, celles, revanchardes des promoteurs de l’école numérique. N’avaient-ils pas eu raison avant tout le monde117 ? Leur logique laisse néanmoins perplexe : la nécessité de l'école numérique en contexte d’urgence démontrerait la nécessité de l’école numérique en général.

Les pratiques les plus controversées se sont ainsi magiquement trouvées légitimées, comme l’introduction du smartphone en classe, les jeux vidéo ou la « classe inversée ».

Ainsi, le « Café pédagogique », qui avait titré « 2019 L’année AVEC118 (le smartphone) », dans la ligne du ministère, a pu titrer dès le début du confinement : « Continuité : La revanche du smartphone »119 :

« Dans l’urgence, on se rend compte que le seul outil efficace pour joindre et faire travailler tous les élèves confinés chez eux c’est le smartphone. Avec retard, la France redécouvre avec une catégorie d’élèves la nécessité de réfléchir à l’éducation d’urgence. »

Et de donner l’exemple « de pays beaucoup plus pauvres » qui ont su, bien avant l’épidémie, comprendre l’intérêt de cet « outil » pour faire apprendre. « En France des pionniers se sont intéressés à cet outil qui permet d’apprendre à son rythme et partout ».

Pour Laurent Fillion (SE-Unsa et « Cahiers pédagogiques »), « On y regardera peut-être à deux fois avant d’affirmer qu’avoir un smartphone c’est inadmissible en 6e ».

François Jarraud ou Laurent Fillion oublient étourdiment que le BYOD (AVEC) est récemment devenu la nouvelle doctrine numérique du ministère : il suffit d’ailleurs de lire... le « Café pédagogique » pour le savoir120 !

Les enseignants les plus moteurs « sont évidemment ceux qui étaient habitués au numérique » explique Ostiane Mathon, enseignante devenue consultante et formatrice d’enseignants. Stéphanie de Vanssay, « déléguée au numérique » au SE-Unsa, a également donné ses bons points aux hérauts du numérique :

« les collectifs d’enseignants préexistants et les enseignants massivement partageurs sur les réseaux sociaux étaient les plus prêts à s’adapter à cette situation inédite. Leurs élèves aussi qui avaient déjà des pratiques coopératives via le numérique »

Aux « Ludoviales », évènement de l’école numérique, chercheurs, enseignants et éditeurs ont été invités « à exposer leurs expériences durant la période extraordinaire que l'on traverse. »121

Les membres du Centre de recherches interdisciplinaire (CRI) – le plus souvent souvent des enseignants détachés de cours – ont évidemment été sur le pont pendant la crise pour « répondre rapidement à un grand nombre de défis » et exposer des retours d’expérience, comme des visioconférences pendant les vacances, des récréations virtuelles ou un accompagnement par WhatsApp122.

Le collectif des « Savanturiers » (un dispositif du CRI) de François Taddei observe que « les enseignants qui menaient des projets Savanturiers dans la classe » détiennent « la véritable clé de succès de la continuité pédagogique »123 et, s’adressant au ministère : il faut « donner pleinement à voir comment des dispositifs pré-existants à la situation de crise triomphent de cette distanciation pédagogique ».

De la même façon, les pionniers de « la classe inversée » devenus des héros du confinement, et tant pis si le concept de la classe inversée – certes très lâche – ne peut guère s’appliquer... sans classe. Un chef d’établissement retraité, Claude Tran, devenu activiste du numérique scolaire, a fait leur éloge :

« Les milliers d’enseignants formés par le collectif « Classe Inversée » depuis 2015 ont tenu le choc du COVID19. Créatifs, mutualisateurs, coopératifs , inventifs, ils essaiment en faisant de l’École du XXI un lieu de réussite pour chacun. »124

Recommandée sur M@gistère, la plate-forme de formation des enseignants, « la classe inversée » a obtenu l’onction du ministre lui-même (dont, à vrai dire, elle pouvait déjà se prévaloir depuis longtemps) :

« Les professeurs qui pratiquaient la classe inversée – on envoie une leçon par vidéo à la classe puis on travaille à partir de cela – ont eu une très bonne adaptation à l’enseignement à distance pendant le confinement. C’est un exemple de ce qui pourrait être développé à la rentrée. »125

Ce qui n’a pas empêché, dans un renversement devenu classique, que les enseignants innovants, soient chantés comme des rebelles téméraires par le sociologue François Dubet dans les « Cahiers pédagogiques » :

« À l’ombre des pratiques routinières et des directives officielles, de nombreux établissements et des équipes éducatives innovent et inventent, travaillent sans compter depuis de nombreuses années et toutes ces expériences n’abaissent pas le niveau de élèves. Au contraire. » 126

Avec la pandémie, dit l’ex-recteur Alain Bouvier, bien d’autres sont libérés :

« Depuis le confinement, ici ou là, de nombreux groupes d’enseignants innovateurs et engagés peuvent agir selon leurs convictions, sans craindre d’être en permanence bridés par la technostructure et désapprouvés par leurs collègues en salle des professeurs où ils croisent les redoutables statuquologues. Ces sympathiques innovateurs engagés contribuent à améliorer l’image de l’École qui en a bien besoin. »134

De fait, pour Pascal Plantard, anthropologue des usages numériques, se dessinent déjà plusieurs profils d’enseignants :

« Nos premières analyses identifient un bon quart de la profession qui était déjà acculturée aux technologies numériques . Ces enseignants s’en sont plutôt bien tirés pour recréer, même à distance, une dynamique de classe et inventer d’autres façons de travailler […] Les problèmes se concentrent sur le quart restant  : des enseignants qui, d’ordinaire, n’ont pas d’usage ou un usage a minima du numérique en classe (un tableau blanc interactif, des diaporamas). Eux ont rencontré le plus de difficultés. »127

Dans le supérieur, Amandine Duffoux, en charge de la stratégie numérique à la Conférence des grandes écoles, pousse le jugement un peu plus loin :

« La plupart des écoles avaient des outils à disposition, utilisés par des enseignants pionniers, mais il a fallu accompagner massivement les professeurs qui s’étaient montrés jusque-là plus réfractaires  »22

Dans le secondaire, la formatrice Caroline Tambareau (SE-Unsa et « Cahiers pédagogiques »), a triomphé de toutes les difficultés :

« C’est sûr, quand on a bavé pendant des années sur lézécrans et lenumériquecémal, on est pas prêt. Heureusement que pour d’autres... » ; « je n’ai pas eu un seul bug » ; « pas vu de trolls de toute la semaine. »

Car, à rebours de la célébration des héros (ou le plus souvent de leur auto-célébration...), toute critique de l’école numérique, grossièrement caricaturée, s’est trouvé disqualifiée moralement par Laurent Fillion (SE-Unsa et « Cahiers pédagogiques ») dès le début du confinement128 :

« Les antinumériques rassurez-vous, votre monde ne va pas s’écrouler. C’est votre droit de rester à l’écart de ce moment d’entraide et de solidarité »

Au même moment, un « ingénieur pédagogique » a ironisé sur les enseignants qui ne se sont pas intéressés aux classes en ligne.

Sur l’air de je-vous-l’avais-bien-dit, Jean-Louis Durpaire, ancien inspecteur général, a déploré plus généralement l’inadaptation de l’école française :

« Mais pouvait-on penser qu’il en serait autrement lorsque l’on sait combien le développement de l’usage des TICE a été chaotique en France. Dans certains Etats, par exemple en Floride, le système a inscrit depuis longtemps l’enseignement à distance comme une des modalités obligatoires du travail des lycéens , à côté de l’enseignement présentiel. »129

Passée la revanche, est venu le temps de l’auto-congratulation et de la promotion personnelle des enseignants innovants. Comme l’indique Alain Bouvier, les « innovateurs engagés » ont « progressivement fait des découvertes pédagogiques ».

C’est que la pandémie est devenue une aventure pour ces pionniers d’un nouveau Far West éducatif. « Aujourd’hui est un grand jour dont nous nous souviendrons sans doute et une nouvelle expérience pédagogique commence pour nous tous »130 : le confinement, ce sont autant de « défis à relever » : « notre aventure numérique et linguistique à distance ».

Selon Line Numa-Bocage, professeur en sciences de l’éducation qui a vu dans le confinement « une opportunité », la pandémie «met à jour la créativité et l’inventivité des enseignant.e.s »131 et permet le « développement de compétences professionnelles des enseignants » : « les professeur.e.s, qui étaient éloignés de l’utilisation du numérique dans leur pratique en classe, se découvrent capables de proposer des cours à distance ». Et, pour mieux en témoigner, ce professeur de se donner lui-même en exemple avec ses étudiants :

« Lors d’une formation à distance avec un groupe découvrant la plateforme E-Space (CY-Cergy Paris Université), nous avons pu relever dans le chat les expressions « On se croirait dans un Espacegame ! » (sic) , « oui, c’est facile ! ». Le plaisir de la découverte de ces nouveaux espaces existe parce qu’ils/elles sont accompagné.e.s et guidé.e.s, ceci leur permet de comprendre les utilisations pédagogiques et didactiques possibles avec le numérique. »

Autre exemple : ce professeur (et accessoirement formateur et ex-président des « Cahiers pédagogiques ») qui se félicite – on n’est jamais mieux servi que par soi-même – dès les premiers jours de confinement de ses « webconférences » qui se sont « parfaitement déroulées » : « « Sur trente-trois élèves, j’en avais trente de connectés, et ils étaient presque plus réactifs qu’en classe ! »132 En oubliant étourdiment de préciser que Philippe Watrelot n’avait qu’une classe et que cette classe était très motivée puisqu’il s’agissait d’élèves de Terminale préparant leur épreuve de spécialité au bac (plus fort coefficient) et que c’était leur première semaine de cours avec leur professeur après une très longue absence. A quoi tient la pédagogie !

Point d’orgue : la starification des enseignants, s’inscrivant parfaitement dans une logique libérale.

Avec les programmes télévisés de « La maison Lumni », les élèves ressentent « de la fierté à voir leur professeur à la télé » :

« Les professeurs sont vraiment des couteaux suisses […] on est tellement adaptables, on a tellement de cordes à nos arcs […] on réussit à développer beaucoup de compétences […] [Enseigner à la télévision] valorise pas mal notre profession »133

Alain Bouvier, ex-recteur, ancien membre du Haut conseil de l’éducation (HCE) et rédacteur en chef de la Revue internationale d'éducation de Sèvres, s’extasie devant ce miracle : « quelques professeurs deviennent même des vedettes sur You Tube ou d’autres sites »134 ; il est vrai que les youtubeurs « nouveaux pédagogues » étaient déjà célébrés au salon de l’éducation depuis plusieurs années135.

Et la presse de vanter, par exemple, cette institutrice palliant les défaillances de l’institution avec une chaîne YouTube136 ou bien ce professeur de mathématiques youtubeur et devenu « star de sa discipline »137 :

« « Le jeune qui regarde la vidéo se retrouve en cours avec un professeur expérimenté. Comme en classe », décrivait, en novembre 2019, le Café pédagogique, le site de référence des professionnels de l’éducation. »

Une autre de « ces profs devenus Youtubeurs à succès » comme cette enseignante en maternelle et à qui « le recteur en personne a demandé de continuer « La maîtresse part en live », sa chaîne YouTube. »138 A vrai dire, rien de vraiment bénévole et spontané dans ce « projet » remontant à 2016, une petite entreprise qu’elle aimerait d’ailleurs poursuivre après la pandémie « mais il faudrait imaginer un financement officiel. »139

« Pour mener à bien ce projet, la jeune femme a fait appel à son entourage, rémunéré grâce à un financement participatif : son mari Ronon, producteur, assure la prise de son et l’image, un ami basé à Limoges s’occupe de la réalisation, un community manager se charge des réseaux, une amie graphiste a créé l’habillage, un youtubeur fait le jingle… »140

Un tel succès – plus de 100.000 abonnés ! – qu’on se demande si la continuité pédagogique avec sa classe, ainsi standardisée, ne devient pas secondaire.

En réalité, bien des enseignants ont été au moins aussi efficaces, autant qu’on pouvait l’être dans ces conditions, mais sans doute moins bruyamment.

La course indécente à la promotion de soi-même, presque constitutive de la démarche de « l’enseignant innovant » – à quoi sert d’être innovant si personne ne le remarque ? – serait simplement anecdotique si, en désignant des héros (parfois parfaitement factices), elle ne participait pas d’un processus délétère de transformation de la fonction publique, et donc de l’école, comme nous le verrons. Pour Jean-Sébastien Philippart, professeur de philosophie :

« La numérisation implique enfin une exacerbation du culte de la performance et des résultats, à travers une mise en concurrence généralisée des agents. »71

La crise, opportunité pour l’école numérique

Au delà des individualités, le discours institutionnel sur l’école numérique a été libéré par la crise pandémique : on retrouve la même stratégie du choc que dans la EdTech.

Le retard dans l’équipement et dans la formation

Des critiques de longue date ont pu être réactualisées. La sociologue Béatrice Mabilon-Bonfils fustige ainsi le retard français :

« Un grand plan d'équipement numérique des plus démunis, de ceux qui sont le plus en difficulté ou en souffrance dans le système éducatif est une nécessité républicaine à laquelle l’État dans ses formes centralisées ne sait pas répondre efficacement. Bien sûr, on ne compte plus les plans numériques dont on valorise les dépenses comptables, mais dont on omet de vérifier l'impact, et surtout l'animation de terrain. Ne pourrait-on enfin traiter sérieusement cette question? Il y a quelques années, pour devenir enseignant, il fallait disposer d'un certificat de compétences en langues et d'un autre en utilisation des technologies (C2I2E). Pour l'écrasante majorité, cela a été perçu comme un pensum insupportable et inutile. Alors l'effet positif secondaire attendu de cet épisode épidémique fâcheux , c'est sans doute encore la question de la formation initiale et continue des enseignants. »141

Même blâme sévère de la part de Pascal Plantard, anthropologue des usages des technologies numériques, qui fait d’ailleurs remonter « le numérique »... aux années 1980 !

«  Le monde numérique glisse depuis quarante ans sur le monde enseignant. Malgré la succession des plans numériques, il s’articule encore mal avec l’univers scolaire. »142
«  La question centrale, c’est l’accompagnement des enseignants à la transformation de leur métier dans des conditions d’exercices inédites qui voient les outils numériques prendre une importance gigantesque. Le « coup de massue » du confinement a obligé toute une frange d’enseignants à s’adapter pour innover pédagogiquement , souvent avec succès. Mais il reste environ un quart de réticents aux usages numériques, selon lui. Et c’est ce quart qui l’inquiète. »143

François Jarraud, du « Café pédagogique », rappelle les critiques de l’OCDE sur « l’école française à la traîne » et ses professeurs insuffisamment ouverts et formés. Il réfléchit aux « leçons à tirer de la crise »144 :

« Si moins de la moitié des enseignants déclaraient être capables d'enseigner à distance, presque 100% ont réussi à le faire en quelques jours. Si effectivement les enseignants français échangeaient peu avec les parents, voir e se méfiaient d'eux, en quelques jours parents et enseignants ont compris qu'ils devaient travailler ensemble. »

A l'Assemblée, le 19 mai 2020, le ministre de l’Éducation nationale s’est engagé :

« nous avons à mieux équiper les familles et nous allons dégager les moyens pour cela », et la volonté de « mieux équiper et former les professeurs va s'accélérer ».

Le principe de l’équipement généralisé des élèves en tablettes, qui semblait enterré par la Cour des comptes en 2019145, a trouvé une seconde vie avec la pandémie. En Île-de-France, la crise pandémique n’a-t-elle pas concrétisé, de façon inattendue, le slogan régional des « lycées 100 % numériques » ?

Pour Christelle Lacroix témoignant dans le « Café pédagogique »146, le rôle de l’école en est même trouvé changé :

«  On a entendu beaucoup de choses sur la nocivité des écrans cette année .... Pour notre part, on en avait déjà la conviction, mais on a très vite eu confirmation pendant le confinement que la tablette numérique comme outil de travail scolaire, permet tout simplement de travailler et d’apprendre, avec facilité […] De même que c’est le rôle de l’école d’apprendre aux enfants à lire, écrire, parler avec des livres et cahiers, c’est également le rôle de l’école (plus que jamais) à lire, écrire, chercher, communiquer, avec un écran sous les yeux , avec méthode et rigueur, c’est à cette condition, il me semble, que nous formerons des citoyens éclairés pour demain. »

Sans tirer aucun bilan des équipements antérieurs, dans un courrier aux parents, la région Île-de-France a entrepris de généraliser à tous les lycées son « virage numérique » et ce « quel que soit le choix pédagogique de son établissement  »147 (nous soulignons en gras), non sans quelque contradiction d'ailleurs puisque la région distribuait jusqu'ici... des tablettes :

« Durant la période de confinement sanitaire que vient de connaître notre pays, ces outils ont prouvé leur grande utilité pour garantir la continuité pédagogique . [...] Les résultats de notre expérimentation ont montré que l’ordinateur est l’outil le plus adapté pour la voie générale et technologique ».

La tablette au lycée, ce sont pourtant les lycéens qui en parlent le mieux :

Déroulez

 

 Alors qu’Audrey Azoulay, directrice de l’Unesco, s’horrifie à juste titre de ce monde sans école qu’a occasionné la pandémie, elle s’inquiète moins de l’école à distance... que de l’école à distance sans équipement et se prend à rêver à la transformation numérique de l’école :

« Chacun a ainsi noté que l’enseignement à distance en ligne ne pouvait être aujourd’hui la panacée lorsqu’en Afrique subsaharienne seulement 18 % des apprenants disposaient d’une connexion à leur domicile (contre 57 % à l’échelle mondiale). […] la pandémie nous a amenés, tous ensemble, apprenants, enseignants, syndicats, parents, administrations, société civile, à repenser les fondamentaux de l’éducation : quelle part peut avoir l’enseignement à distance ou encore l’enseignement en ligne ? Quelle relation entre tous les acteurs des apprentissages ? Quels sont les valeurs et les principes sur lesquels doit être construite l’éducation de demain ?  »148

En réalité, même avec l'égalité des moyens et les meilleures infrastructures techniques du monde, le tout-numérique resterait un mode pédagogique grandement dégradé (même si, dans la pensée numériste, il est au contraire upgradé). Nombre de collègues réclament, en toute bonne foi, des moyens numériques, des ordinateurs personnels pour les enseignants, des tablettes pour les élèves etc. sans nécessairement prendre conscience que se joue ici non pas une adaptation temporaire à une situation de crise mais une transformation radicale et pérenne de l’école.

« La révolution numérique » et la stratégie du choc

Là où, pendant le confinement, il aurait fallu parler de pratiques ou d’outils par défaut, on parle donc de « nouvelles pratiques », de « nouveaux outils » qui devraient s’imposer dans l’éducation de demain. Car cette transformation va, en effet, bien au delà de l’équipement et de la formation des enseignants et ne concerne pas seulement quelques « points positifs du distanciel »101 ou quelques adaptations ponctuelles comme , par exemple, la surveillance d’examen à distance (réalisée par entreprise à l’université de Rennes-I149). Non : pour « Le Figaro », « Le numérique reconfigure l’école de demain. »101

Le moment est en effet bienvenu pour « Repenser l’éducation avec le numérique. »150 Stanislas Dehæne, président du Conseil scientifique de l’Éducation nationale, le dit sans ambages :

« « C’est le moment ou jamais de faire tomber des barrières », affirme le neuroscientifique Stanislas Dehæne, qui voit dans le confinement un possible tournant pédagogique. Rapprocher les parents de l’école, inciter les élèves à s’autoévaluer, ou encore fixer de vrais objectifs à la politique du numérique éducatif »34

Pascal Plantard, anthropologue des usages des technologies numériques, ne dit rien d’autre :

« Comment l’institution et les enseignants ont géré cette injonction de transformation radicale de l’éducation nationale  : du sanctuaire de l’instruction républicaine à la nation apprenante ouverte et à distance ? Sous pression pandémique, est-on en train de passer de l’école du XIXe siècle à celle du XXIe en quelques semaines ? »151

Pour le professeur de sciences économiques et sociales Claude Garcia : « Les professeurs ont exploré de nouveaux horizons numériques. »152 Mais un collectif de membres de la Ligue de l’enseignement et de conseillers d’éducation avertit :

« Il ne faudrait pas que l'école, pas plus que la Ligue d'ailleurs, échoue à capitaliser sur les acquis . En matière d'utilisation du numérique, l'école a gagné des années . »153

Un syndicat enseignant, le SE-Unsa, s’enthousiasme : «  Et si le COVID-19 était, au fond, un virus du numérique ?  »154 :

« Comme toujours, les peurs ont cédé la place au principe de réalité et celle-ci s’est révélée bien moins cruelle que l’on pouvait s’imaginer. […] Certes, le numérique a engendré son lot d’excès et de débordements, comme lorsque ses usages empiètent largement sur la sphère privée, que celle-ci s’invite dans les temps de vie publics. Mais peut-être que le Coronavirus qui semble se propager comme l’éclair va permettre à cette hydre du numérique , aux prolongements multiples par l’entremise de centaines d’objets connectables, de se montrer sous un jour inventif et citoyen . Car à l’heure où l’on se pose la question de fermer les établissements scolaires, voici proféré l’antienne : « Il faut assurer la continuité pédagogique ». Alors le numérique vint. Et il régla son horloge sur le temps du virus… Permettons-nous de rêver sans cauchemarder. Et d’espérer que si le pays en venait à être « verrouillé », « virussé», le numérique puisse porter jusqu’à nous les vertus d’un télé-enseignement intelligent et complémentaire, d’un télétravail libérateur, sans virus aliénant, que nous nous en saisissions comme d’ une réelle opportunité de mutation techno-pédagogique plutôt que génétique . »

L’enthousiasme numérique du SE-UNSA rejoint celui des institutionnels promouvant l’école numérique depuis de nombreuses années. Marie-Caroline Missir, nouvelle directrice de Canopé, indique que les problématiques d’accompagnement des enseignants « dans le choix et l’utilisation de nouveaux outils pendant les cours, de médiation et d’acculturation au numérique, sont au cœur de la nouvelle feuille de route de Canopé. »60

Pour Sabrina Caliaros, déléguée au numérique académique (DAN) qui s’est « retrouvée au cœur de l'action » selon « EducaVox », il a fallu« penser le numérique pour l’éducation dans un espace-temps pédagogique en transformation ! »155 :

« Outils, ressources, formations... la mise à distance a provoqué "un sursaut positif" et de nombreux dispositifs ont été déployés. »

À Paris, Chrystelle Muniglia-Raynal, inspectrice du premier degré (IEN), a applaudi ce qu’elle considère non comme des adaptations par défaut mais comme des transformations :

« le télétravail a permis aux enseignants et élèves, outre de maintenir le lien, de se saisir de l’outil numérique et de développer leurs compétences dans ce domaine […] Les échanges via l’ENT et la messagerie électronique favorisent un travail d’équipe et une mutualisation des ressources souvent plus développés que lorsque chaque enseignant gère « simplement » sa classe au quotidien . […] Les enseignants ont montré leur grande capacité d’adaptation . Leur pratique pédagogique a su évoluer pour répondre à l’urgence de la situation inédite que nous vivons. Une majorité d’enseignants s’est emparée de nouveaux outils . La différenciation pédagogique, par téléphone ou par des créneaux virtuels individualisés avec chaque élève, a été favorisée. Elle devra être poursuivie. Le lien avec une majorité de familles a pu être consolidé via une communication plus directe et quotidienne. Si le distanciel ne remplace pas le présentiel – on le voit en particulier avec les élèves les plus fragiles –, il constitue néanmoins une plus-value pédagogique qu’il conviendra de continuer à exploiter une fois de retour en classe . »156

Jean-Marc Huart, recteur de l’académie de Nancy-Metz, se félicite du succès des ENT, gage selon lui d’« une révolution numérique. »157 Charline Avenel, rectrice de l’académie de Versailles, voit plus loin158 :

« Cette période peut devenir un véritable accélérateur sur les sujets liés au numérique . Les administrations, les établissements et les enseignants découvrent de nouvelles approches qui vont pouvoir se traduire, à l’avenir, dans le quotidien. De nouvelles formes pédagogiques vont ainsi voir le jour, avec l’enseignant au centre. [...] Le numérique éducatif a été « déconfiné » : en une semaine, l’ensemble des professeurs a basculé dans l’enseignement à distance. »159

La ministre de l’enseignement supérieur, Frédérique Vidal, le reconnaît d’ailleurs :

« En réalité, il y avait déjà eu des réflexions sur cette question de l’enseignement à distance et des financements alloués, notamment dans les universités en Bretagne. Tout s’est évidemment accéléré durant le confinement . Les établissements doivent maintenant se servir de toutes les innovations pédagogiques mises en place pendant cette période compliquée. L’objectif de ma visite est de faire le recueil des besoins nécessaires de manière à ce qu’on puisse accompagner les établissements qui voudront s’engager dans cette révolution pédagogique. Il ne s’agit pas seulement d’utiliser le numérique pour enseigner, mais de penser autrement la pédagogie d’un cours et d’utiliser le numérique au service de cette pédagogie réinventée.  »160

Le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, se félicite lui aussi des possibilités offertes par la pandémie :

« Cette reprise de mai-juin nous permet d'expérimenter des modalités de fonctionnement, nécessairement mixtes, entre présence à l'école et enseignement à distance . Un groupe de travail va réfléchir aux usages numériques, au travail en petit groupe, à la place du sport et de la culture, que je souhaite développer… Nous devons aussi travailler avec les collectivités locales sur la réorganisation de l'espace , l'articulation scolaire et pér is colaire. C'est l'occasion de moderniser le système éducatif.  »125

Un numérisme dénoncé haut et fort (et anonymement) par des hauts fonctionnaire de l’Éducation nationale dans le « Café pédagogique »161 – pourtant le haut lieu du numérisme français (« nous ne sommes pas là pour vendre le numérique à l'école » se défend le « Café »). De fait, le numérisme n’est pas malheureusement pas propre à ce gouvernement, ni même à la France.

L’OCDE, pour qui « L’école à la maison pendant la pandémie du coronavirus pourrait changer l’éducation à jamais »162, se félicite ainsi « de nouvelles façons de travailler » :

« Les experts pensent que les innovations auxquelles les enseignants ont recours pendant la crise pourraient conduire à un changement durable, avec les technologies jouant un rôle plus grand à l’avenir. [...] Il est trop tôt pour que les écoles en briques seront remplacés de si tôt par le e-learning. Mais Andreas Schleicher, directeur d’Éducation et compétences à l’OCDE, voit la crise comme une opportunité pour repenser notre façon d’organiser l’éducation. [...] La pandémie du coronavirus nous donne un aperçu de la façon dont l’éducation pourrait évoluer […] Les écoles risquent bien de n’être plus jamais les mêmes quand elles ré-ouvriront après le Covid19. »

La déception face aux « outils » numériques

On avait déjà pu mesurer l’inanité de l’école numérique à travers l’étude internationale PISA de 2015.

En France, après une décennie de promotion effrénée de l’école numérique, une étude ELAINE163 (évaluation longitudinale des activités liées au numérique éducatif) conduite depuis 2018 par la DEPP a été annoncée en avril 2020, en plein confinement, mais ses résultats finaux ne seront connus qu’à partir de 2021. Reste cet aveu en préambule de l’étude :

« … malgré la place grandissante des ressources, outils et équipements numériques à l’École, les études réalisées jusqu’à présent n’ont pas établi de manière tranchée la plus-value des technologies de l’information et la communication (TIC) s’agissant des pratiques d’enseignement et des apprentissages. ELAINE est la première évaluation d’impact en France ayant pour objectif d’identifier de manière rigoureuse, s’il existe, l’effet causal de la mise à disposition d’équipements numériques mobiles sur les apprentissages des élèves. »

Mais peu importe ! D’autres mesurent déjà ce succès avec d’autres indicateurs.

Ainsi, avec des chiffres bruts non proportionnés à un nombre d’élèves164 et sans communiquer sur ses défaillances, l’entreprise d’ENT « Pronote » s’est félicitée en juin de la masse de documents transmis (18,5 To), du nombre de travaux donnés à faire (14,6 M), du nombre de copies rendues (17,5 M) sans seulement s’interroger sur ce dernier écart. Le recteur Jean-Marc Huart a pu mesurer la réussite pédagogique des espace numériques de travail (ENT) dans l’académie de Nancy-Metz à leur fréquentation :

« Nous avons enregistré 800 000 connexions manuelles durant le confinement. C’est tout à fait considérable. Nous avons fait une révolution numérique » 157

Ce nombre peut pourtant autant témoigner d’une réussite... que des échecs de connexion à répétition, que chaque élève ou chaque parent a pu expérimenter. Il aurait été plus intéressant de connaître l’évolution sur le temps long des connexions (et la perte progressive d’engagement des élèves) ou de mesurer l’absence de connexion d’une grande partie des élèves. Mais surtout ces connexions ne disent pas grand-chose du travail et des progrès scolaires.

Sur le même principe, le CNED a publié les chiffres de fréquentation de sa plateforme de « classe virtuelle » (voir plus bas) et l’audience des programmes télévisés de « La Maison Lumni » (« un outil au service de la différenciation pédagogique »165) témoignerait, selon ses animateurs, d’une interaction réussie avec les élèves :

« cette possibilité-là, de grâce à la télé, pouvoir continuer à garder du lien avec nos élèves [...] - Oui, et puis il y a aussi le défi de pouvoir toucher davantage d’élèves qu’on pourrait finalement le faire dans toute notre carrière et de pouvoir partager notre passion. »133

Difficile, pourtant, de faire interaction plus fictive avec les élèves qu’à la télévision. Mais précisément : face au lyrisme technologique, on rencontre au mieux des évaluations quantitatives dépourvues de sens mais jamais d’évaluation qualitative à proprement parler. De fait, le refus de toute évaluation constitue une des grandes caractéristiques du numérisme166.

Au-delà des évaluations purement quantitatives, il y aurait en réalité beaucoup à dire sur la médiocrité des « outils » et « ressources » numériques mis à la disposition des enseignants.

Isabelle Maradan, journaliste, s’émerveille de la profusion de nouveaux outils, comme le travail en groupe « dans un monde virtuel sur Framevr », « des enregistrements audio pour préparer l’oral de français… sur Vocaroo », « le chat sur Discord » :

« Depuis dix semaines, des enseignants ont pu mesurer en quoi des outils numériques peuvent renforcer l’engagement dans les activités, la motivation, l’accompagnement des élèves ou encore offrir de nouveaux espaces pour travailler en groupe, par exemple. »167

Les enseignants ont surtout pu en constater à grande échelle les limites et insuffisances de ces « outils », qu’ils avaient déjà pu mesurer à plus petite échelle. Des outils de travail d’ailleurs la plupart du temps imposés sans aucune consultation, souvent changés de même, et sur lesquels les enseignants n’ont pratiquement aucune prise.

Au-delà des difficultés de fonctionnement liées à la montée en charge, des espaces numériques de travail à l’ergonomie boiteuse et occasionnant des communications erratiques avec les élèves, des vidéos d’une grande pauvreté et plus généralement des ressources d’une grande médiocrité, parfois même lamentables, bricolées et transmises dans la plus grande précipitation et occasionnant bien des confusions lexicales, méthodologiques ou conceptuelles chez les élèves : ainsi, pour apprendre à distance la multiplication posée à plusieurs chiffres, une compilation de documents et d’exercices reposant sur des méthodologies différentes !

La vraie-fausse enquête participative pour les états généraux du numérique pour l’éducation

Le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer », a présenté ces états généraux comme « un retour d’expérience de la continuité pédagogique. »168

Stanislas Dehæne (CSEN) s’en est félicité : « Les Assises du numérique, en novembre, offriront l’opportunité de dresser le bilan et de mieux définir la place du numérique comme écosystème collaboratif.  »103

Un processus d’installation, et non de remise en cause. Et, de fait, le bilan ne manquera pas d’être faussé. Pour préparer en effet « les états généraux du numérique pour l’éducation »83 (un intitulé bien peu subversif), un questionnaire est ouvert en ligne169.

Au delà du fait que le jargon technocratique de leur questionnaire spécifique est inadapté à des élèves et à une grande partie des parents d'élèves, et au delà de certaines bizarreries dans les propositions (confondre enseigner à distance et « enseigner et apprendre avec le numérique » ou bien « permettre aux élèves d’utiliser leurs équipements personnels » afin de « garantir un égal accès au numérique »...), on observe qu'on y retrouve les grands éléments de langage de « l'école numérique » et absolument aucune possibilité de rendre compte des multiples dysfonctionnements, défaillances et insuffisances des médiocres « outils » numériques ou des problèmes plus généraux que pose l'enseignement à distance, du point de vue des élèves, du point de vue des parents d’élèves et du point de vue des premiers concernés : les enseignants.

Il faut se contenter de choisir entre des modalités ou des priorités générales de l'école numérique. Par exemple, de quelle façon désormais « gouverner et anticiper par et avec le numérique. »

Nul doute que les résultats de cette enquête participative permettront de légitimer un peu plus la marche vers l’école numérique !

Mais ne nous y trompons pas : même avec des outils (hypothétiquement) améliorés, l’enseignement virtuel resterait un pis aller d’une grande médiocrité. Affirmer par exemple que « tout était sous-dimensionné »170 au moment de la grande bascule numérique de l’école, ce n’est pas penser cette bascule, mais en accepter les principes pour en négocier les termes. Une vraie-fausse position équilibrée.

Le grand moment numériste

« Le numérique » est devenu une antienne magique présentée ad nauseam dans les contenus de formation désormais proposées aux enseignants171 :

« Faire collaborer les élèves avec le numérique » ; « Faire créer, produire et partager les élèves avec le numérique » ; « Faire mémoriser les élèves avec le numérique » ; « Évaluer les élèves avec le numérique » ; « Différencier avec le numérique » ; « Animer la classe avec le numérique » ; « Faire travailler les élèves hors la classe avec le numérique » ; « Accompagner les élèves "éloignés" de la classe avec le numérique » etc.

Pour Bruno Devauchelle du « Café pédagogique », la culture scolaire française n’a jamais su faire une place à l’enseignement à distance, les enseignants ne voulant pas « changer la scénarisation de leurs cours »172 : «  L’organisation du monde scolaire français privilégie encore les cours en présentiel, magistraux, avec un enseignant face à un groupe d’élèves.  » Le CNED, pour sa part, aurait dû infuser « une culture de l’enseignement à distance à l’école ». Heureusement la pandémie de 2020, pardon l’enseignement à distance «  oblige [...] les élèves à travailler sans les contraintes de la scolarisation : un horaire, une salle de classe, un enseignant  ». L’épidémie offre même au CNED la chance de devenir « un pilier de l’ensemble du système scolaire » :

« Désormais, une transformation du CNED et de son positionnement dans le système éducatif peut se jouer ». « la situation actuelle, exceptionnelle, peut constituer une opportunité pour les familles et l’institution scolaire : celle de s’emparer enfin des problématiques pédagogiques du numérique et de ses usages en classe, et en dehors.  »

De la même façon, Pascal Plantard a reproché aux enseignants d’être encore trop peu nombreux en 2020 à intégrer « des innovations numériques »173. Appelant à « construire une nouvelle école républicaine moins ségrégative et plus inclusive en s’appuyant sur le potentiel d’émancipation et de pouvoir d’agir partagé des usages des technologies numériques »104, il s’est félicité que «  la crise sanitaire nous pousse à réfléchir la classe “hors la classe”  »173 car, en pleine crise, c’est en effet bien le moment de réfléchir ! De fait, c’est l’organisation scolaire elle-même qui pose problème. Pour le dire autrement, le principal obstacle du numérique à l’école, c’est l’école :

« la triade discipline-programme-classe rend difficile la massification des pratiques pédagogiques numériques […] [au lycée] « le modèle pédagogique frontal reste dominant [...] En résumé, la « forme scolaire » classique est un véritable moule organisationnel qui représente l’une des difficultés freinant l’appropriation des technologies par des enseignants dont le travail en équipe n’est pas encore au cœur de la culture professionnelle. »

Heureusement, l’épidémie a utilement et pleinement désorganisé ce « moule organisationnel » rétrograde. Comme conclut Pascal Plantard, anthropologue des usages des technologies numériques : « Gardons l’espoir qu’elle nous permettra de véritablement transformer les modèles pédagogiques dominants et ségrégatifs de notre école. »

Et c’est ainsi que Canotech a naïvement célébré « la technologie de l’éducation »174 :

« C’est grâce aux innovations technologiques et à leur évolution que cette continuité a pu être opérante malgré des écueils techniques apparus lors des premières connexions. ». Leur échec relatif montre une nécessaire « réflexion dans le domaine de l’éducation avec les innovations technologiques qui imposeraient des changements de pratiques pédagogiques [...] Désormais, les outils ludiques comme les jeux sérieux et escape games ont bien leur place dans le système éducatif. De nombreuses études nous aident à comprendre les gains d’apprentissage au regard des enseignements traditionnels. Ainsi la robotique éducative, présente dans les classes, permet de développer des compétences pédagogiques en lien avec la programmation et l’informatique. »

Mieux : ce n’est plus aux technologies de se mettre au service de l’école, conception déjà désuète d’un premier numérisme. C’est à l’école de se mettre au service des nouvelles technologies :

« Cette prise de conscience d’une non-maitrise d’une certaine littératie numérique conduit à apprendre de l’enseignement à distance pour concevoir d’autres contenus d’enseignement. »175

Pour cette « nouvelle manière d’apprendre », les vieilles lunes technologiques les plus dépassées comme les dernières lubies numériques (de la classe inversée aux TwittClasses) ont connu une consécration inespérés dans le moment pandémique.

La télévision scolaire, pourtant l’un des échecs les plus retentissants et les plus instructifs de l’histoire de la pédagogie d’après-guerre41, est miraculeusement revenue en grâce en 2020 avec les programmes de « Le Maison Lumni » sur « France 4 », chaîne – tout un symbole – par ailleurs appelée à disparaître prochainement.

Malgré leur échec cinglant dans les années 2010, les moocs sont devenus ou redevenus, pour la ministre de l’enseignement supérieur, des modèles à suivre176.

On a vu ressortir des vieilleries du début des années 2010, comme le plan « One Laptop Per Child » en Amérique latine (pourtant un échec lui aussi177 ) ou la « Khan Academy » (en vogue en 2013 mais quelque peu oubliée depuis178) car « en vidéo, les sciences prennent un tour moins austère que dans les manuels scolaires »179 :

« La Khan s’appuie sur une pédagogie de l’encouragement et de l’accompagnement pas à pas, plus répandue à New York qu’à Paris […] Salman Khan a inventé un concept plus ludique que les cours classiques durant lesquels il s’était lui-même ennuyé. »

En Afrique ou ailleurs, d’une manière générale, l’école numérique est, pour M. Khan surtout destinée aux plus défavorisés.

« Sal Khan a compris que la pandémie de Covid-19 allait changer l'enseignement en se rendant compte en février que son site de cours en ligne, la Khan Academy, connaissait un soudain afflux de connexions depuis la Corée du Sud. […] L'avantage de l'époque actuelle est qu'elle suscitera peut-être, selon lui, un nouvel élan pour combler les inégalités numériques entre familles riches et pauvres. Sal Khan développe un projet de tuteurs gratuits pour les enfants les plus défavorisés. »180

Le numérisme prend même parfois la forme d’un curieux transhumanisme. Ainsi, dans l’esprit d’un Michel Serres recommandant d’utiliser son smartphone à la place de sa tête181, une revue d’avant-garde célèbre « l’homme cognitivement augmenté »182 :

« Alors que les savoirs sont de plus en plus externalisés (c’est-à-dire hors de notre cerveau) et qu’il devient de plus en plus simple d’y accéder, il est de moins en moins nécessaire de les apprendre pour les maitriser. […] Un propos qu’on peut concrètement spécifier en donnant à calculer « 12x4 » et en montrant que le moteur de recherche génère le résultat en 260 millisecondes ; avec l’indication insuperflue qu’il s’agit du premier de 21 milliards de résultats. À titre de comparaison, le délai psychomoteur mis pour appuyer sur une touche est de 150 millisecondes. Cette requête faite au moteur de recherche, n’offre pas seulement le résultat « 48 ». Mise dans le contexte du rectangle, il propose aussi le savoir (ce qu’est l’aire), le savoir-faire (comment se calcule l’aire) et l’exécution de l’opération avec une efficacité et rapidité non seulement supérieures à celles d’une calculette, mais surtout bien supérieures au temps du calcul mental d’un humain pour une opération pourtant simple. [...] Ces technologies d’externalisation vont permettre à l’humanité d’accéder à des connaissances sans les connaître »

La critique étouffée

Face à ce numérisme atterrant, les critiques sont bien timides pour donner des gages à la modernité : il ne faudrait pas avoir l’air réactionnaire !

Il nous faut d’abord, évidemment, récuser les discours faussement équilibrés qui, en réalité, rejettent fondamentalement la moindre critique, de Pascal Plantard (« Il ne faut pas abuser des contre-vérités ou des slogans à la mode sur le numérique »142) à Bruno Devauchelle appelant à une « approche critique des technologies du numérique. »202

Enthousiaste et sur le pont au début de la « continuité pédagogique », Philippe Watrelot (« Cahiers pédagogiques ») s’est finalement rendu à ce constat décevant : « Un ordinateur n’est pas une école. »193

Quand le confinement total semblait encore chose impossible, Bruno Devauchelle du « Café pédagogique » ne cachait pas ses doutes sur l’école à distance, ce « pis-aller » qui « n’est pas gérable sur une période longue. »183 Plus tard, François Jarraud, toujours du « Café pédagogique », a critiqué vertement la ligne numérique de Jean-Michel Blanquer après le confinement. Reste que ces critiques entrent en contradiction totale avec sa ligne éditoriale numérique depuis sa création (par exemple son soutien à la classe inversée, « cette petite révolution »184) et que son enthousiasme numérique a continué de transparaître sous les hommages rendus aux enseignants :

« La découverte de l'enseignement à distance et la formation sur le tas au numérique de la quasi-totalité des enseignants sont certainement des acquis de la période de confinement. Les enseignants ont inventé de nouvelles façons de faire classe à distance. Ils ont réussi à maintenir le fil avec une majorité d'élèves. »185

Impossible de remplacer le présentiel, concèdent certains en effet, mais « « apporter un complément dans certains cas, grâce aux outils développés, peut être bénéfique », prêche de son côté Guillaume Gellé [président de l’université de Reims] , pour qui il faudra dresser un bilan de la période ». Difficile de faire critique plus élusive.

Le collectif « Question de classe(s) », qui proposait, un an auparavant, d’« apprivoiser les écrans »186, a dénoncé la violence du passage au tout-numérique... tout en revendiquant « une critique fine du numérique ».

De même, Philippe Meirieu, révulsé par l’offensive commerciale sur l’école et l’extrémisme pédagogique qui en découle (« L’idée peu à peu mise en avant est que la classe, l’école, serait une forme obsolète d’enseignement »), s’est efforcé néanmoins de sauver le bébé numérique en jetant l’eau du bain.

Même ceux qui critiquent le modèle numérique de l’école se sentis obligés d’avouer qu’à la lumière de l’expérience épidémique « ces outils numériques sont formidables. »187 Même ceux qui prétendent que « le solutionnisme numérique ne sauvera pas l’école » (et qu’il permet précisément de ne pas traiter les problèmes de l’école) ont peiné à assumer une critique pleine et entière, n’hésitant pas à réciter les désespérantes litanies du numérisme :

« Pourquoi intégrer les technologies numériques à l’école ? Il y a au moins trois raisons à cela. D’abord, parce qu’il faut que les prochaines générations sachent utiliser, créer ou programmer avec les outils numériques. Il s’agit ici d’un objectif d’employabilité, au service d’une industrie demandeuse en compétences techniques. Ensuite, parce que les technologies numériques peuvent permettre de « mieux enseigner ». Par exemple, une vidéo est susceptible de mieux capter l’attention qu’un discours descendant, un outil collaboratif peut faciliter la mise en place de projets pédagogiques, un logiciel d’apprentissage pourra parfois mieux s’adapter aux besoins spécifiques de chaque élève. Enfin, parce qu’il est indispensable que chaque citoyen reçoive une éducation au numérique, celui-ci ayant bouleversé le moindre aspect de nos vies quotidiennes. »188

Rares ont été les critiques pleinement assumées, rendues inaudibles par la séquence des évènements, comme celle de Christophe Cailleaux :

« Plus les jours passent et plus ce qui devrait être évident s’impose : la prétendue école numérique est un fiasco. Énergivore, dévorant le temps et l’espace de l’intime, décuplant les inégalités, accentuant le flicage hiérarchique et livrant données et bien commun à des prédateurs. »189

Mais, demande un autre enseignant, Harold Bernat :

« N'est-ce pas cela le rêve orwellien des technopédagogues de la continuité devenu réalité avec les moyens techniques contemporains ? »190

Une transformation inespérée de léducation

La « révolution numérique » n’est au fond qu’un levier d’une transformation plus générale de l’école, qui concerne en premier chef l’enseignement lui-même, dans sa forme comme dans ses contenus : les nouvelles pédagogies entrent merveille au service des nouvelles pédagogies, pourtant si justement controversées. La pandémie permet la réalisation forcée et traumatique d’une antienne pédagogique : « enseigner autrement ».

Un historien de l’éducation, Julien Cahon, s’est livré à des parallèles étonnants historiques qui justifieraient la transformation inespérée de l’éducation

« ces moments de crise, on le voit dans l’Histoire du XXe siècle, ont toujours été révélateurs de la nécessité de réformer le système éducatif, avec au final de nouvelles conceptions de l’éducation, des modalités d’intervention de l’État - on l'a vu à la fois dans les tranchées, dans la défaite de 1940, dans la résistance… [...] Donc, on peut espérer là aussi que de cette crise sanitaire sorte un certain nombre de projets, e t qu’on ne retourne pas totalement à l’école d’avant... »263

Un haro indécent sur le système éducatif

Par un curieux glissement logique, tout ce qui peut relever d’un fonctionnement d’urgence atteste, pour certains, du non fonctionnement du système scolaire en temps normal. Certains ont même vu dans la pandémie une divine surprise, comme l’ex-recteur Alain Bouvier : « La crise a montré la nécessité d’apporter de la flexibilité à un système éducatif qui n’en a pas » et le temps est venu d’un « un nouveau « contrat scolaire » entre les Français et leur école »191.

« La normalité, c’était l’erreur »

Cultivant le paradoxe, l’anthropologue Geneviève Zoïa a livré une vision lugubre de l’école… et lumineuse de la crise :

« ni le virus ni la « continuité pédagogique » ne sont responsables de l’état de l’école française : bien avant la pandémie, le système éducatif français est pointé du doigt comme obsédé par les résultats et les performances, hermétique aux plus vulnérables des parents, ployant sous l’académisme, rétif aux collaborations entre professionnels, élèves, parents… Bien avant la pandémie, dans les quartiers pauvres de la République, prévaut chez les élèves et leurs parents l’image d’une école des autres, faite pour le monde des gagnants. Bien avant la pandémie, le système éducatif considère le bien-être comme un vague dada tiède, venant du monde anglo-saxon. C’est pourquoi sont sacrifiés les espaces scolaires non consacrés à la classe : cours, couloirs, constituent des points aveugles, tandis que l’état des toilettes a été maintes fois dénoncé comme désastreux. Alors, le virus n’est-il pas une opportunité pour cette école-là ? »192 ; des « bulles de créativité » chez les professeurs et les parents : « Quel paradoxe : la distanciation sociale a rapproché les uns et les autres, y compris les jours chômés, pendant les vacances. » ; il ne faudrait pas « en appeler à la restauration de l’ordre scolaire ancien, n’oublions pas sa cruauté … » ; « Selon la jolie formule du sociologue Bruno Latour, ne gâchons pas la crise. On doit tenter de tirer le meilleur de ce qu’on peut regarder comme une immense expérimentation collective et spontanée, et qui est à poursuivre  »

Pour Philippe Watrelot c’est l’occasion de questionner la formation des enseignants, « l’obsession de finir le programme », laquelle relèverait de « l’accumulation encyclopédique » (ciblant les disciplines scolaires), l’organisation en cycles d’apprentissage (au lycée), la redéfinition des formes d’évaluation :

« il faudra engager une véritable réflexion pédagogique pour construire une école plus juste et plus efficace. On ne pourra enseigner dans l’école d’après avec la pédagogie d’hier  » ; « l’école d’après » devra se poser ces quelques questions (et bien d’autres) si elle veut faire de cette crise l’occasion d’une réelle mutation. « Penser le changement plutôt que changer le pansement »… »193

Dans une tribune plus virulente que de coutume, Philippe Meirieu, craignant moins le retour à la normale qu’« un retour à l’anormal »194, intente le procès surréaliste d’une école qui ne serait pas suffisamment conforme à ses souhaits, dénonçant tous azimuts les pratiques pédagogiques, « les filières élitistes » ou « les partisans du « désordre établi ».

Pour le collectif « Question de classe(s) », même jugement : « Nous ne reviendrons pas à la normalité parce que la normalité, c’était l’erreur. »195

Pour Jean-François Cerisier, professeur de sciences de l’information et de la communication, « La crise a démontré le peu de flexibilité de la forme et du cadre scolaire. »196

Face aux habitudes bousculées des enseignants, le sociologue François Dubet fait ce constat émerveillé : «  le confinement a réalisé ce qu’aucun ministre et aucune réforme n’auraient pu accomplir.  »126 Grâce au confinement, les enseignants se sont trouvés «  débarrassés des directives, des programmes, des horaires, des hiérarchies, et peut-être aussi du regard des collègues et des syndicats  ».

Et le co-président de la FCPE, en pleine crise pandémique, de « rêver septembre » avec une école « plus bienveillante et égalitaire » mais également de s’inquiéter :

« Transformer l’espoir en espérance. La crise sanitaire que nous venons de traverser nous a montré que l’école du XXe siècle a vécu. La rentrée scolaire 2020 doit tirer les leçons de ce que la société toute entière vient d'expérimenter. La FCPE fait le vœu cette année d’ une rentrée différente et moins étriquée. […] Nous avons été nombreux à croire que cela marquerait une rupture avec l'ancien monde, avec l'école de nos parents. Mais aujourd'hui, la FCPE craint qu'à l'instar de ce qu'il se passe dans la société, la crise sanitaire ne soit pas une opportunité pour oser le changement mais un simple prétexte pour revenir encore plus vite, encore plus fort, à une école engluée dans le XX e siècle. Pour y remédier et proposer une école enfin différente,, la FCPE a souhaité donner la parole à différentes personnalités... »197

On a pu lire des tribunes lunaires réclamant, en pleine crise pandémique – c’est-à-dire avec d’autres urgences à gérer – « un « new deal » du bâti scolaire »198. Mais la plupart des transformations attendues ont été bien plus radicales encore. Suppression des notes, des examens, des concours, des disciplines, de la classe ou de l’école même : tous ceux qui aspirent depuis longtemps à refonder totalement ou faire table rase du système éducatif ont vu leur parole désinhibée à un point inimaginable.

Les examens à la casse

Leur suppression est demandée depuis très longtemps par certains199 et commence d’ailleurs avec la réforme du lycée en 2019 et les nouvelles épreuves (très contestées) de contrôle continu : avec le confinement, certains représentants de syndicats progressistes (qui demandaient déjà en 2013 « que faire du baccalauréat ? ») ont ironisé sur l’application généralisée et forcée du contrôle continu. Un sociologue s’est amusé, de même, que des circonstances exceptionnelles poussent des enseignants à renier leurs propres convictions126 :

« tous [les enseignants] ont accepté l’évaluation par le contrôle continu alors qu’il y a moins d’un an, certains professeurs bloquaient les copies du bac contre ce même contrôle continu. »

Pour Alain Boissinot, ex-président du Conseil supérieur des programmes :

« La crise sanitaire est un révélateur : il apparaît clairement que le bac est une attestation de fin d’études secondaires. Ce n’est nullement choquant en soi, mais il faut en tirer toutes les conséquences. »200

Et ces conséquences sont faciles à deviner. « Le contexte est peut-être l'occasion pour s'attaquer au Monument national qu'est le baccalauréat » et un ancien inspecteur académique le dit : « Il faut mettre fin à ce bachotage ridicule et stressant »201. Un principal, convaincu « depuis fort longtemps de l’inutilité du baccalauréat dans la construction de l’individu »202, le dit sans ambages : « le Bac ne manquera à personne ». La suppression du bac en 1968 a même été positive, ajoute Claude Lelièvre203.

Quel sens, de toute façon, a le baccalauréat, a demandé un autre principal, « un diplôme dont on ne sait plus à quoi il servira dans un monde à +2 ou +3 degrés »302.

Le quotidien « Le Monde » a fustigé « l’hypocrisie qui présente le bac comme la porte d’entrée dans le supérieur, alors que tout se joue désormais avant » et « la prétendue égalité que symbolise un examen final national. »204 L’exception doit dès lors devenir « un exemple ».

De fait, d’autres, rêvant depuis longtemps d’un continuum avec le supérieur, voudraient aller plus loin encore. Philippe Watrelot, ancien président des « Cahiers pédagogiques », constate ainsi que l’épidémie permet à la réforme du contrôle continu au baccalauréat de prendre sa pleine mesure et voit même plus loin : « Le bac en contrôle continu vient percuter le fait de “finir le programme”. »205 Mais il déplore que la suppression du baccalauréat ne change rien « à la logique Bac-3/Bac+3. Qu’on le regrette ou qu’on s’en félicite, c’est ainsi. […] Sa conservation relève du rituel. Un symbole dont on semble avoir perdu le sens. L’attachement à des symboles est estimable. Mais il doit être questionné quand on ne voit plus le but des rites et qu’on oublie l’essentiel.  »206 Et plus généralement, selon Philippe Watrelot, leur suppression exceptionnelle devient « la remise en cause des examens. »193

C’est même le lycée qui doit être repensé. Pour un principal proche des « Cahiers pédagogiques » : « Le lycée est à repenser dans sa forme, le bac dans son existence ». Dans une veine similaire, l’annulation des concours d’entrée aux grandes écoles « emporte le modèle républicain des concours. »207

La pandémie est finalement l’occasion d’« alimenter la réflexion sur la fonction sociale de cet examen » dont la suppression constitue « une révolution ». On le voit : une révolution sans autre révolutionnaires qu’une pandémie et une poignée de faux progressistes et de vrais libéraux.

Changer l’évaluation

Aux « Ludoviales » (évènement de « Ludovia »), en avril 2020, un atelier s’appuyant sur la présence et l’enquête menée par Pascale Haag et Muriel Epstein remettrait en question le sens des notes, si l’on en croit Stéphanie de Vanssay (SE-Unsa) :

« c’est le premier élément que [les collègues] citent dans ce qu’ils comptent supprimer suite à l’expérience de la continuité pédagogique pendant le confinement. »208

De même dans le supérieur. Pour Yann Verchier, professeur de physico-chimie et nanotechnologies à l’UTT, soucieux de préserver « une démarche d’évaluation formative plus que performative » :

« [Le] moment coronavirus » pourrait faire bouger les lignes très vite. »266

Pour les « Cahiers pédagogiques » dont l’un des buts est de « changer l’école » : c’est une belle occasion de changer enfin la façon dont les élèves sont évalués :

« Et si cette décision [ne pas prendre en compte les notes pendant le confinement] nous invitait à revoir nos pratiques évaluatives ? »209

Et de proposer aux enseignants qui ne savent pas comment s’y prendre pour changer leurs pratiques d’évaluation leur petit cahier Évaluer sans notes au collège ? (2019). Reste que, dans leur enthousiasme à assurer la continuité pédagogique par tous les moyens, les militants ont proposé d’offrir aux élèves « des supports de motivation extrinsèque »210 autrement dit… des bons points !

Pour le Sgen-Cfdt, qui promeut depuis longtemps l’évaluation par compétences au lycée :

« Le coronavirus comme déclencheur d’un autre regard sur les modalités d’évaluation [...] Décidément, le moment est venu de réfléchir sans tabou mais aussi sans précipitation et sans dogmatisme, à notre système d’évaluation. »211

Philippe Meirieu fustige plus largement, avec la notation des élèves et leur sélection (en primaire et au collège ?), la « concurrence mortifère » qui y régnerait, avec une analogie audacieuse en ces temps de pandémie :

« En ces moments où tous les regards sont tournés vers l’hôpital, n’est-il pas temps d’entendre ce que les enfants de Barbiana écrivaient, dans la Lettre à une maîtresse d’école en 1967 : « L’école se comporte comme un hôpital qui, pour améliorer ses résultats, soignerait les bien-portants et se débarrasserait des malades » ? »194

La contrainte de la classe

Il est vrai que, depuis des années, la FCPE veut « sortir de l'organisation "une heure, une classe, un enseignant, une discipline" »212 : avec l’épidémie, le rêve se réalise.

Pour le président de la FCPE, l’épidémie est le moment idéal pour réfléchir à « l’école d’après » : et de se désoler en même temps de l’état des sanitaires scolaires et de la contrainte exercée par l’école sur « les corps de nos enfants »213 alors qu’il faudrait les laisser « plus libres de leurs mouvements dans les écoles ». Dans le même temps, il ironise au moment du retour en classe dans le cadre du protocole sanitaire : « Nous allons peut-être enfin avoir gain de cause pour que ce soient les enseignants qui se déplacent et non les élèves entre chaque cours en collège et lycée » ( tweet ).

Aspirant à une école plus constructiviste, il rêve de classes multi-niveaux : le retour en classe « serait peut-être l'occasion de pratiquer à grande échelle les classes à double ou triple niveaux ».

« Avec des classes maternelles et primaire multi-niveaux et, au niveau du secondaire, une structure unique (collège et lycée) regroupant plusieurs classes pour former des groupes hétérogènes composés de plusieurs niveaux de classes, avec une équipe d'enseignants dédiés. ».

Finalement il faut souhaiter « un vrai bouleversement de l'Ecole » et l’occasion que nous offre l’épidémie « pourrait être une vraie chance pour tous»213

Celle de « Faire bouger l’éducation nationale  », comme le demande un collectif dans une tribune. Le coronavirus, en fermant les écoles, permet de dénoncer l’école-prison : « La classe en plein air, une idée pleine d'avenir ? »214 : il fallait l’oser en plein confinement !

Louis Espinassous, auteur de Pour une éducation buissonnière (2019) :

« Je pense que le fait de déconfiner en ramenant les enfants dans les salles de classe - je ne dis pas à l’école, je dis bien dans les salles de classe - ce n’est que déplacer le problème du confinement. Il y a bien sûr quelques intérêts, cognitifs, d’apprentissage, du fait de voir des visages différents aussi, de se retrouver avec un enseignant qui peut être une figure d’attachement secondaire. Cela va effectivement venir réparer quelque chose, partiellement, mais à mon avis cela ne revient qu’à déplacer le problème… […] pour les enseignants un constat extraordinaire, c’est qu’en réalité l’enfant apprend mieux quand il est dehors [...] Parmi les quelque 16 millions d’enfants et leurs parents, et le million de professeurs, beaucoup ne semblent pas avoir envie de retourner dans des salles closes, autant nids à microbes que continuité du confinement. »215

Pour le maître de conférences André Gunthert (EHESS), répondant aux critiques de l’école numérique, le vrai confinement, c’est l’école :

« Si on était aussi critique sur la norme qui impose à des mômes de rester assis et confinés pendant des heures, l’école ferait un bond en avant pédagogique. »216

À quoi bon les disciplines scolaires ?

Le président de la FCPE va plus loin encore :

« Un bouleversement des pratiques qui pourrait aboutir, à terme, à une rupture d'avec l'enseignement disciplinaire afin de pouvoir considérer les problèmes dans leur globalité. L'interdisciplinarité pédagogique peut se réfléchir à partir d'établissements scolaires repensés. »120

De fait, pour cet inspecteur général et ce formateur qui se félicitent de la fusion des disciplines dans la dernière réforme du collège, il faut, dans « le collège d’après », « changer de modèle d’enseignement »217 :

« Un professeur de SVT est d’abord un enseignant de sa discipline avant d’être un enseignant tout court. Il ne se sent donc pas en mesure d’aider un élève en français, en anglais, en maths… […] Nous proposons une recomposition des apprentissages autour du savoir-relation : relation à son esprit, à son corps, à l’autre, à la planète, à l’inconnu. »217

Pour Bruno Devauchelle (« Café pédagogique), la transformation pédagogique est empêchée par des contraintes comme le « découpage disciplinaire, l’organisation horaire, mais aussi l’insistance sur certaines priorités didactiques et pédagogiques de la part du pouvoir institutionnel » (les fondamentaux)218.

Une « fiche outil » de la plateforme « Être prof » est plus crue encore :

« Dans une telle situation, les élèves ne peuvent continuer à apprendre les mêmes choses. I l faudrait sortir de la bien-pensance des lobbys disciplinaires et repenser ce qui doit être appris aujourd’hui.  »196

Pour mieux enseigner, il faudrait suivre l’exemple des conseillers principaux d’éducation (CPE) ou des professeurs-documentalistes, de leur expertise « pluridisciplinaire » et de leur vision globale de l’adolescent...217

Le consumérisme scolaire comme horizon

Comme le demande Rodrigo Arenas (FCPE), n’est-il pas temps pour les parents de « véritablement devenir des acteurs de la communauté éducative »213 ? Stanislas Dehæne s’est ainsi félicité de la crise épidémique :

« L’avantage du confinement est qu’il a effacé la barrière entre les familles et l’école. On a créé du lien et les familles ont vu ce qu’était enseigner, quel rôle elles pouvaient jouer. »42

Alain Bouvier, ex-recteur, l’a dit avec moins d’aménité : « L’école vient de mettre un pied dans les maisons ; la réciproque devra venir. »219 Dans « Le Monde », il indique quels enseignements l’école doit tirer de la crise sanitaire :

« cette situation pose la question des finalités que l’on donne à l’école [...] Par la force des choses, l’école française, qui a historiquement mis à l’écart les familles, a dû s’ouvrir aux parents comme jamais, et vice-versa. Je me réjouis de voir que, grâce à cette crise, les apprentissages des élèves ont été mis sur la table de façon visible pour les familles. Les enseignants, souvent habitués à travailler dans le huis clos de leur salle de classe, ont été obligés d’« ouvrir leur porte ». Espérons qu’ils y auront trouvé du plaisir pour continuer à le faire, après la crise, auprès de parents qui s’y seront un peu habitués. »191

Après avoir retracé l’histoire de la place des parents de plus en plus importante à l’école depuis un demi-siècle (sans en tirer de bilan), l’historien Claude Lelièvre regrette qu’elle soit encore trop faible. La crise pandémique pourrait bien changer les choses, selon lui :

« [Les parents] ont souvent aussi été confrontés concrètement à des prescriptions ou à une organisation des travaux scolaires qu’ils ont pu juger plus ou moins pertinentes. Ils ne vont pas l’oublier et vont sans doute faire valoir leurs observations, voire leurs exigences en connaissance de cause. Ce qui va aller à l’encontre de ce qui est considéré traditionnellement comme légitime par la plupart des enseignants, à savoir leur apanage de la culture scolaire et de ses orientations éducatives pédagogiques. »220

Mais attention : car les enseignants pourraient aussi bien juger le travail de ces « premiers éducateurs » :

« Les ébranlements concrets des espaces-temps scolaires auxquels nous venons d’assister ces trois derniers mois (et qui sont susceptibles de durer bien au-delà) sont de nature (avec la révélation accrue des forces et des faiblesses de chacun des protagonistes) de « rebattre les cartes » et d’ ouvrir une période de changements effectifs dans les rôles, les pouvoirs et les responsabilités des uns et des autres. »

Reste qu’en l’occurrence, ce sont surtout les responsabilités des enseignants qui ont été mises en cause car la première conséquence de cette vertueuse implication a été le contrôle direct sur le travail des enseignants qui seraient « plus à même de juger en quoi consiste le travail quotidien des professeurs »221 selon Marie-Estelle Pech du « Figaro » :

« Plus critiques, les parents d’élèves voient désormais de plus près l’investissement et le travail effectués par les enseignants. »

Reste que ce contrôle n’est justifié ni par une quelconque compétence... ni par l’intérêt général. Il s’agit plutôt, dans une perspective très consumériste, de l’illustration d’une évolution, accélérée par la crise pandémique, vers l’individualisation de l’enseignement. Évolution qui enchante l’ex-recteur Alain Bouvier, qui, au mépris de toute réalité, soutient ce paradoxe :

«  le travail à distance a rapproché les élèves et les parents des professeurs, CPE et surveillants […] [Les enseignants] n’avaient jamais eu d’occasion aussi massive de les voir travailler individuellement. Ils peuvent ainsi discerner l’origine de leurs difficultés masquées par la classe et constater la grande diversité qui existe entre eux, dissimulée par les mêmes exercices donnés à tous et souvent corrigés pour mettre une note [… ] Ce qui me semble incontournable et essentiel dans l’école à construire, c’est une pratique généralisée du suivi individualisé des élèves, en présentiel et à distance, avec la pratique d’une pédagogie de l’encouragement et de l’accompagnement. En veillant que la classe fasse aussi travailler plus individuellement les élèves et enfin que les parents soient parties prenantes dans ces évolutions. Et si la classe, évident lieu de socialisation, était aussi un obstacle aux apprentissages individuels  ? Cette question iconoclaste mérite d’être posée [...] Cela amorce une évolution salutaire du métier d’enseignant, socialement plus valorisante, allant vers une autre place dans la société.. Cela suppose (ce sera presque une première) que les parents soient informés par chaque enseignant des raisons qui étayent ses choix pédagogiques »219

L’ex-recteur Alain Bouvier, éternel disrupteur de l’éducation222, annonce ainsi l’avènement d’« un enseignement en présentiel et à distance plus individualisé et des enseignants coachs sous la surveillance des parents. »

Propos en l’air d’un idéologue ? Pas si l’on en croit ce conseil délivré par une circulaire envoyée par la DANE de l’académie de Paris à tous les enseignants

« Rétroaction personnalisée, faire des commentaires à chacun des élèves lorsqu’ils envoient des travaux. Sous forme de commentaires dans les outils de partage, dans une grille de correction ou encore sous forme audio, c’est possible de faire cette rétroaction habituellement faite oralement en classe. Les élèves pourront ainsi cibler davantage leurs forces et leurs faiblesses et être guidés vers des ressources liées à leurs difficultés »223

Dans « Le Figaro », Ostiane Mathon, ex-enseignante devenue consultante et formatrice, a étrillé l’insuffisance professionnelle de ses anciens collègues :

« Le professeur ne peut se contenter d’un seul message pour l’ensemble de la classe avec des numéros d’exercices à faire […] un simple mail personnalisé à l’adresse de l’élève et de sa famille, c’est essentiel avec cette école à distance. »220

Alain Bouvier a vu dans l’épidémie le début de « la privatisation de l’éducation » : constatant que les parents sont devenus des « consommateurs », il annonce « la fin d’une éducation nationale uniforme. », une évolution qu’il approuve d’ailleurs :

« l’État sera toujours soucieux d’accompagner les élèves les plus défavorisés. Mais il pourra progressivement lever le pied sur les autres populations scolaires capables de bénéficier de ressources variées. »224

De fait, « Acadomia » a lancé la campagne publicitaire suivante pendant la crise pandémique : « Cours en présentiel ou en distanciel - Nous proposons des cours de rattrapage du temps perdu. »

En faisant brutalement disparaître l’école comme lieu de la collectivité, la crise pandémique a laissé davantage s’engouffrer une conception purement individuelle et consumériste – et à vrai dire délétère – de l’école.

La fin (espérée) de l’école

L’inspecteur Jean-Louis Durpaire va plus loin encore : « En 2014, François Durpaire et Béatrice Mabilon-Bonfils avaient en quelque sorte prévu cette « fin de l’école » traditionnelle. »130. Mieux, à vrai dire : ils l’avaient souhaitée225, en proposant un « projet Manhattan pour l'éducation » pour « faire exploser l’école » et mettre fin à « notre obscurantisme éducatif où le savoir scolaire est cantonné à une poignée d'heures étanches (le temps de la classe), un lieu (l'école), un transmetteur (le prof) et un seul son de cloche (la République française et ses valeurs). »

C’est donc un rêve qui se réalise avec la pandémie, celui d’une école « devenue inutile :

« Le lieu "école" a-t-il encore un avenir , quand les premiers robots supplantent les profs traditionnels, quand une part croissante de l’éducation se fait "à distance", quand de nombreuses familles font désormais le choix de l’éducation à domicile ? Cette évolution, plutôt qu’une malédiction, peut être une opportunité. Comment peut-on mieux éduquer sans l’école ? »

http://www.laviemoderne.net/images/forum_pics/2018/20180405_durpaire.PNG

Avec la pandémie, ces penseurs de l’école, s’ils dénoncent « les usages opportunistes » de la crise, se sont néanmoins réjoui :

«  Et si l'expérience du confinement était finalement une bonne chose pour l'école ?  »141

Certains s’indignent même de la continuité pédagogique, comme ce consultant du numérique éducatif, car l’école numérique, c’est encore trop l’école et son « état de déliquescence avancée des relations entre les acteurs. En caricaturant, on pourrait dire que l’administration administre, les professeurs enseignent, les élèves apprennent. »226

Une catastrophe, en somme !

« Si l'enjeu dominant de la sortie de la pandémie est celui de la solidarité et de la confiance démocratique, je ne vois comment l'école ne pourrait pas être interrogée. Plus que le fonctionnement de l'école, c'est le modèle éducatif français lui-même qui sera bousculé. Évidemment , les parents ne seront pas transformés en enseignants, mais les relations aux apprentissages, au temps de travail, aux évaluations scolaires, ne sortiront pas indemnes de cette crise. On peut cependant être optimiste quand on voit à quel point les enseignants, souvent perçus comme frileux et repliés sur leurs traditions pédagogiques, se mobilisent, inventent, se lient à leurs élèves, ne comptent pas leur temps. Il semble que 10% des élèves soient aujourd'hui à l'écart. C'est beaucoup, mais je n'aurais pas spontanément parié sur un chiffre aussi faible. Peut-être que la pandémie transformera davantage l'école et l'université que n'ont pu le faire les ministres. »227

Vers le constructivisme et au-delà !

Mais pour certains, le numérique constitue davantage un moyen qu’une fin. Certes la pandémie constitue sans doute « une opportunité pour le numérique » mais, comme l’explique Bruno Devauchelle du « Café pédagogique », elle permet d’aller plus loin encore, vers de nouveaux « choix pédagogiques » (en réalité forts anciens et déjà bien entrés dans le système éducatif228).

Nouvelles technologies, nouvelles pédagogies

Bruno Devauchelle exhorte les enseignants :

« La situation que nous vivons en ce moment est une belle opportunité , en s’appuyant sur les moyens numériques de réfléchir à ces transformations qui permettront de fonder l’enseigner et l’apprendre de demain.  »229

Il est temps d’adopter les nouvelles technologies pour mieux adopter les nouvelles pédagogies :

« l'intégration de nouvelles technologies dans l'enseignement fait d'abord le lit des pratiques les plus archaïques, traditionnelles. Il est donc logique que des enseignants pris de cours par la situation agissent ainsi. Espérons toutefois qu'ils vont apprendre de l'expérience et en profiter pour interroger les pratiques habituelles qu'ils mettent en œuvrent dans les classes. Il y a là une véritable réinvention de la scénarisation pédagogique, de l'ingénierie d'enseignement et de formation à imaginer.  »230

Célestin Freinet, ancêtre des nouvelles pédagogies (nouvelles depuis un siècle déjà) mais également membre du parti communiste et contempteur du progrès, n’aurait-il pas applaudi l’importation en classe de produits de consommation et de distraction massive que sont les tablettes ou les smartphones par exemple ?

« On le sait depuis de nombreuses années, les technologies ne changent pas l’enseignement, la pédagogie, l’école. Par contre la manière dont on choisit de « faire l’école » détermine la place que l’on donne aux technologies. » On pense bien sûr ici à Célestin Freinet et son habileté à faire de ces technologies des alliés naturels de choix pédagogiques lorsqu’ils s’avèrent qu’ils facilitent les apprentissages et leur permettent de faire sens pour les élèves. »231

Tout lecteur attentif de Freinet sait à quel point il était au contraire sceptique face aux alouettes de la modernité. Mais peu importe : le moment est venu de « réinventer l'école » avec lui232.

Reste que cette ancienne référence du constructivisme pédagogique, aurait été très étonné de voir ses aspirations pédagogiques adoptées avec lyrisme par un cadre de l’OCDE. Déplorant que les inégalités s’aggravent avec l’école à distance, Andreas Schleicher, directeur éducation à l’OCDE, n’en conclut pas moins – comme après le désastreux rapport sur l’école numérique de 2015233 – à la nécessité de transformer la formation des enseignants et de généraliser l’utilisation du numérique à l’école dans une perspective constructiviste :

« Ce moment nous offre la possibilité, quand les choses redeviendront normales, de ne pas revenir au statut quo inégalitaire [...] La technologie peut encourager de nouvelles façons d’enseigner centrées sur les apprenants devenant acteurs de leurs apprentissages.  »234

Le choc éducatif

Il y a bien entendu quelque chose d’indécent à se livrer à profiter de la pandémie, du confinement et de la situation de crise traversée par l’école pour promouvoir des conceptions pédagogiques. Mais comment résister ?

Dans les « Cahiers pédagogiques », après les précautions oratoires d’usage, le prosélytisme naturel revient bien vite au galop.

« Il ne faudrait pas imaginer que les pratiques de secours qui sont en train de se mettre en place pourraient remplacer une situation de classe. […] ll s’agit bien de faire au mieux, de nous adapter, n’y voyons pas une « opportunité » de redéfinir le métier, pas dans ce contexte de distanciation entre élèves et entre élèves et enseignants. ») [...] De nouvelles pratiques à généraliser après la crise ? Cet accompagnement des élèves vers l’autonomie va changer certaines conceptions et certains pratiques , c’est évident. Tout cela bouleverse et oblige à sortir de l’idée qu’en dehors de la pratique centrée sur le prof, il n’y a rien... S’il s’agit d’être plus « accompagnant », de revoir nos exigences et nos priorités, cela ne pourra être que bénéfique. »210

Un ouvrage des « Cahiers », avec la participations des meilleurs pédagogues constructivistes et coordonné par Sylvain Connac et Jean-Michel Zakhartchouk, est même prévu à paraître avant la rentrée 2020 : Construire ensemble l'école d'après235.

Dans le « Café pédagogique », « La situation de confinement oblige à de nouvelles formes de pratiques pédagogiques » déclare Line Numa-Bocage : « cette première semaine a renouvelé la réflexion sur le pédagogique, grâce à des outils numériques partagés. C’est un fait. »236 Pour Philippe Watrelot, des « Cahiers pédagogiques », « ce qui s’est produit au cours de ces semaines inédites nous oblige à penser le changement »193  :

« L’école d’après sera ce que nous en ferons. [...] C’est aussi le métier d’enseignant lui-même qui est questionné par la crise que nous traversons. [...] Nous nous adaptons, nous innovons, nous nous autoformons, nous inventons des solutions pour ne pas perdre nos élèves. Comment mieux les accompagner et les aider à tous apprendre ? Cette question est déjà essentielle en présentiel, elle l’est encore plus à distance. »

Et de proposer pêle-mêle de promouvoir – comme depuis toujours ! – les cycles, les livrets de compétences et, d’une manière générale, « les pédagogies qui mettent l’accent sur l’autonomie face au travail »205 et le « travail coopératif » avec « un droit/obligation » à la formation (aux pédagogies constructivistes, bien sûr). Le collectif « Question de classe(s) » se montre même enthousiaste : « On va tous mûrir » peut-on lire en illustration des colonnes de son magazine195.

Philippe Meirieu dénonce « la pédagogie d’avant »194 et faisant l’éloge – au mépris de toute réalité ! – des rares mais courageuses initiatives pédagogiques que l’institution scolaire découragerait :

« V a-t-on, enfin, se rendre compte que, pour accéder à la conscience du bien commun, toutes les pratiques pédagogiques ne se valent pas ? […] S’il y a une réalité que les historiens de la pédagogie connaissent bien, c’est, en effet, l’immense écart – le fossé, voire le gouffre – qui sépare les déclarations d’intention, générales et généreuses, des pratiques réellement mises en œuvre. « Formation à l’autonomie », « droits de l’enfant », « personnalisation des apprentissages », « expérience de la fraternité », « co-construction des pratiques »… on n’en finirait pas d’inventorier ces notions dont l’importance est proclamée en grande pompe et que les institutions, par peur ou par paresse, par manque d’inventivité ou inquiétude face à ce qui pourrait leur échapper, mettent systématiquement à l’écart ou cantonnent précautionneusement dans les marges. »

Au SE-Unsa, syndicat d’enseignant, on tire déjà une première des nombreuses « leçons à tirer de ce contexte inédit » en condamnant la « forme scolaire » et son caricatural « mode transmissif » :

« Bien sûr il existe des collectifs d’enseignant.es qui s’en échappent, innovent, bousculent et font bouger ce vieux modèle en même temps que les tables des salles de classe. Ceux-là échangent entre eux, se forment ensemble, coopèrent , collaborent tout comme ils le permettent à leurs élèves. Ceux-là encore, sont les moins pris au dépourvu aujourd’hui pour penser la continuité pédagogique, parce qu’ils ont déjà instauré des modes de communication et de coopération numériques avec les élèves et leurs familles, parce qu’ils ont déjà inventé de nouvelles manières pour l’enseignement. Mais un grand nombre de professionnels est encore tributaire de la forme scolaire ancestrale. »237

Ce constat de réussite est partagé par Geneviève Zoïa, anthropologue, qui reprend à son compte le même lexique managérial :

« Les contraintes de l’enseignement à distance ont suscité la créativité et fait bouger les lignes entre les professeurs, les élèves et les parents »192

Bruno Devauchelle se désole même de la « continuité pédagogique » précisément parce qu’à ses yeux... elle est continuité, dans une « approche ne remettant pas en cause l’organisation scolaire. »231 Et ce commentateur de l’école, bien éloigné des élèves et de la pression de l’enseignement à distance, de fustiger l’absence de pensée des enseignants :

« Il semble bien que le moment de confinement que l’on vit en ce moment ne soit pas un moment d’innovation pédagogique, mais plutôt un moment de réassurance collective. Pourquoi pas ? Certes on peut faire l’éloge de l’inventivité de certains ou encore de l’utilisation des technologies déjà présentes par d’autres. Mais quid de la réflexion de fond sur ce qu’est l’enseignement et surtout l’apprentissage.  »

D’autres au contraire, beaucoup plus critiques sur la réussite de la « continuité pédagogique », n’en tirent pas moins les mêmes conclusions sur la transformation constructiviste de l’école, comme Rodrigo Arenas, co-président de la FCPE, dans une logique qu’il est – à vrai dire – difficile d’appréhender :

« L'école s'est effondrée pendant le confinement, il faut se dire les choses. On ne peut plus continuer comme avant. »238

La ludification

L’éducation par le jeu mérite d’être généralisée du primaire au secondaire. Comme le dit Philippe Meirieu :

« on a trop tendance, dans nos institutions, à oublier que la motivation, le sens de l’effort, l’autonomie, l’exigence à l’égard de soi-même ne peuvent pas être des préalables à l’entrée dans une activité pédagogique, mais sont les objectifs mêmes de cette activité, indissociablement liés à l’acquisition des savoirs. »194

Pour Philippe Meirieu, le confinement a permis de redécouvrir la vanité de « l’acharnement pédagogique » : aux élèves en difficulté, il faut « proposer non pas « plus de la même chose », mais « autre chose » ».

Dans le cadre du Wise 2020 (« l’éducation disruptée, l’éducation réinventée »), Andreas Schleicher (OCDE) ne dit rien d’autre :

« On va avoir plein de jeunes qui auront expérimenté de formes d’apprentissage différentes pendant la crise, des apprentissages qui auront été plus amusants, leur auront donné plus d’autonomie. Ils reviendront vers leurs enseignants et diront : peut-on faire les choses différemment ? »

Le sociologue libéral François Dubet étrille l’incompétence des enseignants :

« {Le professeur français] n’a p as été formé pour transmettre du plaisir. Il a atteint un haut niveau académique en maths ou en français, a reçu quelques connaissances pédagogiques, et c’est tout. La France est un pays où on ne considère pas qu’enseigner s’apprend. C’est curieux, imagine-t-on un médecin exerçant son métier sans avoir appris à soigner  ?  »239

Davantage, pourrait-on lui répondre, qu’un enseignant apprenant son métier d'un idéologue n’ayant jamais enseigné. On comprend bien que la « formation », c’est imposer des pédagogies non seulement inefficaces, mais dispersives en restreignant la liberté pédagogique

En France, la bien nommée association-entreprise « Ludovia » et son magazine « Ludomag » proposent « la ludification pour maintenir la continuité pédagogique »240 : « Enseigner en ligne, un métier de game-designer ? »

Plus de « professeur  »

La fermeture des écoles et le confinement des élèves chez eux a réalisé en effet un certain idéal pédagogique : celui de l’effacement du professeur , appelé à jouer un autre rôle.

C’est d’abord la posture même du professeur, contraint d’enseigner à distance de façon improvisée, a été transformée, comme s’en félicite le collectif « Question de classe(s) » :

« Dans ce moment que nous vivons – et sûrement moins que jamais –, il nous paraît impossible de faire et de penser « comme d’habitude »: plus que jamais nous sommes des « maîtres ignorants » , selon les mots de Rancière. »241

Les élèves n’apprennent-ils pas aux enseignants à utiliser les outils numériques ?

« Et nous voici guidés, nous, professeurs, avec une bienveillance patiente par nos Télémaque soudain précepteurs. [... ] Fan de « pédagogie inversée », je suis servi. »242

Sur « France Culture », le journaliste Yves Decaen se réjouit avec un certain enthousiasme de cette « concertation » ou de cette « cogestion presque » des professeurs avec les élèves :

« Tout ça implique de réinventer - presque - le métier d'enseignant dans le contenu et dans la forme […] C'est formidable tout ça. Finalement, cette période il faut bien en tirer quelques avantages renforce les liens entre les parents et les professeurs »243

Pour Pascale Haag,fondatrice et directrice scientifique de la « Lab school Paris », on peut se réjouir de la crise pandémique :

« La situation a pu être déstabilisante, mais elle a aussi été l’occasion [pour les professeurs] de se former rapidement, de renouveler leurs pratiques, ou encore de découvrir de nouvelles ressources grâce à leurs pairs ou à l’inventivité de leurs élèves , comme le recours aux chats de la plate-forme de jeux vidéo Discord. La situation invite ou contraint l’enseignant à changer de posture.  »

Mais c’est le rôle même des professeurs qui est appelé à changer, comme l’indique Andreas Schleicher (OCDE) :

« La technologie ne peut pas s e contenter de changer les méthodes d’enseignement et d’apprentissage. Elle peut aussi revaloriser la fonction des enseignants, de dispens ateurs du savoir reçu devenant co-créateurs du savoir, c oachs, mentors et évaluateurs. » 234

Une injonction qui se concrétise, en France, dans cette circulaire académique envoyée aux enseignants pendant le confinement, par exemple :

« L'instauration d'une démarche d’accompagnement où l’enseignant se transforme en "entraîneur" pour soutenir l’engagement, l’apprentissage et la satisfaction des élèves, et ainsi jouer sur leur motivation »244

Comme l’indique, dans le cadre de l’enseignement hybride, le plan de continuité pédagogique reprenant un élément de langage éculé, le professeur doit « adopter de nouvelles postures. »8

Les élèves enfin « acteurs » !

Évidemment, les élèves se sont retrouvés en difficulté scolaire mais, pour l’Éducation nationale, ils ont su « développer d'autres compétences ou qualités : engagement, autonomie, recours aux outils numériques »2

Et puis, pour les « Cahiers pédagogiques », il y aurait enfin cette prise de conscience collective de la part des collègues qu’il faut faire travailler les élèves : le risque de décrochage généralisé permettrait de faire comprendre ce qu’est le décrochage et obligeraient les collègues à mener « une réflexion sur le travail personnel. »210 Même analyse pour Catherine Reverdy (IFE) : « La crise actuelle due au coronavirus a interrogé la manière de travailler et d’apprendre des élèves. »245

« Cette problématique du travail personnel de l’élève, alimentée par des recherches en éducation antérieures à la crise que venons de nous traverser, est depuis longtemps au cœur de l’école. Mais elle acquiert aujourd’hui une visibilité et un intérêt nouveaux, non limités au seul cas des élèves en difficulté. »

De la même façon, Jean-Louis Durpaire, inspecteur général honoraire, se désole de l’incapacité des enseignants « à mettre au travail les élèves ou plus exactement à faire en sorte que les élèves se mettent au travail eux-mêmes. »129 A l’opposé de pédagogies dites « actives » (comme le constructivisme), « dans la pratique, il faut bien constater que les enseignants « dirigent » les apprentissages de manière serrée » et Jean-Louis Durpaire de déplorer que les enseignants soient eux-mêmes dirigés par des programmes.. L’épidémie est enfin l’occasion de développer toutes les compétences non disciplinaires, à commencer par l’autonomie et les capacités d’initiative.

C’est le moment où jamais pour Pascal Plantard : « Les enseignants doivent « apprendre à apprendre » aux élèves dans le cadre familial »151 et tant pis si c’est le pire moment pour cela.

Sylvain Connac (« Cahiers pédagogiques ») propose toutes sortes de pratiques coopératives (les conseils coopératifs, les discussions à visée démocratique ou philosophique pour « changer la société », les jeux coopératifs, le travail en équipe etc.) avec cette justification :

« Ces démarches de projet ont besoin de ne pas assimiler les élèves en (sic) simple exécutants d’idées qui leur seraient imposées. »246

Autant de belles idées progressistes que l’on retrouve chez les commentateurs les plus éloignés de l’école, comme dans cet article de rentrée de « Télérama » fustigeant l’absence de « plaisir » en classe des élèves :

« Certes , le corps enseignant n’a pas attendu Télérama pour comprendre qu’un auditoire progresse mieux si on le captive. Mais quelle proportion d’enseignants, dans le secteur public , bouscule le sacro-saint cours magistral pour pratiquer la classe « en îlots », afin de favoriser les interactions entre élèves et différencier les apprentissages selon leurs niveaux Combien expérimentent des approches pédagogiques organisées autour du constat qu’Homo sapiens apprend mieux quand il intervient, questionne, agit, essaie… quitte à se tromper ? On l’ignore. Les données manquent. «  Attachés à leur liberté pédagogique , les profs rechignent à ouvrir la porte de leur classe par crainte qu’une administration tatillonne vienne leur chercher des noises, explique François Dubet. »239

On le voit : sous couvert de progressisme, les attaques contre la liberté pédagogique et l’école publique sont de plus en plus cyniques.

Le conseil scientifique de l’Éducation nationale (CSEN) ne dit pas autre chose :

« les scientifiques recommandent de recourir à des pratiques pédagogiques favorisant l’apprentissage en autonomie en aidant les enseignants à concevoir des activités « piquant la curiosité » des élèves et maximisant leur motivation et leur participation active, afin de ne pas creuser les inégalités scolaires. « Avec les cours en vidéo, l’enseignant perd sa capacité à détecter le décrochage », relèvent les auteurs, qui promeuvent les questionnaires à choix multiples, «  qui forcent les élèves à redevenir actifs  » »41

Cet appel se concrétise lui aussi, avec cette même circulaire académique qui fait cet aveu très ingénu :

« Autonomie & accompagnement : l’enseignement à distance sollicite l’autonomie de l’élève, forcé d'être acteur de son apprentissage continuellement.  »244

Dans la presse, à la veille de la rentrée, on fait l’éloge de ces « innovations à l’école » (venues parfois… du supérieur) pour « se défaire du cours magistral »247 :

« Pratiquées dans l'enseignement supérieur, à l'étranger ou par quelques profs français, des pédagogies nouvelles pourraient servir de source d'inspiration. Loin de la diffusion du savoir descendante, de nouvelles formes d'organisation permettent aux élèves d'être moins passifs et de s'impliquer davantage dans leur apprentissage. »

Et de donner l’exemple des « quiz interactifs » ou de « la classe inversée » : difficile pourtant de faire plus magistral qu’un cours dispensé par une vidéo...

Tout comme le rôle du professeur devrait changer, celui de l’élève devrait changer : il faudrait, selon une fiche du ministère, « penser la place de l’élève (auditeur ? Participant ? Pair ? Concepteur ?). »8 Pour Jonas Erin, inspecteur général, il faudrait « faire de l’élève un "partenaire" pédagogique. »196

Les « Cahiers pédagogiques », quand les adultes et les scientifiques eux-mêmes sont dépassés par la crise, ont proposé une publication pour « Former les élèves à vérifier les informations »248 :

« Dans les temps de crise, comme ce fut le cas par exemple au moment des attentats, et comme c'est à nouveau le cas aujourd'hui avec la pandémie, démêler le vrai du faux en matière d'information est primordial. Pour ne pas relayer d'infox, ne pas accorder de crédit à des théories complotistes, i l faut faire preuve d'esprit critique et scientifique. Comment y former les élèves ? »

Sur le même principe, le collectif « La Main à la pâte », qui veut faire des élèves de petits chercheurs, a proposé des activités constructivistes toutes centrées – pauvres élèves ! – sur la pandémie249 : observer scientifiquement la maladie, expliquer sa propagation (apprendre à modéliser l’évolution d’une épidémie en utilisant le logiciel Scratch), évaluer l’information et éduquer à l’esprit critique sur les sources scientifiques, argumenter en faveur d’une politique de lutte contre les épidémies, « inventer un support de communication » en faveur de cette politique et tant pis si les vives polémiques politiques et scientifiques ont montré la naïveté de telles prétentions, si vertueuses soient-elles. Fallait-il par exemple promouvoir les masques ou les interdire ?

« Pour La main à la pâte, association qui promeut la culture scientifique à l'école, la pandémie est l'occasion d'apprendre aux élèves à expérimenter pour comprendre le virus et les moyens dont nous disposons pour lutter contre lui, et ainsi, à forger leur esprit critique. » : « L’idée est de faire des enfants et des adolescents des ambassadeurs de l’esprit critique. Cela ne signifie pas que concernant les adultes, nous n’avons plus d’espoir, mais je pense que nous avons le devoir de former cette nouvelle génération qui a encore des chances de développer ses propres armes. »250

L’autonomie des élèves peut aller très loin. Pour le collectif des « Savanturiers » (« les enfants chercheurs »), qui prône tout simplement « l’éducation par la recherche », il faut donner :

« la priorité au maintien de l’esprit d’investigation, de la curiosité et de l’exploration de l’enfant et de l’adolescent et non aux apprentissages scolaires ordonnés et curriculaires. [...] les enseignants qui menaient des projets Savanturiers dans la classe notent que les compétences développées avec et par les élèves grâce à l’éducation par la recherche (autonomie et exigence des élèves, démarche de recherche faisant appel à la créativité, la volonté d’agir, mais aussi aux capacités d’observer, de consulter des connaissances, d’expérimenter et de vérifier) sont la véritable clé de succès de la continuité pédagogique au-delà des solutions numériques ou leur absence. »

Les élèves seraient même capables de redéfinir comment doit évoluer l’enseignement, si l’on en croit l’enquête du laboratoire BONHEURS de l’université de Cergy :

« les réponses des élèves font aussi clairement ressortir des points qui pourraient contribuer à faire que le futur collège évolue et réponde mieux aux besoins des élèves. »217

Deux enseignantes-chercheuses, Pascale Haag et Muriel Epstein, ont également mené une enquête auprès des élèves du CP à la Terminale :

« ils sont nombreux à retirer des éléments positifs de cette période  : ils constatent qu’ils gagnent en autonomie, sont moins stressés, mangent et dorment mieux, apprécient de pouvoir travailler à leur rythme et sont heureux de passer plus de temps en famille. Un lycéen de terminale considère ainsi que « pour le travail, ce confinement est presque parfait ». Une élève de CM2 partage ce constat : « Je suis libre et je me sens plus apaisée et je peux choisir ce que je souhaite apprendre. » […] Près de 30 % des élèves souhaitent même qu’une partie des cours se poursuive à distance après la reprise ! »251

Mais l’autonomie des élèves acteurs, chercheurs, penseurs de l’éducation, ne doit pas les rendre individualistes pour autant. Pour Rodrigo Arenas, co-président de la FCPE :

« Ce serait ainsi la possibilité pour les enfants de développer leur autonomie, leur sens des responsabilités, de renforcer les mécanismes de solidarité au sein d'une même classe, voire de tutorat entre pairs, tout en les aidant à assimiler mieux et plus vite des notions qu'ils auraient dû acquérir l'an passé. »213

Valeur(s) de la coopération

Car, comme l’autonomie, la coopération devrait s’enseigner au même titre que des disciplines scolaires. Ce n’est pas le moindre des paradoxes : le grand moment d’isolement qu’a été le confinement à la maison ou celui de la distanciation sociale en classe justifierait plus que jamais le recours aux pédagogies collaboratives. Même certains tenants du constructivisme scolaire, comme Catherine Reverdy, ont constaté lucidement les effets de la fermeture des écoles :

« On a observé non pas forcément un décrochage au sens habituel du processus de démotivation, de découragement progressif et de perte de sens de l’école, mais plutôt un désengagement ponctuel dû à l’éloignement de la classe, tout comme dans le télétravail professionnel par rapport à l’éloignement du lieu de travail. »225

Mais peu importe. Pour Caroline Tambareau (alias Mila Saint Anne), formatrice INSPE et membre des « Cahiers pédagogiques » :

« J’ai quand même le sentiment que les élèves habitués à l’autonomie, aux plans de travail, à la pédagogie de projet en équipe... s’en sont mieux sortis pendant le confinement. »252

Tant pis si, selon la recherche, la coopération n’est pas efficace : c’est sa générosité qui importe. Pour Philippe Meirieu et Rodrigo Arenas (FCPE), l’école coopérative est avant tout un « pari. »253 Pour François Jarraud (« café pédagogique »), qui interroge Sylvain Connac (« Cahiers pédagogiques » et promeut son ouvrage quelques jours avant la rentrée scolaire – offert pour tout abonnement au journal), il s’agit avant tout de « mettre en application des valeurs pédagogiques et politiques qui sont chères aux pédagogues. »254 Sylvain Connac, regrettant que la formation aux pédagogies coopératives ne soit pas plus davantage généralisée en France, ne dit rien d’autre :

« la coopération porte des valeurs de justice sociale. On fait coopérer les élèves pour qu'ils apprennent mieux individuellement et pour lutter contre les inégalités. C'est l'éducation à la fraternité par la fraternité. [ ] Au niveau des enfants ça peut être intéressant que la coopération devienne une forme de direction éducative. Cela permettrait d'espérer atteindre un idéal cher aux pédagogues : transformer la société par la transformation de l'école. »

Concédant par ailleurs que « l’école par écrans interposés, ce n’est pas véritablement l’école », il a proposé pour le retour des élèves « une pédagogie sans contact »247 dans laquelle la coopération entre élèves servirait la distanciation physique : maintenir les îlots et le travail en groupe (aide, entraide et tutorat) avec une circulation autour d’une table d’aide pourtant bien peu sanitaire :

« Avec les plus âgés, il est envisageable de les autoriser à utiliser leurs téléphones pour s’envoyer des messages au sujet de ces aides à organiser. »

Pour Philippe Meirieu, « chercheur et militant en pédagogie », les enseignants ont pu mesurer l’importance du caractère collectif de la classe (alors qu’ils ont – à la vérité – surtout mesuré l’importance du caractère... présentiel de l’enseignement) : il appelle, pour la rentrée, à « mettre en œuvre une véritable pédagogie de la coopération pour incarner la solidarité plus que jamais nécessaire pour faire face aux crises que nous traversons. »255 Certes il dénonce « les outils numériques qui dominent aujourd’hui […] majoritairement porteurs d’une logique individuelle et techniciste »194 mais pour demander… une formation adaptée des enseignants afin de « les mettre au service de la construction de véritables collectifs » :

« je souhaite que nous revendiquions, de la maternelle à l’enseignement supérieur, la possibilité de mettre en place des dispositifs pédagogiques inspirés des pédagogies coopératives et institutionnelles »194

Pour Rodrigo Arenas (FCPE) , la crise devrait même permettre de repenser le concept de classe et son rêve d’école n’est pas sans rappeler les aspirations de certaines écoles privées hors contrat256 :

« depuis des années il aurait fallu […] permettre aux enseignants de développer des formations entre pairs, accéder à des formations qui permettent de sortir du « cours filmé » » ; « on a laissé les un.e.s et les autres se débrouiller pour déconstruire un quotidien ancré dans le XXe siècle, paradoxalement rassurant, les rituels pédagogiques respectés  »213
« Pourquoi ne pas faire le pari de la «pédagogie coopérative» dès la rentrée prochaine et développer systématiquement, de la maternelle au lycée, les classes multiniveaux ? […] Les enseignants seront ainsi en mesure de mettre en place une pédagogie authentiquement différenciée [...] Fini le taylorisme scolaire où l’on fait tous en même temps l’exercice du jour pour s’acquitter mécaniquement d’une tâche obligatoire. [...] Sur le plan scolaire, elles permettront à tous les élèves de rattraper leurs retards »253

Oubliant que de telles classes ne fonctionnent qu’à des conditions très précises, Philippe Meirieu abonde :

« On pourrait alors multiplier les classes multiniveaux, sur tout ou partie du temps scolaire, et faire de l’entraide entre élèves un principe fondamental de l’institution scolaire, à mettre en œuvre systématiquement et à tous les niveaux »

Las ! A la veille de la rentrée, Bruno Devauchelle (« Café pédagogique ») tire déjà un bilan quelque peu dépité du confinement :

« Non il n’y a pas eu de grande nouveauté pédagogique qui ait émergé de ces trois mois. Il faut dire que les moyens mis à disposition par le ministère, entre autres, n’ont guère permis d’autre chemin que ceux tracés par une forme scolaire ancrée dans les esprits. Il faut ajouter que la plupart des enseignants ne souhaitaient guère autre chose que de revenir à l’état antérieur »

Voilà pourquoi – comme dans tout renversement constructivistes – les enseignants raient davantage recevoir l’injonction de se former mais également de coopérer... comme les élèves. Pour l’ex-recteur Alain Bouvier, la crise a montré « que la pédagogie ne peut être qu’un travail d’équipe. »180

Continuité… ou « transition éducative » ?

« France Culture » s’interroge : « La crise du coronavirus peut-elle transformer l'école ? »257 sans se demander pourquoi elle le devrait. De fait, cette transformation dépasse peut-être même ce terreau constructiviste dans lequel elle s’enracine avec un nouveau rapport au savoir appelant à des transformations plus radicales encore.

Pour Charline Avenel, rectrice de l’académie de Versailles :

« Nous avons inventé l’école autrement. Et de fait, l’école sera dans les prochains mois autrement. »258 [...] nous sommes en train de faire des bonds colossaux : nous réinventons l’école et nous transformons nos organisations. »

C’est illustrer une transformation à l’œuvre depuis plusieurs années : « la transition éducative » appelée par François Taddei du CRI.

De l’enseignement à «  l’apprenance  »

Emmanuel Macron, le président de la république, s’est félicité le 14 juillet :

« L’école, nos enseignants ont beaucoup appris […] On a développé un enseignement en ligne, on a développé une nouvelle manière d’apprendre aux élèves. »

Mais quelle est donc « l’apprenance », cette « nouvelle forme de rapport au savoir »259, concept repris et promu par François Taddei du CRI ? Comme son nom l’indique, « l’apprenance » dépasse largement le cadre de la pédagogie (comment enseigner) et de l’enseignement (qui suppose un enseignant). Comme l’indique Bruno Devauchelle du « Café pédagogique », nous sommes à l’aube, à proprement parler, d’une révolution pédagogique :

« Nous sommes là au cœur du renversement désormais bien souvent décrit : on passe de l’enseigner à l’apprendre. […] D’autant plus que les élèves auront eu l’occasion d’aller voir ailleurs où l’on peut apprendre et en particulier sur le web. »231

Pascale Haag, chercheuse à l’EHESS et directrice scientifique de la « Lab school Paris » (une école hors contrat admirée par Rémy Challe d’EdTech France260) explique qu’il faudrait « imaginer de nouvelles manières d’apprendre qui vont permettre [aux élèves] de se débrouiller plus tard dans un monde qui change à toute vitesse, et dans lequel les savoirs scolaires, dans certains cas, ne sont pas forcément les plus utiles. »261

Le constructivisme, en mettant les savoirs enseignés au second plan (« apprendre à apprendre »), ouvre la voie à cette transformation. Les entrepreneurs embrassent cette vision de l’enseignement :

« L’apprentissage juste à temps, sur le lieu de travail, en de courtes périodes, s’avère beaucoup plus utile pour trouver des solutions que les années passées à obtenir des diplômes. Ce passage d’un enseignement basé sur les diplômes à un apprentissage continu basé sur les compétences a été facilité pour la première fois par les premiers innovateurs d’EdTech. Ils ont permis l’émergence de l’apprentissage tout au long de la vie. »55

Pour Andreas Schleicher (OCDE), c’est la conception même de ce que c’est qu’apprendre qui se trouverait mise en cause par la crise pandémique :

« Poursuivre simplement notre approche directive de l’enseignement ne suffira pas en ce temps de crise, qui exige des enseignants non pas de reproduire leurs leçons à travers un nouveau médium, mais de trouver des réponses entièrement nouvelles aux questions suivants : quoi apprendre, comment apprendre, où apprendre et quand apprendre.  »234

Et, de fait, c’est tout la société qui devrait devenir « apprenante », conformément à une idéologie éducative qui se répand depuis quelques années. Les académies deviennent apprenantes, les vacances deviennent apprenantes., la nation elle-même devient apprenante. Dès le début du confinement, François Taddei a promu avec enthousiasme sur « France Culture » sa « société apprenante » et s’est félicité de l'accélération vers cette nouvelle manière d’apprendre262.

Rien d’étonnant dès lors que les acteurs de cette « transition éducative » cherchent en réalité, derrière la continuité, à provoquer cette transformation radicale de l’école. Ainsi « l’association » « SynLab », qui et qui « accompagne les enseignants, les cadres et les formateurs à développer leurs potentiels afin qu’ils portent ensemble la transition éducative », s’est réjoui de la « bascule vers l’enseignement à distance » rapide et de « l’immense sollicitation de [sa] plateforme EtreProf »263. Plusieurs membres d’Ashoka et du CRI sont membres du conseil d’administration de SynLab, aux côtés de cadres de l’Éducation nationale.

De nouvelles compétences

On l’a vu : l’apprenance veut pouvoir se libérer des programmes scolaires pour proposer des savoirs plus informels et réputés plus utiles, dans une vision utilitariste – voire consumériste – de l’éducation qui confond l’émancipation par l’intelligence, la culture et la connaissance et la formation professionnelle la plus étriquée et la plus sclérosante. L’importation des compétences dans le champ scolaires avait déjà dérivé d’acquisitions disciplinaires à des compétences beaucoup plus informelles : la « transition éducative » voudrait aller encore plus loin. Kevin Robinson, membre d’Ashoka et président d’honneur de « SynLab », proclame depuis quinze ans, et plus encore dans le contexte pandémique, l’importance du design thinking :

« La créativité est aujourd’hui aussi importante dans l’éducation que lire et écrire. »264

Le sociologue François Dubet se prend à rêver d’une école numérique où la mise en activité importerait davantage que l’apprentissage :

« Faudra-t-il pour autant revenir à l’école d’avant ? Imaginons que l’on découvre que les élèves apprennent bien ou pas plus mal grâce aux outils technologiques et aux connexions. Imaginons que beaucoup d’entre eux pensent que les relations pédagogiques virtuelles avec les enseignants sont plus apaisées et plus singulières… Bref, imaginons que l’on découvre qu’il est possible de faire l’école autrement . Ceci ne devrait pas conduire à fermer les écoles, mais, au contraire, à les ouvrir plus encore pour y travailler d’une autre manière et pour lui donner une vocation éducative plus affirmée. Imaginons que tous les élèves soient équipés et connectés, que les enseignants bénéficient d’un soutien technique efficace et que toute une partie du travail scolaire se fasse de manière virtuelle à la maison ou à l’école. Toute une partie du travail qui se fait en classe, la leçon et l’évaluation, pourrait se faire ailleurs et à d’autres moments. La classe n e serait plus la seule forme de transmission puisque l’enseignant pourrait faire cours simultanément à plus d’élèves, ou à quelques uns. » ; « le temps de « l’école à l’école » pourrait être utilisé pour faire autre chose, et d’abord pour faire quelque chose. Rappelons que pour la majorité des collégiens, des lycéens et des étudiants français, l’essentiel du temps scolaire consiste à prendre des notes, à apprendre des leçons et à se préparer aux évaluations […] ils apprennent les sciences mais n’en font pas beaucoup ; ils apprennent la littérature mais n’écrivent pas et ne font pas de théâtre ; ils doivent avoir des idées mais n’en discutent pas. Non seulement l’idée de faire quelque chose n’est pas très vivante dans la culture scolaire française, mais elle a du mal à se couler dans le module homogène de la classe. Alors, elle souvent renvoyée au « périscolaire » et au seul enthousiasme des enseignants. »126

Créativité au service, bien sûr, de l’innovation vertueuse. Andreas Schleicher (OCDE) fait d’ailleurs ce constat : « Dans nos systèmes éducatifs industriels, nous sommes facilement amenés à sous-estimer le potentiel latent de l’innovation »234. Le « chercheur spécialiste de l’éducation »265 qu’est François Taddei (en réalité ingénieur sans compétence particulière dans l’éducation), convaincu des possibles de « l’intelligence augmentée » par l’intelligence artificielle, dessine des avenirs meilleurs et quelque peu naïfs, dans lesquels l’innovation et la collaboration permettraient de surmonter les crises :

«  Et si nous profitions de la crise du COVID-19 pour réinventer demain  ? […] « Beaucoup d’enseignants ont été obligés de réinventer leur métier, beaucoup d’élèves on t été obligés d’apprendre différemment et des fois ils ont appris les uns des autres, il y a des profs qui ont appris d’autres profs, il y a des profs qui ont appris de leurs propres élèves sur comment utiliser tel ou tel outil numérique, il y a des parents qui ont découvert le fonctionnement de la pédagogie […] peut-être que la leçon principale, c’est d’apprendre à relever des défis ensemble et je pense que notre école ne nous forme pas tellement à relever des défis : elle nous forme au mieux à connaître les solutions d’hier sans nécessairement nous mettre dans le contexte dans lequel elles ont été développées alors qu’en fait ce qu’on peut faire aujourd’hui… il y a tout un tas de programmes pédagogiques comme les « savanturiers » qu’on a développé ou d’autres qui sont assez complémentaires comme « Bâtisseurs des possibles » par exemple, qui sont des programmes dans lesquels on part du questionnement des enfants, on part des défis auxquels ils sont confrontés et, suivant les programmes, on utilise du design thinking ou des méthodes scientifiques pour permettre aux jeunes de découvrir leurs propres réponses, leurs propres moyens pour faire face aux défis qui sont les leurs. Et ça, je pense que si on formait nos élèves, nos profs et même tous les citoyens à être des personnes capables de relever des défis, quel que soit le monde de demain, il y aura des défis dedans […] et aujourd’hui on n’est pas formés à ça : on est formés à passer des concours, on est formés à passer des examens, on est formés à être un peu meilleur que son voisin, on n’est pas formés à collaborer avec les autres, dans la classe et en dehors de la classe pour relever des défis personnels, des défis locaux, des défis globaux.  »

Une créativité qui pourrait s’appliquer également aux examens. À propos du casse-tête des examens en ligne dans le supérieur, Nadia Jacoby, « ancienne vice-présidente chargée du numérique à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne, aujourd’hui à la tête d’une agence de conseil en transformation digitale » mais « restée enseignante dans l’âme », a fait cette proposition qui laisse penser que la réflexion ne peut être adossée à la connaissance :

« Plutôt que de se focaliser sur la “triche zéro”, mieux vaut réfléchir au contenu des épreuves et à la formidable chance que donne le numérique de concocter des sujets d’examen faisant davantage appel à la capacité créative de l’étudiant qu’à sa capacité à recracher le contenu des cours… »266 :

Pourquoi même évaluer ? Un professeur de lettres de l’enseignement prioritaire, qui n’est peut-être pas un adepte de l’apprenance, parait séduit pendant la crise pandémique :

« D’un point de vue plus personnel, les cours en ligne et la suspension des évaluations habituelles constituent tout de même une expérience enrichissante. Les élèves et moi-même sommes en effet désormais libéré.e.s des contraintes des contrôles. Ils.elles reçoivent deux fois par semaine des devoirs à rendre mais aucun dispositif de surveillance ou de sanction n’est prévu s’ils.elles ne les réalisent pas. Nous avons développé ensemble des méthodes de travail plus informelles qui s’apparenteraient davantage à celles des ateliers de lecture ou d’écriture. »267

Reste que, malgré cette adaptation et de son propre aveu, une minorité seulement des élèves suit les cours et rend le travail demandé : les meilleurs élèves.

Mais peu importe : les élèves acquièrent des compétences psychosociales et ce serait même, parmi d’autres éléments, « un côté lumineux » de la crise, selon Robert Sauvaget, inspecteur de l’éducation nationale :

« De nouvelles solidarités et sociabilités ont été découvertes. […] L’explosion depuis quelques années du « numérique », se révèle aujourd’hui vecteur essentiel pour garder du lien au niveau éducatif (continuité pédagogique, relation au sein de l’équipe et avec les familles…), au niveau familial et sociétal.  »268

Scénarisation et empathie

Dans le prolongement du constructivisme, il faut tirer les conclusions de ce nouveau paradigme, comme y invitent Muriel Epstein et Pascale Haag :

« Saurons-nous prendre appui sur les aspects positifs de cette période pour continuer à faire évoluer les relations entre enseignants et apprenants ? La crise liée à l’épidémie de Covid-19 pourrait bien marquer la fin d’une ère et imposer un véritable changement de paradigme à la « société de la connaissance ». En fin de compte, plus que la « continuité pédagogique », c’est surtout la « continuité relationnelle » qu’il importe de préserver, en veillant à inclure tous les enfants. »

Pour la sociologue Béatrice Mabilon-Bonfils, directrice du laboratoire BONHEURS, il faut voir dans la crise pandémique « un laboratoire pour penser "l'école d'après" »269 :

« Il s'agit de considérer que l'enseignant n'est pas un réservoir de savoirs, mais un humain empathique , ingénieur de la pédagogie, qui, par des émotions et des méthodes, va instiller aux élèves le désir de plonger avec excitation et angoisse dans des domaines inconnus. On peut avoir l'impression en disant cela d'enfoncer des portes ouvertes, pourtant, c'est bien de cela dont il est question : faire éprouver le bonheur de résoudre des inconnues et de faire face à des difficultés  »270

Dans une tribune, le sociologue François Dubet, François Taddei (CRI et Ashoka) et Florence Rizzo (« SynLab » et Ashoka) ainsi que la philosophe Cynthia Fleury prétendent montrer « comment les enseignants rêvent l’école d’après-Covid » tout en les mettant en cause :

« Il nous semble urgent de réhumaniser les métiers de l’éducation qui sont avant tout des métiers de l’humain. Dans le monde de la santé, il a fallu du temps pour que les médecins s’intéressent non plus seulement aux maladies mais aux malades. »

Dans certaines écoles du supérieur, on compte bien prendre acte rapidement de cette humanisation de l’enseignement. Selon José Milano, directeur général d’un groupe d’écoles de commerce :

« Cette expérience va enrichir notre pédagogie. Si on dit juste : “Rendez-moi ce cas pratique pour telle date”, c’est insuffisant. Il faut du soutien, plus d’humain et de contacts en cette période. » 18

Il incombe désormais au professeur de scénariser ses cours151.

[ La visioconférence ] nous donne un côté youtubeur », ironise [ Nadim Barradia, un professeur de marketing ]. Cet épisode, appelé à se reproduire durant des mois, pourrait modifier en profondeur la notion de transmission des savoirs. Une fois de retour devant des étudiants en face-à-face, il faudra peut-être que les professeurs parviennent à donner une nouvelle légitimité à leurs cours. » Pour Cyril Bedel, cofondateur d’Edunao, fournisseur de plates-formes d’apprentissage, « il est temps de se mettre en phase avec une génération étudiante qui se sert plus de son mobile que de son stylo … »18

Comme dit le psychologue Yann Leroux à propos de l’ensemble des enseignants :

« Si en classe tu fais moins bien que TF1, il est temps de changer de métier. »271

Le sociologue Nicolas Oblin, se désolant des programmes et de la transmission scolaire, envisage tout simplement « l’obsolescence programmée du métier d’enseignant  » :

« Si l’on transpose cette conception à l’ère du numérique, dès lors que les œuvres sont connues de tous, accessibles à tous et qu’il existe des interfaces numériques permettant de guider chacun dans ses excursions... à quoi bon s’embêter avec un guide susceptible d’arriver en retard, de tomber malade, de parler une langue inconnue, d’être probablement fatigué de répéter toujours la même chose et de répondre toujours aux mêmes questions, et qui plus est dans un groupe qu’on n’aurait pas complètement choisi ?! […] dans ces conditions, vous l’aurez compris, l’enseignant deviendrait rapidement obsolète et bientôt super flu. Il n’est plus le détenteur du savoir (immédiatement disponible partout) et n’a plus le monopole du guidage (également immédia tement disponible partout).  »272

Dès lors, avec obsolescence du métier d’enseignant ou l’apprentissage tout au long de la vie, se pose la question de l’intérêt même de l’école, comme nous allons le voir. Un professeur en éducation prioritaire a fait ce constat aussi triste que paradoxal au tout début du confinement :

« Le coronavirus enlève tout ce que ces élèves n'aiment pas dans l'école : les horaires, les contraintes etc. Alors paradoxalement, ils se mettent à aimer l'école »273

Vers un nouveau management des enseignants

L’adaptation, mantra du management moderne, s’est trouvée naturellement au cœur des discours institutionnels, jamais pour l’enjoindre bien sûr, mais toujours pour la célébrer et l’encourager. Barbarie douce déjà mise en lumière par Jean-Pierre Le Goff. On ne rappelle jamais assez d’où vient le « management » : des manèges où l’on fait tourner les chevaux.

Il faut d’abord observer que le basculement vers l’enseignement à distance ou hybride s’est fait en l’absence non seulement de tout volontariat, de tout équipement professionnel mais également de tout cadre juridique. Que deviennent, dans cette école à distance improvisée, les obligations de service des enseignants, quand l’espace familial, personnel et intime, devient l’espace professionnel ?

Un stakhanovisme de crise

Le surprise et la rupture du confinement généralisé a été brutale et nombre d’enseignants ont souhaité, dès le premier week-end, offrir à leurs élèves un cadre pour l’enseignement à distance en les contactant et en les mettant au travail le plus rapidement possible.

Le rythme de travail a dès lors été soutenu, pour ceux qui en avaient la possibilité physique et matérielle : « Au début du confinement, je recevais 150 mails par jours »274 indique Alexane dos Santos, professeur au collège. Charline Avenel, rectrice de l’Académie de Versailles, rapporte l’exemple d’une enseignante de Corbeil, dans l’Essonne, qui a appelé « chacun de ses élèves pour les faire lire pendant 10 à 30 minutes chaque jour. »

Une autre, Stéphanie Lizy-Destrez, a pris « sur son temps de déjeuner, ses soirées et, peu à peu, aussi sur ses week-ends, pour appeler un par un ses étudiants, au détriment de sa vie de famille. » 275

« Aujourd’hui, elle ne le cache pas : « J’en ressors lessivée, complètement épuisée. » »

Des enseignants ont même ignoré les jours fériés pour organiser des visioconférences – ce sont les élèves qui eux-mêmes qui ont dû s'en étonner ! – ou fait comme si les vacances scolaires n’existaient pas. Des enseignants, même atteints par la maladie, ont assuré l’enseignement à distance.

Des enseignants sont cités pour leur « l’ingéniosité » à assurer la continuité là même où elle pouvait sembler impossible : dans l’enseignement professionnel, par exemple, « travailler les gestes professionnels »276 avec des vidéos. Comme on l'a vu, des professeurs innovants n’ont pas hésiter à se donner en modèle malgré leurs obligations de service allégées.

Pour les premiers retours partiels en classe, une professeur des écoles, Élisabeth Gillet, a mis très tôt en place « un dispositif pédagogique expérimental » (avec Zoom) qui lui a permis d’« avoir le don d'ubiquité grâce aux outils numériques : 13 élèves connectés à la maison - 12 élèves en présentiel » :

« C'est mon choix pédagogique et mon goût pour l'expérimentation qui m'a amené à mettre en place ce dispositif. Aucune hiérarchie ne m'a imposé ce mode de fonctionnement. »277

Un Inspecteur de l’Éducation nationale (IEN) de Metz a applaudi ces « nouvelles pratiques pédagogiques » et, comme nous le verrons, l'enseignement hybride est devenu à la fin de l'année scolaire une piste d'enseignement privilégiée pour le ministère.

« Lenseignant augmenté »

Dans un fascinant magazine « à l'écoute du numérique », on découvre émerveillé « L’enseignant post-Covid augmenté »167 :

« Continuité pédagogique oblige, la boîte à outils des enseignants s’est enrichie de nouvelles ressources et compétences numériques pendant le confinement. » : c’est « toute une profession qui est montée rapidement en compétences » :

Certains « enseignants augmentés » ont ainsi proposé que de nouveaux dispositifs puissent être pérennisés après le retour en classe, comme Joan Riguet, professeur de mathématiques, « intéressée par les pédagogies actives, le travail par compétences et le numérique » et se destinant à la formation de collègues (CAFFA). Elle a suggéré de mettre la classe virtuelle au service de l’aide aux devoirs le soir à la maison :

«  Avec l’aide aux devoirs en classe virtuelle, l’élève peut rentrer chez lui, se connecter entre 18 et 19 heures, par exemple, poser sa question, et rester uniquement le temps qu’il faut pour qu’il soit guidé », résume-t-elle. Cette formule, souple, pourrait bien faire boule de neige. »167

Cette heureuse initiative, défendue par Laurent Fillion (SE-Unsa et « Cahiers pédagogiques ») au nom de la liberté pédagogique, n’a pas manqué d’inspirer l’institution, comme on le verra bientôt.

Un tel stakhanovisme de crise a pu être encouragé par l’institution scolaire. L’académie de Reims, par exemple, a promu les initiatives des professeurs de l’académie comme autant de modèles à suivre : l’un a créé une chaîne Youtube pour ses élèves, l’un propose des « ateliers interactifs » pour placer les élèves « au plus près de la réalité », l’un lance des défis en ligne à ses élèves, l’un propose des classes virtuelles chaque semaine, l’un a créé un site d’école à l’annonce de la fermeture des écoles etc.

Face à ces efforts et à ces initiatives, les éloges et hommages se sont d’abord multipliés (on a même vu sur Twitter le succès de #MerciLesprofs 278 (virant parfois de façon malheureuse à la surenchère dans l’exploit pédagogique) d’autant que les dispositifs institutionnels étaient souvent défaillants et que les enseignants ont assuré ce basculement numérique sans aucun équipement professionnel, cet équipement étant resté à l’état de projet nébuleux pour le ministère (selon la fiche sur l’enseignement « hybride ») :

« Mettre en place un enseignement à distance nécessite de disposer du matériel adéquat. Une réflexion doit être menée sur le financement de cet équipement par le ministère »8
« La question d'une prime pour un équipement informatique est sur la table [... ] L'équipement systématique de chaque élève, chaque professeur est notre objectif.  »279

Mais les hommages pouvaient avoir un revers lourd de sens, à l’instar de ceux du sociologue libéral François Dubet :

« Au nom de leur vocation, ils ont fait la « classe à la maison », ce que beaucoup n’auraient jamais imaginé de faire, par principe et par habitude. Ils ont fait tout ce travail avec les moyens du bord en ne comptant ni leur temps, ni leur engagement.  »126

Alain Bouvier, qui fustige tout ce que l’Éducation nationale compte de réactionnaire, espère ainsi que les enseignants « tireront collectivement la leçon »287. Compter son temps, exiger des moyens, n’est-ce pas indécent en temps de crise pandémique et ne sera-ce pas rétrograde demain ?

En fait de pédagogies modernes plus efficaces ou de reconnaissance institutionnelle concrète, l’enseignant s’est surtout trouvé « augmenté »… dans ses missions.

Au lieu d’inviter à ralentir le rythme scolaire, l’institution a démultiplié les missions comme on peut le voir dans les fiches Éduscol sur le site du ministère326 :

« Il est indispensable également de s’adapter au degré d’autonomie des élèves, de penser la place de l’élève [...] , de différencier les contenus et les activités, de mettre à disposition des contenus adaptés, de favoriser leur appropriation, de soutenir les apprentissages, de maintenir l’engagement, d’évaluer régulièrement l’impact des choix pédagogiques sur la qualité des apprentissages. »

Il est même demandé d’« accompagner les élèves sur les plans non seulement cognitif mais aussi socio affectif, motivationnel et métacognitif ».

Dans l’académie de Poitiers, au moment des premiers retours en classe, un vademecum du collège des IA-IPR (émaillées de références aux « Cahiers pédagogiques », « Ludomag », « SynLab ») a multiplié « pour maintenant et pour demain » les injonctions constructivistes : travailler en équipe, faire des ponts entre les disciplines, travailler par projet, continuité inter-cycles, portfolios, articuler « le présentiel et le distanciel »...

...« réfléchir à l’utilisation du BYOD », « valoriser les compétences numériques et réinvestir les outils d’évaluation expérimentés en confinement », promouvoir « la créativité pour susciter l’intérêt et la motivation pour apprendre », « profiter de cet espace / temps pédagogique inédit […] pour travailler autrement », « travailler et valoriser l’autonomie », « privilégier la collaboration entre pairs », « s’inscrire dans une logique de plan de travail », « réactiver les idées d’EPI », « adopter une approche active », « i nviter les élèves restés à la maison à rejoindre la classe virtuelle, tenir un tableau de bord des présents », « profiter de la présence de petits groupes en classe pour faciliter l’interdisciplinarité en apportant un accompagnement différencié »280

Le vendredi soir de l'éprouvante première semaine de confinement, un questionnaire interminable (vingt-cinq questions extrêmement détaillées) a été adressé aux professeurs de l’académie de Caen.

La mise en concurrence de tous avec tous

La crise pandémique a accéléré la course à la promotion personnelle et la mise en concurrence généralisée de tous les enseignants. Qui dit mise en valeur dit également mise en cause. L’anthropologue des usages des technologies numériques Pascal Plantard a ainsi distribué les bons et mauvais points en opposant trois catégories d’enseignants :

« un bon quart d’enseignants qui étaient déjà acculturés aux technologies numériques. Eux s’en sont plutôt bien tirés depuis le mois de mars pour recréer, même à distance, une dynamique de classe et inventer d’autres façons de travailler. Il y a ensuite la moitié des professeurs qui a tâtonné pour faire au mieux. Au tout début du confinement, certains d’entre eux ont essayé de bien faire en mettant énormément de ressources en ligne, sans vraiment « scénariser » , quitte à noyer les élèves et leurs parents sous les exercices. […] Les problèmes se concentrent sur le quart restant : des enseignants qui, d’ordinaire, ont un usage minimum du numérique en classe – un tableau blanc interactif, des diaporamas… – ou pas d’usages du tout. Eux ont rencontré plus de difficultés. [...] D’autres, ultra-minoritaires, mais sur lesquels l’attention se porte depuis quelques jours, ont décroché malgré eux avec une casse psychologique forte, des conflits de valeurs et un sentiment d’inutilité. »142

Et Pascal Plantard de craindre les oppositions qu’il suscite lui-même :

« Une autre conséquence est à craindre : celle d’une exacerbation des clivages au sein du monde enseignant. Entre les professeurs qui n’ont pas réussi à maintenir le lien avec leurs élèves faute de compétences numériques, ceux qui se sont repliés sur eux-mêmes en rejetant le « tout numérique », et ceux, au contraire, qui se sont révélés durant la période.  »

Plus étonnant : quand ce sont les enseignants jugent les autres enseignant(s (mais est-ce étonnant s’agissant des « Cahiers pédagogiques », dont la raison d’être même est de faire la leçon aux enseignants?). Ainsi Jean-Michel Zakhartchouk désigne-t-il « de vrais professionnels » :

« D’un côté des enseignants qui se sont contentés de charger leurs élèves d’exercices et de devoirs ou s’en sont peu occupé, refusant toute concertation avec leurs collègues, et cherchant mille prétextes pour ne pas faire la rentrée, envoyant des courriels à des parents pour leur déconseiller de fait le retour de leurs enfants à l’école, à la limite de la faute professionnelle. Une minorité, mais qui existe. De l’autre de vrais professionnels, engagés, faisant preuve de tant d’ingéniosité, de créativité hier pour assurer un enseignement à distance, aujourd’hui pour préparer un retour qui ne soit pas cette « garderie » dénoncée par certains. Une majorité, semble-t-il, avec des degrés plus ou moins élevés d’engagement, ce qui est normal. »281

Alain Bouvier, ex-recteur, s’inquiète à propos des plus « engagés » :

« Sont-ils assez nombreux ? Pourront-ils longtemps continuer ainsi ? Les parents d’élèves apprécient leur action pédagogique qu’ils peuvent observer tous les jours »134

Pour valoriser cet engagement, la CARDIE de l’académie de Paris a lancé un « appel à projets innovant »282 :

« Vous avez un projet qui fait bouger les pratiques dans votre classe, votre école, votre établissement, votre circonscription… Vous vous inscrivez dans une volonté partagée de travailler autrement ? Répondez à l’appel à projet. »

Les projets les plus avancé pourront bénéficier « d'une valorisation sur le site de la CARDIE et lors de manifestations nationales et/ou académiques. » Les professeurs les plus efficaces ne sont pourtant pas nécessairement ceux qui perdent le plus de temps à promouvoir leur action.

Pour Pascal Plantard, anthropologue des usages des technologies numériques, la mise en concurrence devient un modèle : « La crise a aussi montré l’importance de valoriser et d’organiser les enseignants qui peuvent être des ressources pour leurs collègues. »142 Andreas Schleicher (OCDE) a, lui, applaudi l’émergence (qu’il appelle de ses vœux depuis longtemps) de leaders scolaires « qui montrent la voie vers l’ enseignement au XXIe siècle »234

« Ce que cette crise met peut-être le plus en évidence, c’est le besoin d’un réel leadership dans l’éducation, à tous les niveaux du système. »

Dans ce cadre, on voit combien l’autonomie libérale réclamée pour le système scolaire est un dangereux leurre. Amélie Hart-Hutasse et Christophe Cailleaux, deux enseignants de terrain, font ce constat :

« l’engagement sincère des personnels, des élèves et des familles pour limiter les dégâts de la « continuité pédagogique » est utilisé comme un levier pour amplifier la destruction de l’école publique »74

Les badges gadgets

Au plus fort de la crise pandémique, une anecdote révélatrice a illustré cette évolution du métier : les badges attribués (ou auto-attribués) aux professeurs méritants. Dans les DANE de plusieurs académies (Normandie, Poitiers, Montpellier), sur le site de formation des enseignants Magistère, au ministère de l’Éducation nationale (110bis283), d’étranges badges numériques ont fleuri pendant la crise pandémique :

« B-Connexion: Déconfiné, libéré grâce au numérique niv1 #B-Connexion. »284
« Demandez vos badges agilité pédagogique ! Vous avez su répondre présents face à la Covid-19 : nouvelles façons de travailler, partage, trouvailles. Valorisez votre engagement avec les #OpenBadges de la @DANEMontpellier qui vous remercie ! »

A mi-chemin entre bons points et certifications, les badges numériques permettent la reconnaissance des compétences informelles ( softskills), les badges ont d’abord été proposés aux élèves :

« Comment valoriser les compétences transversales et souvent numériques que les élèves ont développées lors du confinement pour arriver à effectuer les travaux demandés et les renvoyer ? »)285

Dans une forme d’auto-promotion circulaire aussi vertigineuse que désespérément creuse, les badges permettent de promouvoir ceux qui s’auto-désignent comme pionniers de l’innovation et de faire reconnaître par l’institution « des pratiques aussi variées que l’utilisation des Escape Games, de la classe inversée » ou encore la participation « à des événements, comme l’Université d’été Ludovia » :

«  Ces badges n’ont d’intérêt que s’ils gagnent en visibilité. Les établissements peuvent les publier sur leur site et les enseignants peuvent se constituer de véritables portfolios ou backpack pour montrer les badges qu’ils ont obtenus. […] Il faut aussi faire entrer les Open Badges dans la culture professionnelle des enseignants. Cela prendra du temps car il s’agit d’un véritable changement de paradigme. »

Puis – confusion constructiviste oblige – ils ont ensuite été proposés aux enseignants « badgés et confinés  », glissant subrepticement , dans un nouveau management, du cadre scolaire au cadre professionnel. Pour la DANE de Montpellier, « les Open Badges sont au service de la valorisation des enseignants »286 avec quatre « postures » (qu’il faut évidemment adopter) : « explorateur », « utilisateur », « passeur », « bâtisseur. »

Le système des « open badges » a même commencé d’être reconnu institutionnellement à l’occasion de la pandémie. Bénédicte Robert, rectrice de l’académie de Poitiers a publié un message287 en ce sens :

« Pendant la période que nous venons e connaître d’enseignement à distance, vous avez été très nombreux, mesdames et messieurs les professeurs, à adapter votre enseignement, à faire évoluer vos pratiques professionnelles, vous êtes incroyablement montés en compétence aussi sur le numérique, vous avez animé des classes virtuelles, manipulé l’ENT comme jamais vous ne l’aviez fait précédemment, par exemple. L’Académie de Poitiers est très engagée auprès de ses personnels pour leur permettre de continuer d’apprendre tout au long de leur vie, comme les élèves, dans une dynamique de développement professionnel continu [...] Un badge c’est un objet qui permet de reconnaître, de rendre visible un engagement professionnel particulier, un savoir-faire, une compétence. Des choses que nous repérons en temps normal aussi, dans les entretiens de carrière , dans les évaluations mais qu’ici, on singularise et auxquelles on donne une dimension vraiment professionnalisante. Ce badge, ensuite, il intégrera votre espace Iprof, il peut être valorisé à l’occasion d’un PPCR.  »

Et tant pis si les « open badges » ne sont pas si open et qu’ils assurent la promotion de la plateforme « B-connexion », émanation d’un groupe et d’un modèle commercial fausse libre, « Open Badge Factory. » Avec d’évidents conflits d’intérêts pour ceux qui mettent en place ces systèmes dans les académies... et appartiennent dans le même temps à des cabinets de consultants privés accompagnant cette mise en place.

Et tant pis surtout si ces badges peuvent reconnaître des compétences relevant du néant (« J’ai participé à une classe virtuelle ». Les actions suivantes ont pu être réalisées à cette occasion : Se connecter à une classe virtuelle sur PC ou sur une application mobile. Faire les mises à jour matériel nécessaires. Prendre la parole en activant son micro. Activer sa caméra. » etc.)

Laurence de Cock, professeur d’histoire-géographie, a dénoncé cette reconnaissance aussi factice qu’insidieuse :

« La médaille se substitue à la revalorisation salariale, et labellise l’individu méritant – ce petit colibri tout mignon – selon une recette désormais bien rodée : diviser pour mieux régner, instaurer concurrence et compétition et donc saper l’esprit collectif et public qui est la condition de nos métiers. Et puis il y a la forme, la violence des mots ici utilisés, ces mots-creux aux couleurs de layette qui habillent la violence managériale d’un linceul de soie : « agilité », « explorateur », « passeur », « bâtisseur » ; des mots auxquels on ajoutera désormais « hybridité », « pionniers », « innovateurs » etc. »288

La fine fleur des « Cahiers pédagogiques », de Philippe Watrelot à Sylvain Connac289, a défendu ce nouveau management, moderne et innovant. Faut-il s’en étonner ?

Le nouveau contrôle de la productivité

Le basculement dans le tout-numérique a été l’occasion également d’une autre régression majeure : la surveillance numérique de tous par tous, dans une contexte où rien ne définit les attendus et rien ne permet de mesurer la réalité du travail et surtout de son efficacité.

Sur les réseaux sociaux, le collège parisien de La Rose-Blanche a proclamé fièrement la réussite de sa continuité pédagogique :

« Le collège a été durant cette période dans le top 8 des établissements de l’académie de Paris quant au trafic sur l’ENT »290

Il y aurait donc un classement du trafic et donc, dans l’esprit qui le conçoivent ainsi, de la réussite éducative. De même, le lycée parisien Victor-Duruy s’est félicité d’une « continuité » permettant d’abolir le temps scolaire :

« la barre des 100,000 messages échangés entre professeurs et élèves pendant le confinement a été passé durant les « vacances » où les échanges n’ont jamais cessé »291

Pour son proviseur Philippe Tournier, ex-secrédaire du SNPDEN-Unsa, l’enseignement numérique a un «  effet loupe » sur les différences entre enseignants. »220 Et tant pis si, ne mesurant que l’aspect quantitatif du travail et oubliant qu’une grande partie du travail s’est déplacée hors des ENT, cette loupe est très dépolie.

La journaliste Marie-Amélie Lombard-Latune (« L’Opinion ») s’indigne : « pas de différence de traitement entre celui qui aura envoyé trois mails poussifs et celui qui aura virevolté sur les « espaces numériques de travail » et enchaîné les boucles WhatsApp. »292 Jacques Attali a, lui, demandé si des « inspections virtuelles » sont prévues dans les « classes virtuelles » (Tweet effacé).

Un polémique sur les professeurs « décrocheurs » ( cf infra) naît même progressivement dans les médias, enseignant étant le seul métier ainsi scruté et contrôlé. L’ex-recteur Alain Bouvier a activement contribué à cette polémique :

« Des élèves sont perdus de vue, mais des enseignants aussi ! Pour les contacts avec les élèves et leurs familles certains sont en dessous de la ligne de flottaison, à la limite du service minimal et là, dans cette situation, cela se voit, c’est fait, sans scrupule, aux yeux de tous et donc des parents qui ne vont pas tarder à créer des sites de notation des professeurs. »293

Et, de fait, dans une perspective plus consumériste que progressiste, des associations de parents d’élèves, entrées plus que jamais dans le travail enseignant, voire entrées dans la « classe virtuelle », ont commencé à contrôler le travail numérique des enseignants.

Dans un collège public parisien, la FCPE a mené auprès des parents, et par l’intermédiaire de l’ENT, une enquête sur l’école à distance, demandant aux parents si leur enfant leur a semblé « suffisamment encadré par ses enseignants » et dans quelles matières « l a continuité pédagogique n’a pas été assurée avec la régularité que vous auriez souhaitée ». La même association, élargissant son enquête à d’autres collèges du secteur, a proposé la généralisation des visioconférences à tous les cours.294

Dans un lycée privé de Saint-Mandé, en banlieue parisienne, une même démarche de contrôle – « un outil pour faire évaluer les pratiques »295 se défend le responsable de l’association de parents d’élèves – se révèle plus stricte encore, avec des fiches nominatives envoyés aux parents à l’insu des enseignants :

« Pour chaque classe et chaque matière les parents doivent noter le nom du professeur, son respect du planning des cours, s’il donne des devoirs à la maison, s’il les corrige, s’il fait classe à distance et comment, s’il y a interactivité avec les élèves, s’il fait l’appel, s’il utilise son mail et s’il s’est « amélioré ».

Combien d’autres exemples en France, connus ou inconnus, pendant la crise pandémique ? « La Croix » pointe « l’engagement disparate des professeurs » :

« En cette fin de troisième trimestre, à l’heure où se tiennent les conseils de classe, nombre de parents sont tentés d’attribuer leurs propres notes… aux enseignants. »296

Des parents ont ainsi transformé les conseils de classe du troisième trimestre 2019-2020 en évaluation... des professeurs, avec distribution ou pas de mention, et parfois la complaisance de la direction d’établissement. Dans d’autres cas, c’est la direction elle-même qui s’est fait l’écho des critiques des parents.

Philippe Vincent, secrétaire national du SNPDEN-Unsa a estimé qu’on pouvait classer,, en cette période inédite, leurs pratiques en trois catégories :

« Un petit quart d’entre eux ne tient pas de classes virtuelles ; une grosse moitié en programme une par semaine et par classe ; les autres y recourent quasi quotidiennement. » »296 .

On s’aperçoit dès lors que, dans la perspective du nouveau management, l’exigence de « continuité pédagogique » concerne moins les élèves... que les professeurs.

L’inspecteur d’académie de l’Ariège a demandé aux chefs d’établissements de «  garder mémoire nominative des engagements remarquables et remarqués ; l’inverse est aussi vrai. »297 Dans l’académie de Paris, selon le témoignage d’un enseignant298, une principale a engagé auprès du rectorat une procédure de retenue sur salaire contre un professeur d'EPS, par ailleurs malade, qui ne donnait pas assez de travail à ses élèves (en comparaison d’une de ses collègues qui envoyait des vidéos toutes les semaines) : la mobilisation de toute l’équipe et des syndicats enseignants a permis d’éviter un retrait de salaire.

Dans l’académie de Guyane, du fait de cette polémique, les Inspecteurs de l’Éducation nationale (IEN) demandent aux directeurs d’école de faire remonter « pour la période de confinement la liste nominative des enseignants ayant refusé, ou ne s’étant pas impliqué dans , le dispositif de continuité pédagogique. »299

C’est en effet que, dans un école devenue entièrement numérique, le contrôle peut s’effectuer tous azimuts : contrôle par la hiérarchie, contrôle par les parents d’élèves consommateurs.

Les enseignants, boucs émissaires

Conclusion prévisible de ce nouveau contrôle du travail des enseignants, une séquence médiatique en trois temps, d’une brutalité inouïe, a cloué les enseignants au pilori.

Pendant logique de l’héroïsation éphémère des enseignants au début du confinement, une telle stigmatisation médiatique s’est d’ailleurs observée ailleurs, comme aux États-Unis :

« Au début de la pandémie, les enseignants étaient vus comme des héros. En mai, on disait qu’ils devraient être millionnaires. En juillet, qu’il était temps de retourner à l’école. Et maintenant c’est : les profs sont des égoïstes. »300

Un travail très virtuel

Dès le début du confinement, la réalité du travail à distance des enseignants a semblé inexistante dans l’inconscient de bien des responsables politiques ou éditorialistes, le seul travail reconnu s’effectuant sur le lieu de travail.

Sibeth Ndiaye, porte-parole du gouvernement : « Nous n'entendons pas demander à un enseignant qui aujourd'hui ne travaille pas de traverser toute la France pour aller récolter des fraises. »301

Jean-Michel Blanquer, le ministre de l’Éducation nationale, visitant une école le 12 mai 2020 : « Qu’est-ce que vous avez lu pendant les vacances… enfin pas pas pendant les vacances d’ailleurs, pendant le confinement ? »302

Laurent Joffrin : « Dans une France qui reprend peu à peu le travail, devrait-on faire une exception pour les enseignants, surtout quand les soignants ont donné l'exemple de la continuité du service public ? »303

Guillaume Erner : « Un tiers des enseignants n'ont pas repris le travail. »304

Tel est le lot habituel, bien avant la pandémie, des enseignants : voir la réalité de leur travail en dehors de leur lieu de travail non reconnue.

Retour en classe : le « refus de travail »

Deuxième temps plus marqué de cette séquence médiatique tout début juin 2020.

A partir du 11 mai 2020, une grande partie des élèves ne sont, en effet, pas rentrés en classe, pour partie par choix des familles, pour partie parce qu’un protocole sanitaire drastique dans les établissements imposait un retour très partiel et très progressif des élèves en primaire et au collège. Les lycéens, plus à risque, ne sont pas rentrés en classe, tout comme leurs enseignants.

Face à ces effectifs réduits, il n’a été demandé qu’à une partie seulement des enseignants de revenir en classe, les autres poursuivant le travail à distance. Or, confondant travail et lieu de travail, le non retour de ces derniers a tout simplement été assimilée à des « absences  » par des journalistes comme Justine Sagot sur « LCI » le 2 juin 2020 : deux semaines après les premiers retours en classe, « 40 à 45 % des enseignants sont restés chez eux. »305

Une des raisons avancées : leur réticence à revenir sur leur lieu de travail. Alimentant cette polémique absurde, et alors même que le seul volontariat était celui des familles (circulaire du 4 mai 2020306), le ministre a affirmé le 10 juin que ce volontariat était égalementcelui des enseignants307 !

Ces absences ont même pu être assimilées un « refus de travail », comme si les enseignants à distance ne travaillaient pas. La journaliste Lucie Robequain (« Les Echos ») a rappelé en termes infantilisants que l’école était « obligatoire » pour les enseignants :

« Seuls 55 % des enseignants ont repris le chemin de l'école. Une démobilisation coupable , alors que les élèves français décrochent des classements internationaux. [...] plus le virus s'éloigne , plus leur refus de retrouver les élèves devient indéfendable. Cette moitié de professeurs qui déserte les salles de classe , pour des raisons plus ou moins légitimes, rend un fort mauvais service à l'autre, qui remplit ses missions parfois bien au-delà de ses prérogatives. Elle abandonne cette population qu'elle prétend défendre, à savoir ces enfants modestes qui n'entendront jamais parler de Voltaire en dehors d'une enceinte d'école. »308

Un ministre, s’il a caché son nom, n’a pas caché son mépris pour les enseignants309 :

« Si les salariés de la grande distribution avaient été aussi courageux que l’Éducation nationale, les Français n’aurait rien eu à manger. »

La journaliste Marie-Amélie Lombard-Latune (« L’Opinion ») s’est félicitée de la fin de la tolérance à l’égard des enseignants : « De quoi secouer un peu la moitié d’entre eux qui, encore aujourd’hui, n’a pas repris le chemin de l’école et dont une part non négligeable serait à ranger dans la catégorie des tire-au-flanc. »310. Et, citant un ancien membre d’un cabinet ministériel rue de Grenelle : « La vraie raison souvent, c’est que beaucoup de profs se sont mis en roue libre, bien décidés à glisser ainsi doucement vers les grandes vacances. »

De façon assez logique, ceux qui ont exigé la réouverture des classes étaient bien souvent ceux qui exigeaient le télétravail des enseignants tout en niant par ailleurs sa réalité. À cela sans doute une raison pragmatique, comme le rappelle la sociologue Marie Duru-Bellat qui s’étonne qu’on la méprise : « la fonction de « garderie » de l’école. »311

La polémique sur les professeurs « décrocheurs »

Troisième temps de cette séquence médiatique dirigée contre les enseignants : le refus imaginaire du retour en classe a été amalgamé au refus du travail à distance, dans une confusion savamment orchestré à partir du 8 juin 2020.

Déjà le 29 avril 2020, pendant le confinement, Marie-Estelle Pech du « Figaro » avait épinglé les professeurs « décrocheurs »220. Mais, à partir du 8 juin 2020, une enquête de « France 2 », avec des témoignages de parents ou d’élèves, reprend l’expression en démontrant « comment des milliers de profs n'ont pas assuré leur propre cours pendant le confinement. »312

« Au total, selon nos informations, confirmées par le ministère de l’Éducation, 4 à 5 % des enseignants dans le public n’ont pas travaillé pendant le confinement. Soit près de 40 000 profs décrocheurs. […] Contacté, l’entourage de Jean-Michel Blanquer, ministre de l'Éducation nationale, rappelle qu’une immense majorité d’enseignants a bien fait son travail et condamne les “tire-au-flanc qui abusent du système. »

Un nombre de « tire-au-flanc » que l’ex-président des « Cahiers pédagogiques » n’a pas remis en cause : « il y a en moyenne 5% de baltringues dans toutes les professions. »313 Ostiane Mathon, qui a quitté le métier d’enseignante pour devenir consultante, a regretté la polémique mais dénonce que ce petit pourcentage « d’enseignants peu investis abîme le métier »314. Et quand ce ne sont pas des « tire-au-flanc », ce sont des incompétents en informatique selon le secrétaire du SNPDEN-Unsa, dont les chiffres et les explications sont pourtant bien confus :

« cette estimation ne me semble pas très éloignée de la réalité. […] Ce sont souvent des professeurs qui étaient déjà dans une posture compliquée avant le confinement, qui refusaient de rencontrer les parents ou de fournir des explications sur tel ou tel cours. […] Dans mon établissement, je n’ai eu qu’un seul cas parmi 300 professeurs. Il s’agissait d’une personne qui était complètement démunie face à l’informatique. »

Un chiffre quinze fois inférieur à celui de « France 2 » mais Philippe Vincent inclut également les « personnels plus fragiles. Ceux qui ont un problème de santé ou des difficultés familiales. »206

Ce chiffre de 5 % a ouvert la porte à un déchaînement médiatique d’une rare violence. Marc Landré, rédacteur en chef au « Figaro », appelle à des sanctions :

« Si certains ont été exemplaires dans leur engagement, d 'autres ont été en dessous de tout et devront rendre des comptes. Question d'équité. Chaque parent d'élèves sait de quoi je parle... »315

Les chiffres enflent au gré des tribunes, comme dans celle de la députée LREM Anne-Christine Lang :

« Les enseignants et les personnels, remarquables de dévouement, de conscience professionnelle et de créativité, qui ont déployé des trésors d’ingéniosité dès le début de la crise et pendant toute la période ne doivent pas dissimuler les centaines de milliers d’autres qui, de toute évidence, ne sont pas sentis concernés. »

Par ailleurs, tous les amalgames ont été permis, y compris par le ministre lui-même :

« Le ministre voit s'exacerber les traits de caractère qui préexistaient chez chacun : ces profs habités par une grande conscience professionnelle qui se transforment en véritables héros et ceux qui manquent à l'appel. Il voit se dessiner la carte des absentéistes qui, peu à peu, épouse celle des grévistes du BAC 2019.  »316

Problème : une contre-enquête de « LCI », confirmée dans « Le Monde », a montré toutes les limites de ce chiffre de 5 % de professeurs « décrocheurs » « qui n’ont pas travaillé » selon l’enquête de « France 2 » :

« Premièrement, «  il s'agit d'une simple estimation. 5% donne environ 40.000 personnes du corps enseignant. Ce n'est pas une donnée précise. » Deuxièmement, le ministère ne qualifie pas ces enseignements de « décrocheurs ». «  Il s'agit de professeurs avec lesquels il n'y a pas eu de suivi suffisamment régulier avec leurs élèves. Ces personnes n'ont pas disparu  ». En revanche, impossible de savoir ce que comprend l'estimation de 40.000. « Nous ne disposons pas aujourd'hui de liste de raisons » de ces absences pédagogiques. En d'autres termes, on ne connaît pas les motifs de ces absences, et notamment la part dans celles-ci des arrêts maladie totalement justifiés , des absences pour raisons familiales ou pour deuil, la encore totalement justifiées. »317

L’estimation n’est fondée sur aucune enquête publiée (une enquête de la DEPP était en cours jusque fin juin) ni sur aucune méthodologie précise (qu’est-ce qu’un suivi « suffisamment régulier »?). On comprend que les menaces de sanction, brandies vivement par le ministre, aient finalement été abandonnées.

Alors, d’où sort ce chiffre rond de 5 % ? L’échec patent de la continuité pédagogique, pendant et après le confinement, devait trouver des boucs émissaires : le chiffre de 5 % de professeurs « décrocheurs » correspond aux 5 % d'élèves décrocheurs dans le storytelling gouvernemental318, même si le premier semble largement surestimé et le second largement sous-estimé. C’est créer, dans l’opinion chauffée au fer blanc, une causalité évidente et simple à appréhender pour tout un chacun.

En témoigne ainsi un sondage suivant de près la polémique et quelque peu orienté : 44 % des Français (non nécessairement parents d’élèves !) jugeaient que « trop de professeurs ont décroché »319 (avec une définition très évasive de ce décrochage) – effectivement : un seul professeur dans ce cas sera toujours un professeur de trop !

Pour expliquer le succès de cette séquence médiatique sidérante, Sophie Audoubert fait cette analyse dans laquelle tout enseignant peut se reconnaître : notre société est victime d’une « névrose collective à l'égard de ses enseignants. »

« Dans les médias, on aime souvent appliquer au métier d'enseignant des expressions employées normalement pour décrire la réalité des élèves: la «fin de la récré a été sifflée», les «professeurs décrocheurs»... Autrement dit, on se plaît à désigner une profession par des termes qui s'appliquent aux enfants. C'est accrocheur, sûrement. C'est aussi pervers. Les enseignants ne sont pas des enfants, mais des professionnels. Ils n'étaient et ne sont pas en récréation, mais au travail, comme le reste de la population. Infantiliser quelqu'un est bien pratique quand on veut le délégitimer et le priver d'une part de sa liberté. Ces discours peuvent paraître anodins, ils sont en réalité profondément pernicieux, parce qu'ils entretiennent l'idée qu'on ne peut pas faire confiance aux enseignants comme professionnels de l'éducation, qu'il faut les surveiller comme on surveille les enfants, qu'il faut sans cesse corriger leurs penchants déraisonnables. »320

Quant, enfin, à la raison d’être de cette séquence d’une si grande ampleur et d’une si grande violence, alimentée activement, comme on l’a vu, par le ministère, elle ne relève peut-être de rien d’autre que de la politique la plus petite. La réouverture des écoles était annoncée en mai comme « un point crucial du déconfinement », marquant « la réussite ou non du plan d’Emmanuel Macron »321.

« Le ministre de l'Éducation Jean-Michel Blanquer fait l'objet de critiques : il n'irait pas assez vite pour déconfiner les élèves. »316

La réputation d’une profession toute entière valait bien ce sacrifice de la part d’un ministre en butte à leur hostilité. Un habitude, de toute façon, pour les enseignants, seuls agents de la fonction publique régulièrement pris pour cible par leur ministre de tutelle, quelle que soit la majorité politique.

La litanie de l’adaptation

Le professeur moderne doit être dynamique, disponible en permanence, savoir évoluer, appartenir à des collectifs, participer à des projets. Il doit même accomplir l’impossible.

Faire l’impossible

Les enseignants en sont certes coutumiers mais impossible de recenser les mille injonctions contradictoires, dans un cadre souvent lui-même chaotique, qu’ils ont dû mettre en œuvre pendant cette période d’incertitude.

Ne pas prévoir la fermeture des écoles mais assurer une continuité immédiate. Ne pas évaluer le travail des élèves mais valoriser l’engagement des élèves à distance. Utiliser le plus rapidement possible – et exclusivement – des outils institutionnels qui ne fonctionnaient pas. Préparer à des examens non adaptés aux circonstances, puis annulés les uns après les autres. Assurer la continuité mais en changeant ses pratiques. Se retrouver seul mais travailler en équipe. Raccrocher à distance des élèves qui décrochaient déjà en classe. Se former dans l’urgence tout en travaillant dans l’urgence. Faire travailler en autonomie mais assurer un suivi personnalisé. Donner suffisamment de travail, ne pas donner trop de travail. Assurer la continuité de l’enseignement pour ses élèves et pour ses propres enfants. Assurer un suivi individualisé des élèves quasi impossible à assurer à distance. Enseigner en même temps à distance et en présence des élèves.

Il a également été le seul à subir une improvisation folle et précipitée, avec des consignes certes évolutives mais le plus souvent confuses et contradictoires. Les exemples ne manquent pas : le retour obligatoire de tous les élèves le 14 juin 2020 accompagné le jour même d’un décret au Journal officiel imposant le maintien de la distanciation d’un mètre entre les élèves. La valse-hésitation, pour la rentrée de septembre 2020, sur la dispense du port du masque par le professeur en maternelle ou, dans l’élémentaire ou le secondaire, si le professeur respecte une distanciation de deux mètres. L’annonce par le ministre le 30 mai 2020 que « Si le virus est toujours là à la rentrée, il y aura toujours la règle de groupes restreints. »322 et l’oubli de cette annonce à la rentrée de septembre 2020.

Ces ordres et contre-ordres, ces injonctions contradictoires, caractéristiques du nouveau management, placent les travailleurs dans l’obligation de faire l’impossible, et ce dans des conditions dégradées, tout en les culpabilisant, comme fait Stanislas Dehæne, président du Conseil scientifique de l’Éducation nationale :

« Il y a une urgence sanitaire, mais il y a aussi une urgence pédagogique. De la même manière que les soignants se sont mobilisés pour sauver des vies, il faut que les enseignants se mobilisent pour sauver des enfants. Certains acteurs se comportent avec beaucoup de courage, quitte à changer un peu de métier , avec abnégation. [ ] Pourquoi ne pas ouvrir une école du samedi pour les familles, une école beaucoup plus flexible , sans les carcans administratifs ou ceux des programmes scolaires ? »103

L’ex-recteur Alain Bouvier, s’appuyant utilement sur les enseignants innovants, ceux-là même qui prétendent en toutes circonstances pouvoir accomplir l’impossible, a illustré l’exploitation de cette culpabilisation en proposant des évolutions très libérales du métier d’enseignant :

« Est-il admissible qu’un directeur d’école puisse refuser à un professeur d’organiser par visio une séance de préparation collective avec les autres enseignants volontaires sous le prétexte que ce sont les vacances scolaires, tandis qu’élèves et parents, eux, sont à l’œuvre ? Alors que d’autres enseignants, les innovateurs actifs et engagés, maintiennent les liens avec les élèves et leurs parents même les samedis et dimanche ? […] Est-il admissible qu’un enseignant déclare à qui veut l’entendre « je ne veux pas faire du sur mesure ! » N’est-ce pas le b.a.ba du métier et même son fondement ? »134

« S’adapter », « se réinventer »

Comment ne pas être fasciné par la poésie quelque peu naïve de la langue du nouveau management, d’ailleurs bien antérieure à la crise pandémique : « s’engager », « expérimenter », « innover », « être agile », « flexible », « évoluer », « changer de posture », « s’adapter », « embrasser le changement », « se former », « monter en compétence », « s’emparer des outils », « s’outiller », « relever des défis », « se réinventer » ?

Le point commun de ces expressions d’un point de vue sémantique ? Réussir à transformer – à travers, par exemple, des verbes pronominaux ou des dénotations positives – une coercition imposée à un sujet en contrainte vertueuse que ce sujet se donnerait spontanément à lui-même, dans une perspective conquérante qui n’est pas sans faire écho à l’exaltation contemporaine du développement personnel. Il convient par exemple, selon Pascal Plantard, de « s’emparer de l’enseignement à distance. »142

Une telle transformation, qui ne tromperait personne dans des circonstances ordinaires, devient davantage acceptable – et davantage acceptée – dans des circonstances extraordinaires, comme la crise pandémique, la coercition semblant imposée par un évènement indépendant de toute volonté, et donc de tout management. Et, quand vient l’échec, il est imposable au sujet, comme l’a dit la philosophe Cynthia Fleury sur celui du télé-enseignement : « Il est temps de monter en compétence concernant le télé-enseignement. »323

« La crise a été l’occasion de booster l’envie de développement personnel professionnel de nombreux collègues. Malgré cela, la grande disparité dans la maîtrise du numérique éducatif invite à penser l’accompagnement des collègues les moins outillés » a observé Marie Michaleck, une professeur chargée de mission à la Cardie de Poitiers, à l’occasion d’échanges sur êtreprof.fr196, une plate-forme numérique... de formation parallèle d’enseignants, en réalité pilotée par « SynLab » et proche d’Ashoka.

Les « Cahiers pédagogiques » ont lancé cet appel à contribution : « Avez-vous été créatifs pendant le confinement et la continuité pédagogique ? Et vos élèves ? »324

L’OCDE n’a-t-elle pas vu la crise comme un « stress test »325 en même temps qu’« une occasion pour embrasser l’enseignement numérique et la coopération en ligne » ? Même enthousiasme pour le Bureau de l’innovation pédagogique de la DGESCO :

« Nous vivons aussi une expérimentation à l’échelle nationale inédite, porteuse de formidables innovations pour offrir à chaque élève la continuité pédagogique […] Je confinnove, tu confinnoves… elles-ils confinnovent. Tous ensemble, confinnovons ! » (tweets publié le 1er avril 2020 avant d’être effacés)

C’est ainsi que des régressions sociales, personnelles ou professionnelles jusqu’ici lucidement refusées sont désormais acceptées, et même applaudies. Refuser l’adaptation au « monde d’après » serait non seulement réactionnaire, mais, dans des circonstances de crise, moralement répréhensible. La crise pandémique aura eu ce mérite d’abolir toute critique, et même tout esprit critique.

Il suffit pourtant de réfléchir à la réalité de l’adaptation à laquelle nous sommes exhortés : en quoi s’adapter tant bien que mal à une situation dégradée, et d’ailleurs plus ou moins temporaire, soumettre son enseignement à des outils médiocres voire défaillants, constitue-t-il un progrès ?

Pour faire accepter l’adaptation à l’école numérique, toutes les analogies sont permises, même les plus atterrantes. Pour Pascal Plantard, anthropologue des usages des technologies numériques, l’adaptation à des moyens non institutionnels comme « des chaînes YouTube, des « stories » de groupe classe sur Snapchat, Instagram, Discord, Facebook, WhatsApp, Messenger ou Twitter [...] n’est pas grave , car cela nous ramène aussi à un des fondements de la pédagogie : la faculté d’adaptation à l’autre apprenant. »151

Dès lors, même l’éloge s’apparente à un blâme déguisé, comme dans cet éditorial du « Monde » :

« Responsable d’une année scolaire calamiteuse, la pandémie a aussi montré la capacité d’adaptation d’ un système souvent décrit comme figé. »94

D’autres discours sont moins sincères. Dans cette rhétorique de l’adaptation, l’autonomie et la liberté des « acteurs de terrains » sont une fausse autonomie et une fausse liberté.

L’appel à « la responsabilité » des acteurs et à « l’autonomie » des établissements – vieille antienne libérale –, résonne en réalité comme un appel radical à la mise au pas pédagogique des enseignants :

« On pourrait donc imaginer, aujourd’hui plus qu’hier, et même si une partie de la corporation n’y est pas favorable, des modes de fonctionnement avec plus de flexibilité et de responsabilité au niveau local, pour les chefs d’établissement et les enseignants. L’école de demain devra faire sa place aussi à une diversité des formes de scolarisation, pour développer des modèles « hybrides » combinant, de manière plus organisée que pendant la crise, temps de classe et travail à distance, comme cela existe dans d’autres pays. »191

De ce point de vue, Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale et auteur en 2016 de L’École de demain – Proposition pour une Éducation nationale rénovée , a pleinement saisi les opportunités offertes par la crise pour soutenir et renouveler son injonction à l’innovation, même s’il s’exprime avec précaution, :

« Une crise comme celle-ci a forcément un impact sur notre manière de travailler ensuite. Cet impact est négatif et positif. Négatif parce qu’il crée certains retards et il faut rattraper ces retards. […] Il peut être positif aussi parce qu’il révèle des choses. Notamment l’importance de certains bons usages numériques , l’importance aussi de donner plus de marges de manœuvre aux acteurs, de donner plus d’autonomie aux établissements pour tenir compte des réalités de terrain et de s’adapter , notamment pour mieux personnaliser le pa r co u rs des élèves. Donc il y aura des leçons à tirer et donc il y a, en effet, un "monde d’après" dans le domaine éducatif aussi. »326

Le discours ministériel célébrant les « nouvelles pratiques innovantes » infuse ensuite tous les échelons de l’institution. Pour la rectrice de l’académie de Versailles, Charline Avenel interrogée par des élèves de Sciences-Po, « Cette crise met en exergue la capacité d’adaptation et d’innovation des professeurs. »327 Le retour en classe se révèle-il chaotique ? « Nous sommes en train de réinventer l’école » s’enthousiasme Stéphanie Dameron328, la rectrice de l’académie d’Amiens, qui propose de nouvelles façons de faire cours... en cassant les murs de la classe ou même de faire cours même dans la cour.

La CARDIE de l’académie de Paris a salué « l’engagement et la mobilisation des équipes » :

«  Elles s'adaptent chaque jour aux bouleversements liés à une situation inédite. Dans cette volonté de surmonter l’épreuve et de s’adapter, chacun tâtonne, apprend, se forme. [...] C’est indéniablement pour nous l’occasion de saluer cette extraordinaire capacité des équipes à faire face et à sans cesse inventer. »329

Les délégations académiques au numérique éducatifs (DANE), passée la première sidération, ont rapidement proposé toutes sortes de formations permettant d’« enseigner à distance », de connaître « les bonnes pratiques de la classe virtuelle » : « Comment maîtriser ce nouveau geste professionnel ? »330

Une fiche sur l’enseignement hybride est même assez crue :

« L’introduction de temps d’enseignement à distance nécessite que les enseignants repensent la scénarisation de leurs cours, explicitent davantage les attendus, rompent avec les habitudes prises. Cette évolution les fragilise mais favorise aussi la prise en compte de besoins exprimés depuis longtemps.  »15

Des chercheurs en sciences de l’éducation ont lancé une enquête331 auprès des enseignants et des étudiants en éducation visant, de façon performative, à « engager une distanciation salutaire qui les amène à réfléchir en miroir sur leur situation du moment et leur condition transitoire, favorisant de la sorte une forme de réflexivité propice à une boucle émancipatrice critique et salutaire. » On a vu, pourtant, combien cette « boucle » était au contraire aliénante et interdisant tout recul critique.

François Jarraud, du « Café pédagogique », s’interroge sur une recomposition totale du métier d’enseignant :

«  L’adaptabilité serait-elle la plus utile et complexe compétence professionnelle d’un enseignant, en particulier quant il est confronté à l’impératif d’une si changeante « continuité pédagogique » ? »332

L’adaptabilité, et on pourrait ajouter son corollaire : l’interchangeabilité : car c’est bien le sens profond de toutes les « ressources » mises à la disposition des enseignants (lesquelles peuvent être des « séances » ou des « parcours pédagogiques » ou des « scénarios pédagogiques » dans la BRNE par exemple333) ou de la promotion récente de l’interdisciplinarité. Pour faire accepter le dogme de l’adaptation, quoi de mieux, en effet, que d’offrir aux enseignants des « ressources » les transformant, de concepteurs intellectuels, en exécutants prolétarisés, remplaçables et in fine dispensables.

Dans « un monde qui change », pour parler comme le généticien François Taddei (« CRI ») – car il faut croire que le monde ne changeait pas jusqu’à aujourd’hui – le discours sur l’adaptation rejoint celui l’apprenance (cette nouvelle conception de l’enseignement que nous avons étudiée plus haut. Comme tous les autres, les enseignants devraient accepter l’idée de leur obsolescence perpétuelle, dans une forme de précarisation subjective permanente. Emmanuelle Blons, cadre dans une société de prestation de services informatiques, appelle, en ce sens, à « transformer en profondeur notre système éducatif » :

« De nos jours, nos modes de travail évoluent rapidement et nos compétences deviennent vite obsolètes. Nous acquérons de nouvelles compétences dans le but de réussir au travail ou lors d’une transition professionnelle. Le système éducatif doit se transformer pour s’adapter à cette nouvelle réalité. […] [ il faut ] acquérir sans arrêt de nouvelles compétences dans un cadre professionnel en perpétuelle mutation.  »49

L’innovation s’étend même aux parents dans ce Guide des parents confinés sur le site du gouvernement. Il s’agit, en temps de crise, de faire de notre propre vie des performances :

«  C’est (souvent) au pied du mur que l’on découvre l’ampleur de nos capacités et du champ des possibles. Les crises constituent un moment exceptionnel pour faire sortir en chacun l’entrepreneur qui est en lui.  »334 ; « La crise actuelle nous incite à revoir nos priorités et à prendre le temps de réfléchir sur notre situation professionnelle:est-ce que je suis épanoui.e dans mon métier actuel? » ; « Nous devons réinventer nos façons de travailler  »

«  L’accompagnement » au changement

Pour Stanislas Dehæne, les enseignants n’ont « pas suffisamment de formation face au foisonnement d’outils disponibles »103. Le conseil scientifique de l’éducation nationale (CSEN) insiste sur la nécessaire formation des enseignants : Il faut « o utiller les professeurs dans leur enseignement à distance »41

« Selon Benoît Sillard, ancien sous-directeur aux technologies de l’information et de la communication au ministère de l’éducation nationale sous le gouvernement Raffarin, reconverti dans le privé, qui a participé au lancement des premiers ENT il y a 15 ans. « Il fallait une formation qui n’a pas été faite, ou pas assez massivement. Les conséquences pédagogiques d’un ENT ne se règlent pas en cinq minutes »335

Pascal Plantard a également mis en accusation tous ceux qui n’étaient pas « prêts » (à ce que Pascal Plantard lui-même... n’avait pas prévu, faut-il le rappeler) :

« La période inédite que nous venons de vivre, et qui n’est pas encore achevée, a été marquée par un éclatement complet des pratiques pédagogiques, avec, d’un côté, des enseignants tout à fait volontaires pour s’emparer des outils numériques, et, de l’autre, des enseignants pas du tout prêts. [... ] La parole des élèves, qu’on a très peu entendus tant qu’ils étaient enfermés chez eux, se libère. Or ce qu’ils ont vu d’hésitations ou d’insuffisances chez leurs enseignants peut nourrir une mise en cause – voire une mise en accusation – qu’ils verbalisent souvent sans filtre. » 142

On le voir, pour Pascal Plantard, il ne peut exister d’enseignants qui maîtriseraient sans difficulté ces « outils numériques » – somme toute assez frustes – et en critiqueraient les évidentes limites, les défaillances, les insuffisances ou plus simplement la médiocrité dans cette situation de crise pandémique, et leur peu d’intérêt pédagogique en temps normal. Pour l’anthropologue, la seule « insuffisance » possible est celle d’enseignants défaillants

Pour ces inadaptés, la formation au numérique devient même, dans la rhétorique de l’adaptation, un « accompagnement » infantilisant qui, d’ailleurs, en trahit bien le caractère peu volontaire et spontané. Aucune place n’est laissé aux retours d’usage, à la critique. Celle-ci est même englobée dans une forme de posture réactionnaire par Alain Bouvier :

« Cette crise a une nouvelle fois montré la nécessité d’apporter de la flexibilité à un système éducatif qui n’en a pas, entre autres à cause du rôle de ceux que j’appelle les « statuquologues »  »191

Promoteur actif de la « classe inversée », le techno-pédagogue Marcel Lebrun, paraphrasant un dicton célèbre cité par Arthur C. Clarke, un auteur de science-fiction dans une revue très para-scientifique des années 70-80336 , assimile toute techno-critique à une techno-phobie : « les professeurs qui ont peur d’être remplacés par le numérique sont ceux qui peuvent justement être remplacés par le numérique. »

Dans le monde du travail en général, la sociologue Danièle Linhart ou la philosophe Barbara Stiegler ont bien analysé cette évolution délétère :

« [Depuis une quinzaine d’années] le management cherche à mobiliser les salariés non pas simplement dans leur professionnalité mais des êtres humains dans leur intimité et de leur donner des défis personnels : montrez que vous es excellents, que vous avez de la résilience, que vous savez sortir de votre zone de confort »337
« L’injonction à l’adaptation, qui tire sa légitimité intellectuelle et philosophique de la biologie de l’évolution, est en effet le propre de la conception néolibérale de la société. »338

Notre servitude volontaire

C’est l’un des aspects les plus frappant du nouveau management : son intériorisation.

« Ce ne sont pas des vacances étendues, au contraire » a martelé Jean-Michel Blanquer dès les premiers jours du confinement. Combien d’enseignants ont fait leur cette injonction du ministre, répétée à l’envi par tous les échelons de l’Éducation nationale ?

Car les enseignants, déjà coupables de travailler en grande partie chez eux – c’est-à-dire de ne pas vraiment travailler – et de bénéficier de nombreuses et trop longues vacances scolaires, devaient plus encore se sentir coupables de ne plus pouvoir faire classe à leurs élèves. D’où, sans doute, cet sursaut et cet investissement intense de la plupart d’entre eux, dès le premier jour de confinement, pour assurer la continuité pédagogique et ne pas essuyer le moindre soupçon.

Non, ce n’étaient pas des vacances, mais ce n’était pas non plus la normalité et la lucidité aurait voulu que les enseignants en prennent acte collectivement, comme l’analysent Amélie Hart-Hutasse et Christophe Cailleaux (SNES) :

« cette précipitation est aussi une forme avancée du management le plus agressif. Quand le ministre dit « nous sommes prêts », il faut entendre « j’exige que vous soyez prêt·es ! » C’est un appel à la créativité, à l’inventivité, à l’agilité - tous ces mots détournés par la novlangue managériale. C’est un appel à s’adapter sans délai, en nous poussant à faire un métier qui n’est pas le nôtre, selon des modalités numériques et un rythme qui ne sont pas ceux de la pédagogie »74

L’injonction est certes devenue ridicule avec sa déclinaison hyperbolique des « vacances apprenantes » à Pâques et pendant l’été (« On ne pourra pas vivre ces vacances comme d’habitude. On doit en faire un été apprenant et culturel »339).

Reste que la rhétorique – et donc la philosophie de l’adaptation car la victoire des mots préfigure la défaite des idées – a accompli des avancées sans précédent. Bien des discours – même les plus sincères et parfois les plus lucides, comme celui de Sophie Audoubert ou de Philippe Champy – ont repris, consciemment ou non, cette rhétorique :

« Les enseignants ne veulent pas travailler, les enseignants ne veulent pas changer, voilà la source de tous les problèmes: on a constaté à la lumière de la crise que ces deux préjugés, bien ancrés dans les mentalités, étaient infondés. Ils n'ont pas compté leurs heures et ils se sont réinventés du jour au lendemain , sans véritable soutien de l'institution qui les a laissés se débrouiller tout en les inondant d'injonctions contradictoires. »320
« C’est pourquoi, conscients de leur haute responsabilité sociale, les enseignants devraient se porter en première ligne pour réfléchir aux changements nécessaires dès aujourd’hui, y compris en leur sein. Vont-ils collectivement oser s’y lancer ? En association avec les autres acteurs sociaux, notamment au sein du système scolaire, pourront-ils avoir un rôle moteur pour inventer l’école du futur et mettre en cause des traditions établies, des hiérarchies internes figées, des conceptions trop parcellaires empêchant l’exercice de cette responsabilité collective pour laquelle la société les mandate ? Irremplaçables durant le confinement, les enseignants vont-ils être incités à inventer l’école post-pandémie ? »12

Maxime Abolgassemi, professeur en classes préparatoires, a même vécu la crise avec un certain enthousiasme :

« On verra bien ce que nous inventerons , ou pas, avec nos envies et nos contraintes, sur la longueur, que l’on ne connaît pas. Mais ces cours en confinement reconfigurent en profondeur la disposition mentale de nos pratiques pédagogiques, ouvrant de nouvelles perspectives. Me revoici débutant, expérimentant les doutes et les trouvailles, les espoirs et les ratés ! Et tout à la fin, les « au revoir » égrenés de vive voix, un par un, soulignent l’émotion renouvelée d’une réussite commune possible. Le privilège de découvrir ensemble une manière différente d’envisager ce que l’on veut transmettre  »340

Même la très progressiste fédération de parents d’élèves FCPE a adopté le langage du management : il faut « changer culturellement l’école »197, provoquer « une rupture », « oser le changement », porter « des idées novatrices » (qui ne soient pas celles des enseignants mais de « la société civile »), « innover », « bousculer les habitudes » etc.

Les critiques portant sur l’école à distance ont elles-mêmes parfaitement intégré le modèle imposé. Des collègues et des syndicats ont ainsi réclamé, en toute bonne foi, de la formation ou de l’équipement pour la mener à bien Un professeur, Vincent Szlingier, a adressé à Jean-Michel Blanquer une pétition réclamant une prime informatique : « Les enseignants ne sont pas hostiles par principe au télétravail, mais veulent qu'on leur donne les moyens de le faire dans de bonnes conditions. »

Olivier Coquard, professeur en classe préparatoire, est allé plus loin encore 341  :

« Ma première demande est que chaque année, une semaine soit entièrement consacrée, dans toute l’éducation nationale, à l’enseignement à distance […] la « continuité pédagogique » était, tout simplement, impossible à mettre en œuvre dans le cadre technique que nous proposait l’éducation nationale. [...] L’enseignement à distance nécessitera à l’avenir, Monsieur le ministre, une formation et un équipement adéquat.  »

Mais, en telle hypothèse, peut-on vraiment « rendre à la fonction d’enseignant sa dignité » en lui imposant, de façon pérenne, un modèle de d’enseignement à distance qui serait parfaitement fonctionnel ? Pour le dire autrement : ce qui est fonctionnel serait-il pour autant acceptable ?

En vérité, arguer que « tout était sous dimensionné [pendant la crise] »342 revient, qu’on le veuille ou non, à cautionner la grande transformation vers l’école numérique, sans en mettre en cause – à défaut de le récuser – le principe même.

Sur le même principe, bien des enseignants ont dénoncé, à juste titre, les inégalités dans l’équipement numérique des élèves : mais n’est-ce pas ouvrir la boîte de Pandore numérique, à l’école et à la maison ?

Le seul désastre au regard de cette pandémie n’a jamais été l’inadaptation des enseignants, mais la calamiteuse gestion de sa propagation. Nous sommes nombreux, comme Laurence, professeur des écoles, à être restés lucides :

« Pour beaucoup d’enseignants, cette période aura été l’occasion de « se réinventer », d’« améliorer ses compétences numériques » ou de « découvrir de nouvelles ressources pédagogiques […] Mais j’ai perdu l’essentiel de mon métier : le contact avec les enfants, leur transmettre des savoirs, les pousser à réfléchir, les faire grandir… »46

Contre cette servitude volontaire ou involontaire, il nous faut, au contraire, ne pas hésiter à assumer, tant qu’elle se justifie à nos yeux de pédagogues exigeants, une critique vivante et radicale de l’école numérique.

Et pour ce faire refuser toutes les fausses concertations, les injonctions insidieuses, les illusions officielles. Il nous nous organiser en collectifs, nous faire entendre des syndicats, afin de résister à cette stratégie du choc visant à imposer un nouveau management dévorant nos forces vives professionnelles autant que notre espace intime.


L’enseignement, un télétravail comme un autre ?

Étrangeté de la période que nous venons de traverser : du fait de la fermeture brutale et inattendue des écoles, il a été acquis, puisqu’il était impossible de faire autrement, que l’enseignement devait être considéré comme un télétravail comme un autre.

Si, quelques mois seulement avant la pandémie, on avait envisagé la possibilité du télétravail en maternelle, en éducation physique et sportive ou dans les disciplines professionnelles au lycée (pour prendre quelques exemples évidents), cela aurait, à tout le moins, fait sourire. Pour le dire autrement, ce qui s’est imposé comme une évidence n’avait précisément jusque là rien d’une évidence, et ce, pour de très bonnes raisons. D’ailleurs, l’expression même de « télétravail » ne s’appliquait pas au secteur de l’enseignement.

L’enseignement, un télétravail comme un autre : tel fut pourtant le postulat de départ de la « continuité pédagogique » appliquée aux enseignants, pour toutes les raisons que nous avons analysées précédemment (dogme de l’école numérique, transition éducative, nouveau management, transformation de l’enseignement en marché).

Il est pourtant évident que tous les métiers ne peuvent s’exercer par télétravail et qu’on pouvait à tout le moins s’interroger sur sa pertinence ou ses limites dans l’enseignement en fonction de l’âge des élèves ou des spécificités des disciplines ou des cursus. Or rares furent les voix – à peine audibles – qui ont pu seulement la poser.

Le recul et le fiasco de la « continuité pédagogique » peuvent maintenant nous y inviter.

Car, si l’enseignement ne peut être un télétravail comme un autre, s’il ne peut être qu’un service minimum d’une grande pauvreté, comment s’étonner que la réalité de ce travail ait pu être niée si brutalement, comme on l’a vu, et qu’on ait exigé qu’il cesse le plus rapidement possible ?

Le télétravail généralisé ?

Pour Eric Schmidt, ex-PDG de Google, « ces mois de quarantaine ont permis de faire un bond de dix ans » dans la numérisation du monde343 avec la perspective de « construire une économie et future et un système éducatif fondé sur le tele-everything»

Un des phénomènes majeurs de ce « bond en avant » fut l’avènement du télétravail :

« Le confinement a prouvé que le travail pouvait être fait à distance, pour certains métiers. Des barrières sont tombées et certaines contraintes sont mieux connues […] Le premier atout de cette expérience hors norme est d’avoir mis en place ce qui semblait irréalisable […] »344

Mais en distinguant cependant « les secteurs où le télétravail est souvent possible et qui étaient déjà les plus enclins à le pratiquer avant le confinement », comme l’information, la communication, les activités immobilières, financières et d’assurance. Mais, même dans ces secteurs spécifiques où l’expérience et le type d’activité le permettaient, le basculement dans le télétravail n’a été que partiel (63 % au mieux en information et communication), quand il a été généralisé dans l’Éducation nationale.

« Les deux tiers des postes ne sont pas compatibles avec le travail à distance, indique le ministère du travail. […] Dans la dernière enquête Surveillance médicale des expositions des salariés aux risques professionnels (Sumer), 61 % des télétravailleurs étaient cadres. »345

Ce sont même les cadres des très grandes entreprises, qui télétravaillaient le plus avant la crise, qui ont le plus travaillé pendant la crise :

« Très largement recommandé par le gouvernement, le télétravail demeure la règle pour les cadres qui ne sont pas encore retournés sur leur lieu de travail […] Conquis par ce mode de travail qui s’est imposé comme la norme depuis le 17 mars, 85 % des cadres déclarent qu’ils aimeraient le pratiquer plus régulièrement à l’avenir. […] Au départ simple avantage proposé par les entreprises, le télétravail pourrait à l’avenir se positionner comme principal critère d’épanouissement à la fois professionnel et personnel. »346

On le voit : le non retour d’une majorité de cadres sur leur lieu de travail (« Et s’ils ne revenaient pas ? »347) n’est pas présenté ici comme un manque de courage et d’éthique, mais au contraire comme un choix vertueux. Le « Courrier cadres » s’enthousiasme même, semblant confondre les cadres et « les Français » :

« Après 4 semaines d’expérimentation nationale du home-office, les Français ont non seulement pris l’habitude de travailler de chez eux, mais ils voudront le faire plus souvent après le confinement. »348

Mais cet avènement du télétravail mérite d’être relativisé. D’abord parce que, quand le confinement est entré en vigueur, non seulement une majorité des travailleurs a cessé de travailler sur son lieu de travail mais elle a cessé tout simplement de travailler.

Dans les entreprises du secteur privé, une enquête menée par la DARES349 a montré qu’à la fin du mois de mars un quart des salariés travaillaient sur site et un quart, en télétravail. La moitié des salariés étaient en chômage partiel ou en congés (maladie ou garde d’enfants). Le recours au chômage partiel a été généralisé, par exemple, dans l’hébergement-restauration et la construction.

Selon une enquête syndicale (CGT) plus large, l’enquête « TrEpid »350 (portant sur les salariés de tous les secteurs), le télétravail a concerné essentiellement les employés, les professions intermédiaires et les cadres.

Bien sûr, l’arrêt du travail a occasionné des pertes de congés/RTT ou même de revenus pour les salariés en chômage partiel. Par opposition, les fonctionnaires disposaient d’un emploi et d’un traitement garanti pendant la crise pandémique : ce facteur psychologique a sans doute joué dans l’engagement de nombreux enseignants pour la « continuité pédagogique » et dans les polémiques dont ils ont fait l’objet. Comme le rappelle Marie-Estelle Pech du « Figaro » : « Les enseignants ne risquent rien économiquement, contrairement à une bonne partie des parents d’élèves»351

Des conditions de télétravail dégradées

Non seulement la pertinence et les limites du télétravail dans l’enseignement pouvaient être interrogées, mais les conditions de son exercice, dans l’urgence et l’improvisation, hors de tout cadre juridique et professionnel et dans le contexte du confinement et de la fermeture des écoles, en ont été chaotiques, comme dans la plupart des autres secteurs. Les deux tiers des salariés amenés à télétravailler ne l’avaient jamais fait. « Ce que nous vivons n’est pas représentatif du télétravail » a jugé la psychologue Nolwenn Anier352.

« L’une des grandes différences avec le télétravail classique, c’est aussi qu’actuellement, de nombreuses personnes sont amenées à travailler en présence de leurs conjoints et/ou de leurs enfants ; alors que les experts recommandent de s’aménager un espace dédié au télétravail, calme et permettant d’être seul. Travailler en présence de sa famille peut être considérablement délétère. »

Ce qu’a confirmé l’enquête « TrEpid » :

« un tiers des télétravailleurs n’ont pas été dotés par leur employeur en équipement informatique, près de 80% ne disposent pas de droit à la déconnexion, 97% n’ont pas d’équipement de travail ergonomique, un quart n’ont pas d’endroit ou s’isoler et un tiers, notamment les femmes, doit télétravailler tout en gardant les enfants. »350

On comprend dès lors que le télétravail et le confinement, d’une manière générale, aient été diversement appréciés. Les actifs sans enfant qui pouvaient travailler dans de bonnes conditions ou ont cessé de travailler pour s’occuper de leurs enfants disent avoir vécu dans « une bulle de douceur. »353 Certains ont même pu se livrer à l’introspection.

Mais les enseignantes sont très majoritaires dans l’enseignement (70,6 % dans le primaire et le secondaire public en 2018 selon RERS 2019 ) et, comme les enseignants, elle n’ont pu cesser de travailler. Il faut ajouter que, selon l’enquête « TrEpid », les conditions de télétravail (accompagnement par la hiérarchie, mise à disposition d’équipement) ont été bien plus dégradées dans l’enseignement que dans les autres secteurs. Les enseignants ont été deux fois plus nombreux à avoir « vécu des dilemmes éthiques sur le plan professionnel » ou avoir « eu des difficultés à appliquer des consignes inappropriées ou contradictoires » dans le cadre de ce télétravail imposé et improvisé.

Un exemple de dilemme éthique : l’impossibilité d’assurer une personnalisation de l’enseignement à distance, personnalisation facile à assurer en présence des enfants par des retours simples sur leur travail. Dans tous les secteurs professionnels, les interactions ou rétroactions ont été considérées comme infiniment laborieuses à distance, comme en témoigne cette cadre supérieure :

« Là où tout se réglait par des interactions de quelques minutes en présentiel, ça prend actuellement des proportions énormes en temps, et en énergie. Habituellement, on règle plein de choses en se montrant les documents, les prototypes. A distance, ça nécessite de s’envoyer un premier mail pour dire qu’on veut se voir. On n’a pas du tout la culture du mail, tout se réglait à l’oral. C’est beaucoup plus long à l’écrit  : il y a plusieurs allers-retours, des incompréhensions et des conflits, qu’il ne faut pas laisser perdurer, pour éviter les dégâts irréversibles. Il faut une heure là où ça prenait cinq minutes. Et dès qu’on doit interagir à plus que deux, il faut prendre rendez-vous. C’est une charge mentale supplémentaire très importante. »354

Dès lors, qu’en penser s’agissant non d’adultes mais d’enfants, qui plus est très nombreux, non de communication mais d’apprentissage ? De cette quasi impossibilité, Marie-Estelle Pech du « Figaro » a conclu au peu d’engagement des enseignants en se fondant sur des témoignages d’enseignants estimant « avoir eu moins de travail que d’habitude »355 et en s’appuyant sur un sondage montrant que les enseignants auraient vécu « facilement » le confinement... mais en omettant d’indiquer que, selon le même sondage356, les enseignants déclaraient avoir travaillé plus et considérer cette période plus fatigante qu’une période normale !

Dans une « fiche outil », la plate forme « Être prof » (SynLab) met même en garde avec un certain cynisme :

« Côté juridique, attention à ne pas employer le terme de télétravail pour les enseignants (pas de mise à disposition de matériel, pas d’aménagement des conditions de travail ou d’indemnisation »196

On comprend que le télétravail séduise certains employeurs :

« Les grandes entreprises technologiques américaines, au premier rang desquelles Facebook et Twitter, souhaitent pérenniser le télétravail pour un grand nombre de leurs salariés. Mais derrière des arguments sanitaires, écologiques ou ayant trait à la qualité de vie se cachent aussi des motivations économiques et le risque d'une précarisation toujours croissante des travailleurs. »343

Selon Danièle Linhart, sociologue du travail et directrice de recherche (CNRS), le télétravail pousse à « une sorte de déréalisation de l’activité » :

« Celle-ci devient de plus en plus virtuelle, fictive, et perd par conséquent de son sens, de sa finalité. »337

Ce que la « classe virtuelle » veut dire

Qui aurait pensé que la visioconférence, venue du monde l’entreprise, s’imposerait un jour dans l’école ? Encore une des miracles de la crise, que même la EdTech n’avait pas vu venir !

De la contingence à la pérennité

La « classe virtuelle » a d’abord été présentée par le ministère comme une simple possibilité offerte aux enseignants, un moyen parmi d’autres d’assurer la continuité pédagogique :

« La création d’une classe virtuelle n’est par ailleurs pas obligatoire mais facultative pour les professeurs qui peuvent choisir le moyen qu’ils jugent le plus efficace pour assurer leurs cours à distance. »3

Un moyen d’ailleurs largement improvisé, comme le journaliste Mathieu Périsse (« Mediapart ») l’a signalé à propos de la classe virtuelle du CNED, « Ma classe à la maison » :

« Cet outil n’est pas propre au Cned. Il utilise la solution Blackboard Collaborate, du groupe américain du même nom, leader mondial du logiciel éducatif. Commercialisée en France par la société UNI-Learning, elle-même filiale d’une entreprise belge, Blackboard utilise des serveurs Amazon pour gérer ses données et son trafic »106

Passés les défaillances de la première semaine, « Ma classe à la maison » est montée en charge, revendiquant le 17 avril 2020 2,5 millions d’inscriptions, 121.470 classes virtuelles avec 1 086 281 participants pour la journée du 16 avril357. Le CNED a pu se prévaloir, pour sa promotion, de ce témoignage d’un professeur (ou, plus exactement puisque ce n’était pas signalé, d’un professeur-documentaliste) :

« J'ai découvert les groupes, la différence modérateur/présentateur, comment donner la parole... C'est très riche, cet outil. Dites #CNED, on pourra la garder, votre #Classevirtuelle, après ? »358

De fait, un incontestable succès, au moins quantitatif. Mais un succès qui, même de ce point de vue, est resté modeste en regard des 12,5 millions d’élèves en France. D’ailleurs le ratio entre le nombre de classes et le nombre de participants (à la date indiquée, 9 en moyenne par « classe virtuelle » en incluant le professeur) permet également de le relativiser. Pour mesurer la motivation de tous les élèves, on aurait voulu avoir le détail, par exemple, des connexions d’élèves dans chaque classe et leur évolution sur plusieurs mois.

Du moins s’agissait-il de professeurs s’adressant directement à leurs élèves, à la différence de la télévision scolaire et de son absence d’interaction. Certains collègues très volontaires ont même organisé des « classes virtuelles » les jours fériés ou pendant les vacances scolaires. Au retour des vacances de Pâques, dans l’académie de Paris, un courrier de la DANE n’exhortait-il pas, citant Philippe Meirieu, à recourir aux visioconférences pour « construire du collectif »359 ?

Les parents, voyant que tous les professeurs, pour ne pas dire la plupart d’entre eux, ne recouraient finalement que peu aux « classes virtuelles », ont commencé à les comparer entre eux, considérant de plus en plus que la « continuité pédagogique » ne pouvait s'incarner que par la visioconférence. Faisant le portrait de ces professeurs « décrocheurs », Marie-Estelle Pech a rapporté, dans « Le Figaro », de nombreux exemples de plaintes en ce sens :

« Aucune nouvelle du prof de philo et du prof d’anglais. Le prof de sport a disparu. Un seul devoir du prof d’histoire-géo, un cours de celui de SVT tous les quinze jours. Le prof de maths se contentait d’envoyer des cours par mail.» La seule qui a «joué le jeu, c’est la prof d’allemand, qui a assuré en visio toutes les semaines.  »360
« En CM 2 comme en CE2, mes fils n’ont pas de classe en ligne. Ils ont droit à de simples exercices et leçons recopiés sur internet sans aucune logique, estime Sophie, juriste dans une agence immobilière à Tournefeuille (Haute-Garonne) […] « Si Benoît Lelevé reconnaît que sa fille en première « a un très bon suivi quotidien, majoritairement en visioconférence  », à l’inverse « [son] fils qui est en CE2, est complètement abandonné par son enseignant. »221

Denis Peiron, dans « La Croix » en rapporté un autre exemple de cet « engagement disparate » des enseignants en primaire :

« Après les vacances de printemps, cette professeure a divisé sa classe en trois groupes auxquels elle a donné rendez-vous deux fois par jour pour des séances de travail de 45 minutes en maths le matin et en français l’après-midi, sous la forme de classes virtuelles. [ ] Mais tous les parents ne partagent pas, tant s’en faut, ce regard positif. Isabelle, elle aussi parisienne, déplore ainsi qu’en deux mois et demi l’enseignante de son fils, en CM1, « n’ait pas programmé la moindre classe virtuelle ni cherché à établir de lien direct avec ses élèves ». »361

Dans un collège parisien, la section locale de la FCPE a mené une enquête sur la « continuité pédagogique » et notamment les « classes virtuelles », transmis les résultats au principal et même proposé que les « classes virtuelles » soient étendues à tous les cours notés à l’emploi du temps des élèves : les adultes qui télétravaillent ne sont pourtant que très ponctuellement en téléconférence. Certains chefs d’établissement ont même commencé à planifier les « classes virtuelles » à assurer par chaque enseignant.

On le voit : peu importait finalement la liberté pédagogique, consciemment ou non, les enseignants devaient utiliser les « classes virtuelles. » Ce qui n’était qu’un moyen est devenu une fin dans l’esprit de certains parents d’élèves (les mêmes s’indignant de la réouverture trop lente des classes), peut-être parce que ces « classes virtuelles » les dispensaient de faire eux-mêmes travailler leurs enfants, ou même de s’en occuper : une forme de télé-garderie en somme, empruntant de façon rassurante (mais factice) la forme traditionnelle de la classe.

Mais le modèle de la « classe virtuelle » pourrait bien dépasser le simple cadre de l’urgence pandémique.

Le modèle de la « classe virtuelle » a ainsi pu retenir l’attention de la députée Frédérique Meunier (LR), qui a déposé une proposition de loi « visant à instaurer l’enseignement numérique distanciel dans les lycées, collèges et écoles élémentaires »362 afin d’« assurer aux élèves un enseignement distanciel comme une alternative au présentiel » , et ce... dans bien d’autres cas que dans des circonstances pandémiques.

L’académie de Normandie a lancé à la rentré de septembre 2020 une expérimentation pour accompagner les devoirs à distance363.

Il est vrai que la tentation est grande, depuis quelques années, de réduire les coûts d’enseignement en proposant des options rares, des spécialités rares (avec la réforme du lycée), des remplacements d’absence et même des grandes écoles en ligne et des « campus connectés » sur le principe de la « classe virtuelle »364 !

Deux universitaires, Béatrice Marie Savarieau et Hervé Daguet, ont même vu dans la « classe virtuelle » à l’université, « un levier de transformation de la professionnalité enseignante. »365

Un modèle pédagogique ?

On a vu que le modèle de la « classe inversée » est autre que pédagogique. Mais quelle est cependant sa valeur pédagogique, au-delà du plaisir – la première fois au moins – de retrouver en ligne ses camarades et ses enseignants ?

Grandement improvisée, « Ma classe à la maison » n’a, à l’évidence, pas été conçue par des enseignants et pour des enseignants. En ont témoigné les nombreux débordements qu’autorisait l’application : des élèves se connectant et se déconnectant, faisant anonymement des bruits d’animaux, poussant des cris, lançant même des insultes sexistes et sexuelles366, invitant des intrus par dizaines. Tout ce que Line Numa-Bocage, universitaire, a appelé avec attendrissement le « chahut virtuel » dans le « Café pédagogique » :

« Il a fallu aussi faire face à la créativité des élèves perturbateurs lors de l'utilisation de la plateforme du ministère (Ma classe à la maison). Certains jeunes « hackers » s'introduisent dans les classes virtuelles et font du « chahut virtuel » : interrompre le professeur, écrire n'importe quoi. Les jeunes sont sur leur terrain dans le numérique, génération Y, Z, ils sont camouflés et non identifiables dans une classe de 30. Une enseignante de technologie a trouvé la parade: elle a divisé sa classe virtuelle en groupes de 10, avec ce nombre réduit elle peut plus facilement repérer l'intrus. Ceci multiplie son « heure » de cours par 3 ! »

Des youtubeurs se sont même invités en direct pour semer le chaos (mais pour la bonne cause sanitaire, à savoir distraire les jeunes pendant le confinement) :

« Monsieur N., professeur âgé d’une trentaine d’années et enseignant de physique-chimie a eu beaucoup de mal à retrouver le sommeil depuis la parution des vidéos sur YouTube dont il est la risée. »367

Débordements prévisibles, mais également difficultés techniques – crash massif de la plate-forme (il a même fallu répartir les accès par niveaux), connexions aléatoires, perte aléatoire du son ou de l’image – ont fait que, dans la pratique, la visioconférence en a rarement été une, mais plus souvent une visioconférence asymétrique, voire une audio-conférence. La « télé-présence »368 permettant la réunion des élèves n’en a été que plus illusoire.

De nombreux enseignants ont été découragés par un « outil » si bien conçu, et se sont tournés vers des applications non institutionnelles (Zoom, Discord, WhatsApp etc.), ne garantissant malheureusement pas la sécurité des données des élèves et n’empêchant pas davantage les débordements.

Mais le sentiment de « faire cours sans voir les élèves, sans capter la dynamique de la classe »67, l’impossibilité structurelle de s’assurer de l’attention des élèves et d’étudier leurs réactions, la perte enfin de motivation des élèves ont eu raison des efforts de nombreux enseignants, et ce dès le second mois d’enseignement à distance :

« D’après les professeurs, les élèves de 3e ne sont pas très présents aux cours : en effet, nous sommes seulement quatre à venir en anglais. […] Depuis deux semaines j’ai commencé à décrocher aux cours en ligne, je participe de moins en moins. »371

Mais la faute de cet échec ne pouvait, dans la perspectivisme socio-constructiviste, qu’incomber aux enseignants. Quand on pouvait finalement reprocher trop d’ambition à « Ma classe à la maison », certains lui ont reproché au contraire un évident manque d’ambition, comme «Bruno Devauchelle du « Café pédagogique » :

« On imagine aisément que les classes virtuelles ne seront rien d’autres que des transpositions des salles de classe. Car le premier geste consiste d’abord à faire ce que l’on sait faire. »

Reste que ces considérations pédagogiques manquent en réalité singulièrement de bon sens pédagogique, « Ma classe à la maison » manquant à l’un des premiers principes de la pédagogie : tenir compte... des élèves.

Un conception très virtuelle de la pédagogie

Ce serait, en effet, l’histoire d’une belle illusion que celle de « classe virtuelle » à la maison, même si cette dernière était bien pensée et pleinement fonctionnelle.

On a d’ailleurs vu certains se complaire dans cette illusion, comme le techno-pédagogue Marcel Lebrun, promoteur déjà de longue date de la « classes inversée », qui a tiré cette leçon du confinement : « le rapport présence-distance » relèverait d’« une opposition stérile. »

« L’antonyme de présence est absence, celui de distance est proximité. On peut donc trouver de la présence dans la distance et de la distance dans la présence. »369

Stéphanie de Vanssay (SE-Unsa), ex-enseignante détachée de cours depuis dix ans, s’est également efforcée de normaliser l’anormal :

« en fait on n’emploie pas les bons mots. On peut être présent pour quelqu’un à distance ; absent physiquement parlant et pourtant proche ; en proximité sociale bien qu’à distance physique. […] Être présent physiquement, même si cela peut faciliter les choses, n’est en réalité pas indispensable !  »370

Une telle casuistique de pédagogie hors-sol laisserait seulement perplexe, si le confinement n’avait pas, au contraire démontré son atterrante vacuité dans un environnement qui, lui, n’avait rien de « virtuel. » Enseigner, c’est d’abord tenir compte des conditions d’enseignement (pour l’enseignant comme pour les élèves). Or l’école garantit précisément pour les élèves des conditions de travail que la maison ne peut garantir. Comme le dit le sociologue Bernard Lahire :

« Il faut bien comprendre que « l’école à la maison » est une expression inégalement pertinente selon le milieu familial. […] Le confinement et la fermeture des écoles ont pour effet d’enfermer chaque enfant dans son contexte familial. Or celui-ci est plus ou moins éloigné du contexte scolaire. […] La continuité pédagogique concerne une minorité d’élèves et les enseignants ne sont pas des magiciens. »35

On a vu comme le télétravail des enseignants pouvait s’effectuer dans des conditions dégradées, comme dans l’exemple de cette professeur d’espagnol au collège, qui a préféré l’envoi de documents :

« Non, je n’ai pas fait cours en visioconférence. J’ai deux enfants de 3 et 7 ans à la maison, j’en fais quoi pendant que j’enchaîne les visio avec mes 170 élèves ? »46

Il en est évidemment de même pour les élèves.

« M’sieur, je pourrai pas mercredi. – Pourquoi donc ? – Mon frère est en terminale et il a des cours en visio toute la journée. On n’a qu’un ordinateur. »371
« Wahil v it en appartement avec ses parents, ses trois frères et sa grand-mère, il partage sa chambre et n’a pas d’ordinateur. »112

Même certains élèves ont pu en prendre conscience, comme Rose, collégienne, qui a sa propre chambre :

« Quand je pense aux familles qui vivent à plusieurs dans un petit appartement et qui ne possèdent qu’un ordinateur pour tous, je me trouve bien égoïste de me plaindre. »112

De fait, le confinement a été particulièrement difficile pour les familles populaires et dans l’ensemble pour toutes les familles vivant dans des espaces réduits372. Selon une enquête « Ipsos » :

« Les Français qui jugent leur logement inadapté au confinement l’expliquent principalement par le fait qu’il manque un espace extérieur (52 %), que leur logement est trop petit (49 %), ou qu’il manque une pièce pour s’isoler (33 %). […] 41 % des personnes ayant des enfants en bas âge souhaitent également déménager à l’issue de ce confinement. Elles ont, davantage que les autres, souffert de la promiscuité et du manque d’espace pendant le confinement. Elles ont par exemple éprouvé plus de difficultés pour télétravailler : 47 % d’entre elles jugent que leur logement ne s’y prête pas contre 34 % en moyenne pour les Français actifs. 51 % avouent aussi avoir connu des tensions à la maison (contre 37 % pour les foyers sans enfants). » 373

Dans ces conditions, et au delà des difficultés techniques ou de la motivation des élèves, la « classe virtuelle », ce sont avant tout des horaires imposés non pas aux élèves mais aux familles, dans des conditions – confinement oblige – très particulières : enfermement, espace parfois réduit, familles parfois nombreuses, enfants en bas âge, parents souvent en télétravail, parfois malades, parfois au front.

Bref, faire la « classe virtuelle », c’est faire comme si tout ce qui était autour n’existait pas : la famille et le temps et l’espace bouleversés, l’épidémie, l’anxiété. C’est faire comme si les élèves se trouvaient dans des conditions virtuellement les mêmes qu’en classe, comme François Jore, professeur de lettres, l’avoue ingénument :

« J’avais des messages des élèves pour s’excuser quand ils ne pouvaient pas être présents (« je dois laisser l’ordinateur à ma sœur qui a une visio »). Cela ressemblait un peu à la classe habituelle. »332

Non, il n’y a pas d’« école à la maison » possible. Et pourtant cette confusion des espaces et des temps est une des caractéristiques de la « transition éducative » à l’œuvre dans l’Éducation nationale.

Même dans les universités d’élite, les conditions n’étaient réunies que pour une partie des étudiants :

« Une étude menée auprès d’étudiants de licence à Dauphine, qui accueille pourtant un public plus privilégié que la moyenne des universités, a montré que, durant le confinement, un tiers des étudiants étaient dans une situation rendant impossible le suivi des cours à distance (pas d’ordinateur personnel ou pas de connexion Internet, ou encore pas d’espace pour travailler). »142

Sébastien Philippart a raison de nous mettre en garde contre l’usage des mots même :

« Le mot « présentiel » est […] pervers. Il signifie que la présence (en chair et en os) des élèves, en face de leur enseignant, ne serait qu’une modalité parmi d’autres modalités possibles de la forme scolaire. C’est une illusion. »374

La « classe virtuelle », avec cette « désagréable impression de parler dans le vide »275, est bien une des modalités les plus pernicieuses de l’enseignement à distance en général (qui peut prendre bien d’autres formes), précisément parce qu’elle donne toute sa force à l’idée très moderne – et très idiote – de classe sans classe, d’école sans école.

Le compromis « hybride »

Avec un déconfinement très progressif en mai et juin 2020, une partie des élèves est revenue en classe et une partie est resté à la maison : « Face à ce défi inédit, les équipes doivent inventer ces jours-ci un nouveau mode de fonctionnement. »375

En fait d’« invention des équipes », l’enseignement « hybride », cumulant présentiel et distanciel (le professeur s’adresse à ses élèves en classe et à ses élèves en ligne), a rapidement été testé par l’institution pour éventuelle mise en œuvre généralisée, comme, par exemple par la Délégation académique au numérique éducatif (DANE). La « solution HySy » (sic) n’est pas facile à mettre en œuvre :

« Chaque séance en enseignement HySy devra être scénarisée pour les élèves distants de façon à éviter de les laisser spectateurs d'un cours réalisé en présentiel. »

« Peut-on articuler les modes d’apprentissage en présentiel et en distanciel ? »376 Poser la question, c’est y répondre pour Jean-Michel Le Baut du « Café pédagogique », qui donne l’exemple d’une enseignante, déjà consacrée « innovante » par le passé, Christelle Lacroix, y parvenant avec brio. Selon elle, « le biais numérique ne pose aucune limite » et ce serait même un plus pour l’acquisition de « compétences transversales » : l’enseignement hybride développerait particulièrement « les qualités organisationnelle, communicative et d’écoute de l’autre. » Mais c’est encore une fois l’occasion de promouvoir, sans jamais en mesurer l’efficacité si ce n’est au seul enthousiasme de l’enseignant, les pédagogies constructivistes, capables de s’adapter toutes les conditions d’enseignement :

« A la lumière de votre expérience, peut-on mener la même pédagogie en présentiel / en distanciel / de façon hybride ? Complètement ! La pédagogie de projet collaboratif fonctionne très bien en présentiel, mais elle fonctionne très bien à distance également car elle place l’élève au cœur de ses apprentissages , le responsabilise, l’incite à communiquer, à travailler pour soi mais aussi pour et avec les autres. Elle n’est pas unilatérale, ni magistrale. Les apprentissages prennent sens parce qu’ils impliquent tous les élèves, qui n’aiment pas l’isolement. »

Comme pour la « classe virtuelle », le « Café » n’offre, en revanche, aucune réflexion critique sur l’évident problème que représente l’entrée dans la classe, avec les élèves, de leurs parents.

En juin également, « la communauté Être prof » (SynLab) a proposé un guide pratique « Vers une classe flexible hybride : entre présentiel et distanciel. »377

En juin, Jonas Erin, inspecteur général, réfléchissant aux « opportunités et défis » de l’hybridation378 – par « défis », comprendre : des problèmes s’offrant eux-mêmes comme des opportunités – l’a présentée en juin 2020 comme un « mélange fertile », en référence à des travaux de recherches portant sur la formation… universitaire. L’hybridation a également été mise en lien, dans les ressources humaines, aux compétences professionnelles nécessaires à l’adaptation à de nouveaux métiers :

« 50 % des emplois qui existeront en 2030 n’ont pas encore été inventés alors vous imaginez bien qu’installer un système et une réflexion aussi souples et aussi dynamisant s que l’hybridation ne peut que contribuer à accélérer la transformation du système éducatif dans le but d’amener davantage d’élèves à se rapprocher des compétences dont ils auront besoin dans l’avenir.  »

Un modèle d’avenir

En juillet, une fiche dédiée du « plan de continuité pédagogique » sur le site du ministère a égrené « les avantages de l’enseignement hybride »15 dans la perspective de la « transition éducative. » A charge « pour l’institution, d’accompagner ces évolutions » (car il ne s’agirait pas d’adaptations temporaires) :

« La crise sanitaire liée au COVID 19 puis le déconfinement progressif ont imposé des modes d’enseignement qui interrogent les rythmes, les lieux, réels ou virtuels, et les temps d’apprentissage. […] Cette crise constitue par ailleurs une opportunité pour interroger la classe en tant qu’espace physique et conforter l’enseignant dans son rôle de chef d’orchestre. Elle questionne ce qu’est apprendre et enseigner au XXIème siècle. La désynchronisation est au cœur de cette transformation. […] Il s’agit : pour l’enseignant, de penser d’autres scénarisations de son enseignement, d’adopter de nouvelles postures (en particulier d’accompagnateur et tuteur) et de nouvelles modalités d’évaluation. »

Faisant fi de toutes les conditions matérielles et morales, le plan du ministère prévoit, en cas de nécessité de nouvelles précautions sanitaires, l’« école à la maison » avec « plan de travail » et « possibilité de suivre la classe à distance. »

L’enseignement « hybride » serait-il finalement un modèle plus susceptible de s’imposer que la « classe virtuelle » ? Sa pérennité, en tout cas, est d’ores et déjà envisagé par la DANE de Paris, même si sa généralisation à l’ensemble des cours semble bien difficile :

« Au-delà du déconfinement, cette solution est très adaptée à l'enseignement pour les élèves temporairement éloignés de la classe pour des raisons de santé. […] Cette modalité d’enseignement ne peut pas être déployée pour toutes les heures d’enseignement. Pour un élève distant, suivre une trentaine d'heures de cours en web-conférence serait beaucoup trop. »379

La rentrée s’annonce donc comme au mieux hybride, sinon en distanciel à l’université380 comme dans le primaire et le secondaire. Jean-François Chesné, docteur en didactique des mathématiques et Nathalie Mons, sociologue

« Alors que la rentrée scolaire 2020 se prépare sous haute vigilance sanitaire, l’enseignement à distance se réinvite dans les débats. Avec une possible deuxième vague de l’épidémie due au SARS-CoV-2, le téléenseignement pourrait être de nouveau nécessaire, au moins sous une forme « hybride » mêlant présentiel et apprentissage à distance. Des éléments de réflexion sont donc indispensables pour améliorer les pratiques. »381

Pascal Plantard, envisageant l’avenir du numérique éducatif, ne dit pas autre chose :

« Une réflexion qualitative sur les usages pédagogiques du numérique doit primer en se demandant si, et comment, on hybride présentiel et distanciel en fonction des disciplines, des objectifs, des territoires, du profil des élèves, de l’acculturation des enseignants, etc. »142

On le voit, la réflexion de fond sur la « classe virtuelle » ou l’enseignement « hybride » sont en réalité très limitées.

Volontariste, Jean-Michel Blanquer, le ministre de l’Éducation nationale, voit bien plus loin que la crise épidémique, et qu’un enseignement « hybride » cantonné dans les marges :

« Apprentissages à distance, classes allégées, l’Éducation nationale réfléchit à ce que sera la prochaine rentrée. La préfiguration d’ une transformation qui pourrait être structurelle. À quoi va ressembler la rentrée de septembre? Peut-elle préfigurer l’école de demain, faite de pédagogies revisitées et d’un espace scolaire repensé , à l’heure de la «distanciation sociale»? «Les difficultés nous obligent à nous dépasser», martèle le ministre de l’Éducation, qui invoque «le progrès». » [...] «  L’école de demain sera à distance» et devra «articuler présentiel et distanciel » , a indiqué en mai Jean-Michel Blanquer, qui organisera des assises sur le numérique en octobre. » »382

L’ex-recteur Alain Bouvier s’inquiète déjà de la pérennité de « l’école publique hybride » avec « nos idéologues » pour qui « seul importe le vivre ensemble. »134

On le voit : l’enseignement « hybride » est pensé comme la « classe virtuelle », en faisant comme si la maison était la classe.

À bien y réfléchir, non seulement le métier d’enseignant a été le seul métier à basculer à 100 % dans un télétravail absurde, mais, avec l’enseignement « hybride », il est également le seul à être soumis à un tel monstre : travailler et télétravailler sur son lieu de travail.

Le cauchemar d’une société sans école

On a trop vite oublié que « l’école à la maison », cette bouée de sauvetage pendant la crise pandémique, est une expression qui jusqu’ici à une conception de l’enseignement dévastatrice pour l’école : le home schooling. Aux États-Unis, on a pu noter, avec la crise, « un brusque engouement pour le homeschooling, ou école à la maison, une pratique en vogue il y a vingt ans dans les milieux conservateurs »300.

En France également, pour des raisons spécifiques, « ce mode éducatif alternatif [...] gagne en popularité. » 383 Après tout, l’épidémie n’a-t-elle pas réalisé le rêve de certains pédagogues depuis Yvan Illich et sa Société sans école (1971) ?

Pascale Haag, fondatrice de la « Lab School Paris », vante ainsi « les bénéfices inattendus de l'école à la maison »384 : autonomie des élèves, retour de la confiance en soi, bonheur de se retrouver en famille : selon son enquête, 30 % des élèves seraient contents de ne plus retourner à l’école. Avec cette limite assez déconcertante dans l’enquête de cette chercheuse à l’EHESS : « Nous n’avons pas du tout touché les décrocheurs. ».

« Pour Pascale Haag, ces quelques exemples de réussite devraient au contraire faire réfléchir sur l’organisation du temps scolaire : même si les répondants de son enquête se sont majoritairement plaints que l’école et les copains leur manquaient, « on voit bien, avec le confinement, que les enfants n’ont pas tous les mêmes besoins , juge-t-elle. On pourrait imaginer une forme de scolarité où les élèves les plus fragiles, les plus intimidés puissent de temps en temps reprendre une bouffée d’oxygène chez eux. » »385

Selon Hubert Salaun (PEEP), « les cours particuliers vont être amenés à se développer encore plus qu’avant. »386

Il est vrai que, d’une manière générale, dans une « société apprenante » (François Taddei), la place de l’école devient toute relative. Enfin, surtout de l’école publique car, à côté de ce cauchemar du home schooling, existent d’autres visages sinistres de la tentation libérale comme l’efflorescence de nombreuses écoles alternatives387, ces rêves d’écoles qui ne ressemblent plus à des écoles.

Pour Pascale Haag, fondatrice et directrice scientifique de la « Lab school Paris » (sur les pas de Célestin Freinet), proche de la nébuleuse du « Printemps de l’éducation » et dont le réseau promeut « la transition éducative » avec Ashoka, la crise est « peut-être l’occasion d’en faire une chance pour améliorer nos systèmes éducatifs. » Ou, à défaut, pour promouvoir le projet pédagogique des écoles ségrégatives proposant ces améliorations...

Attachés à l’école publique et à ses missions, nous avons du mal à croire que sa régression soit possible. Mais la crise aura au moins ce mérite de nous avoir dessillé les yeux : comme en témoigne l’intérêt des médias, hélas bien peu critiques, pour ces « change makers », il s’agit d’une évolution profonde de la société, d’ailleurs indépendante de la crise pandémique qui ne lui a servi que de catalyseur. Une évolution d’ailleurs bien accompagnée par des politiques concomitantes. Combien de parents ont peut-être pensé comme Nicolas Santolaria :

« Ce matin, au lieu de faire ses devoirs, mon fils aîné coud pour son frère, sur la vieille Singer de ma grand-mère, un bandeau de pirate en tissu Vichy. « Maintenant, je vais faire les plans pour mon habit d’agent secret », me dit-il. Pourquoi lui interdirais-je ? Est-ce moins édifiant que de transformer des textes au singulier en textes au pluriel avec une interface d’apprentissage à distance ? On ne prétend pas ici dire que l’école est inutile , ni que cette pandémie n’est qu’une douce épiphanie, mais plutôt que le confinement aura apporté, au final, la relativisation d’un modèle qui paraissait absolu. »107
« Cette idée que le monde d’après pourrait reprendre l e visage hideux du monde d’avant est dans beaucoup de têtes. Lorsque j’ai interrogé mon fils aîné sur la question, il m’a fait ­savoir qu’il souhaitait être déconfiné le plus tard possible. Pourquoi ? « Je préfère le télétravail, c’est mieux que d’être assis pendant quatre heures sur une chaise. » En brisant la routine, cette inédite période de quarantaine nous a donc arrachés à l’état d’hébétude dans lequel nous nous trouvions, nous faisant toucher du doigt des évidences alternatives que l’on ne voyait pas. Les enfants ont compris qu’on pouvait continuer à apprendre sans forcément être enfermé entre quatre murs. »388

Avec ce genre de discours, l’école à distance aura peut-être fini par éloigner l’école. Puisse le rêve d’une société sans école, que nous avons connu pendant quelques mois, ne jamais prendre un autre visage que celui d’un cauchemar.


Quelle rentrée ? quel avenir ?

Les hérauts du numérique n’en sont pas les meilleurs connaisseurs : la meilleure preuve est qu’ils n’en connaissent pas les limites – et qu’ils ne veulent pas les connaître : c’est le propre du numérisme.

Non les enseignants n’ont pas manqué de formation à l’école numérique. Ils ont eu recours à des outils la plupart du temps imposés, intrusifs, médiocres, voire défaillants dont même la fonctionnement optimal n'assurerait que des apprentissages aussi pauvres qu'incertains.

On a exigé l’adaptation des enseignants en croyant qu’il leur suffirait de s’adapter pour que le même continue. Mais c’est cette croyance naïve et techniciste même qu’il fallait adapter, en la confrontant à son échec.

Il fallait, en réalité, laisser du temps aux élèves, aux enseignants et aux équipes de s’organiser pour proposer à distance un travail qui serait certes modeste au regard de nos attendus scolaires et de nos programmes mais pensé pour des circonstances exceptionnelles, plus espacé, moins désordonné, et peut-être – pour les plus grands – plus exigeant.

On a précipité l’école dans la mise à distance quand le bon sens voulait que l’on mette l’école à distance.

Son naufrage, hélas, ne fera pas dévier le paquebot numérique de sa route vers la modernité scolaire, avec tout ce qu’elle entraînera de régressions pour l’école et de perte de sens pour notre métier. Comme l’a si bien dit Michel Houellebecq observant, précipitée par la crise, « cette tendance lourde : une certaine obsolescence qui semble frapper les relations humaine »389 :

« Nous ne nous réveillerons pas, après le confinement, dans un nouveau monde ; ce sera le même, en un peu pire. »

@loysbonod


Notes

2 Jean-Michel Blanquer sur « France Inter » le 26 février 2020 ; le 28 février sur « Europe 1 »  : le dispositif d'enseignement à distance « est prêt (...) Il peut y avoir 7 millions de connexions en même temps (...) Nous sommes même prêts à faire des classes virtuelles […] Dès que le #coronavirus a commencé à se déclarer en Chine, nous avons préparé avec le Cned tout un système […] qui permet de la grande section de maternelle jusque la classe de terminale d'avoir les cours »

4 Sur le site du ministère : https://www.education.gouv.fr/ https://eduscol.education.fr/cid149909/continuite-pedagogique.html

La « continuité pédagogique » était, avant jusqu’ici, réservée à l’enseignement par cycle ou aux exclusions temporaires : avec l’épidémie, elle a d’abord été appliquée à certains lycées français de l’étranger puis aux établissements fermés dans les premiers foyers de contagion en France.

5 Jean-Michel Blanquer sur « RMC » le 5 mars 2020  : « Dans tous les scénarios que nous avons, il n'est pas prévu de fermer les écoles. Ce n'est pas la stratégie adéquat pour la France »

Jean-Michel Blanquer sur « BFMTV » le 12 mars 2020 : «  F ermer les écoles n'est pas la stratégie adoptée » .

6 Jean-Michel Blanquer sur «  France Inter » le 13 mars 2020 . « Ce ne sont pas des vacances » : le message ministériel a été immédiatement répété à l’identique par la plupart des recteurs .

7 « La Maison Lumni »

9 Jean-Michel Blanquer sur BFMTV » du 21 août 2020 : si les écoles ferment «  nous y sommes prêts »

Jean-Michel Blanquer en Une du « JDD » du 29 août 2020 : «  Nous sommes préparés à tout.  »

11 «  Coronavirus - Covid-19 - Vademecum continuité pédagogique  » sur le site du ministère (version du 1er avril 2020)

14 Un exemple avec Christophe Lesterle, sur son blog « Mediapart » du 18 mars 2020 : « Impossible continuité pédagogique pendant le confinement. »

15 Tribune de Claire Pignol dans « Libération » du 23 mars 2020 : « A l'heure du coronavirus, enseigner ou faire semblant ? »

16 Christophe Cailleaux, Amélie Hart-Hutasse et François Jarrige (tribune) dans « Reporterre » du 7 avril 2020 : « L’école confinée, laboratoire du monde numérique » .

19 Amélie Hart-Hutasse et Christophe Cailleaux sur leur blog « Mediapart » du 23 mai 2020 : « Ralentir école ! »

21 Blog « L’École de demain » du SE-Unsa le 8 mars 2020 : «  Ressources et idées pour assurer la continuité pédagogique  » par Stéphanie de Vanssay. Le 20 mars 2020 : «  C onseils de survie pour la continuité pédagogique ».

23 L’expression apporte à l’idéologie du Centre de recherche interdisciplinaire (le CRI) de François Taddei,, qui avait inventé la notion de « société apprenante », son heure de gloire. Voir sur « Zilsel » du 22 septembre 2018 ce billet de Christophe Cailleaux et Amélie Hart-Hutasse : « François Taddei, héraut (plus) très discret de la « société apprenante » »

24 «  Rap n’ classe » sur la guerre froide , créé en 2016 et recyclé dans « La Maison Lumni » (« France 4 ») en 2020.

25 « Écoutez, Révisez » sur « France Culture » à partir du 6 avril 2020. On n’improvise pas un travail approfondi et adapté à des élèves du secondaire sur la littérature en quelques jours ou même quelques semaines.

29 Blog « Pédagogie en temps de confinement » de « Mediapart » du 7 avril 2020 : « Pédagogie et confinement: entre continuité et discontinuité »

30 Conférence de presse de Jean-Michel Blanquer le 3 avril 2020.

31 Enquête internationale conduite par l’EDHEC Business School et OpinionWay, en partenariat avec l’Institut Montaigne publiée le 7 juillet 2020 : «  Les Nouvelles Frontières de l’Enseignement Supérieur - Redéfinition du rôle de l’enseignant, égalité des chances et transition digitale : les trois défis à venir pour l’enseignement supérieur  »

« Chaque échantillon est représentatif de la population nationale âgée de 15 ans et plus,et a été constitué selon la méthode des quotas. Les interviews ont été menées en ligne du 3 au 9 janvier 2020. Un sondage complémentaire a été conduit du 10 juin au 19 juin 2020 auprès des populations des cinq pays interrogés afin d’actualiser l’enquête au regard des conséquences de la pandémie de covid-19. »

L’enquête détaillée peut être téléchargée ici .

32 Voir ce fil dédié à l’Institut Montaigne et au rapport « Enseignement supérieur et numérique : connectez-vous ! » (2017) et aux évènements associés.

37 Sondage Ifop du 7 mai 2020 : «  Le regard des parents sur l’ é cole à distance  »  : 75 % des parents s’estiment satisfaits « de la manière dont se déroule l’école à distance pour votre enfant ». Ce n’est pas tout à fait la même chose que d’affirmer que les parents seraient satisfaits de l’école à distance.

39 Marie-Estelle Pech dans « Le Figaro » du 11 juin 2020 : « Soutien scolaire: malgré le confinement, les cours particuliers à la peine »

44 Iannis Roder dans « Le Monde » du 5 mai 2020 : « M’sieur, c’est quand qu’on reprend le collège ? »

45 Bernard Lahire (entretien) sur le site du SNUipp-FSU du 2 juin 2020 : « Les enseignants ne sont pas des magiciens »

48 Robert Slavin sur son blog (en anglais) du 6 août 2020 : «  “Am I Even Real Anymore?” The Truth About Virtual Learning » (traduction maison). Robert Slavin est actuellement directeur du Centre de recherche et de réforme dans l’éducation à l’université Johns Hopkins.

49 Emmanuelle Blons (tribune) sur « Forbes » du 13 juillet 2020 : «  Transformons En Profondeur Notre Système Educatif »

51 Voir notre grande autopsie de 2015 : « PISA : École “numérique” » .

52 « D’utilité publique » (Caisse des dépôts) du 10 mai 2020 : « L’école du futur, l’école de tous les fantasmes ? »

53 « Frenchweb » du 3 juin 2020 : « L’Edtech ce n’est plus l’avenir, c’est le présent !  » avec Franck David-Cohen, cofondateur de Klassroom ; Sylvain Kalache, cofondateur de la Holberton School ; Litzie Maarek, co-fondatrice d’Educapital ; Laurent Jolie, cofondateur de Lalilo.

56 Marie-Christine Levet (entretien) dans « Le Point » du 30 mai 2020 : « École à distance : « On nous a servi une télé scolaire des années 1960 ! » »

58 Alice Riou sur « The Conversation » du 28 avril 2020 : « EdTechs : quelle place dans le monde d’après ? »

61 Arthur Millerand, fondateur de « Parallel avocats », (entretien) sur « BFM Business » du 18 mai 2020.

62 Le premier communiqué de EdTech France le 5 mars 2020, épinglé par « Le Canard Enchaîné » du 18 mars 2020, n’est plus disponible s ur le site de « l’association » . Nous le reproduisons ici :

« Communiqué de l’association EdTech France

Paris, le 5 mars 2020

 

Avec la fermeture de 150 établissements scolaires sur notre territoire, ce sont d’ores et déjà plusieurs dizaines de milliers d’élèves qui ne peuvent plus se rendre à l’école. Demain, ils seront davantage encore, et tout laisse à penser que les fermetures des établissements scolaires et d’enseignement supérieur suivront le rythme de la propagation du coronavirus. Dans le monde, ce sont près de 300 millions de jeunes qui se trouvent ainsi privés de classe, un chiffre sans précédent selon l’Unesco.

Confrontée avant l’Europe à une épidémie de grande ampleur, la Chine a été la première nation à procéder à la fermeture à la totalité de ses établissements scolaires, pour une durée indéterminée. Depuis, l’intégralité des cours et des programmes sont quotidiennement dispensés grâce à des plateformes solides, des outils éprouvés, avec la participation active de la communauté pédagogique et le concours des parents d’élèves. Il est vrai que la Chine est un empire technologique, qui a depuis de nombreuses années largement intégré les outils et usages du numérique au service de l’éducation, lui permettant aujourd’hui de donner corps au principe du “Study must not stop”.

En France, sommes-nous capables dès demain d’assurer pareille continuité du service public de l’éducation ? Sommes-nous en mesure de dispenser, dans des conditions satisfaisantes, un enseignement à distance, pour des millions d’élèves, et ce pendant des semaines ou des mois ?

Les solutions existent, et nombre d’entre elles sont proposées par des entreprises françaises  : classes virtuelles, plateformes de contenus et de ressources, réseaux sociaux éducatifs, outils de communication, d’évaluation ou de révision… Développées à destination des enseignants, des écoles, des universités, des organismes de formation et plus largement des apprenants, ces solutions françaises et européennes combinent savoir-faire technologique, excellence pédagogique et respect de notre système de droits et de valeurs.

C’est pourquoi nous, entreprises de la filière EdTech française, proposons d’apporter notre expertise et de collaborer immédiatement au déploiement des dispositifs qui permettront à chaque élève de continuer de suivre à distance un enseignement de qualité, dans les meilleures conditions d’apprentissage.

L’association EdTech France, qui regroupe plus de 240 entreprises innovantes, s’engage ainsi à assurer la mise en relation entre les acteurs de l’éducation et de la formation avec les meilleures technologies françaises, afin d’offrir – à des conditions exceptionnelles – les solutions qui permettront d’assurer pour tous la continuité du droit à l’éducation, à l’enseignement et à la formation.

 

Pour connaître les offres et services proposés par nos membres : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. »

63 «  La Lettre d’information » du Ministère du Travail du 8 avril 2020.

64 «  N’autre école » hebdo n°4 du 20 avril ; Arthur Serret, « Le cas Lalilo : la stratégie du choc »

66 François-Xavier Chauchat (Dorval Asset Management) dans « Le Figaro » du 22 mai 2020 : « Comment le Covid-19 a transformé la donne sur les marchés »

67 Moran Kerinec dans « Reporterre » du 19 mars 2020 : « Pendant le confinement, l’école en ligne n’est pas la panacée »

69 Yann Houry : « En cas de fermeture au @LyceeChurchill, on est prêt à continuer à travailler à distance. On va utiliser essentiellement les apps de Google comme Meet ( meet.google.com/_meet ) qui, en cette période de #coronavirus, autorise jusqu'à 250 participants ! » ( Twitter )

70 Google, par exemple, se décharge sur les utilisateurs de la responsabilité du traitement des données à caractère personnel

https://support.google.com/a/answer/139019?hl=fr

« G Suite for Education ne collecte pas les données des élèves à des fins publicitaires » mais éventuellement à d’autres fins ?

https://cloud.google.com/security/gdpr/

« Quelles sont vos responsabilités en tant que client ?

Les clients G Suite1 et Google Cloud Platform sont généralement responsables du traitement des données à caractère personnel qu'ils fournissent à Google dans le cadre de leur utilisation des services Google Cloud. Le responsable du traitement définit les finalités des données à caractère personnel et leurs modes de traitement. Le processeur de données intervient alors. Il s'agit généralement de nous. En tant que processeur de données, Google Cloud traite les données personnelles au nom du responsable du traitement lorsqu'il utilise G Suite ou Google Cloud Platform.

Qu'est-ce qu'un responsable du traitement ?

Les responsables du traitement sont chargés de mettre en œuvre des mesures techniques et organisationnelles adéquates pour garantir et prouver que les données sont traitées conformément au RGPD. Leurs obligations touchent aux principes de licéité, de loyauté, de transparence, de limitation des finalités, de minimisation et d'exactitude des données ainsi que de respect des droits des personnes concernées à l'égard de leurs données. »

71 Jean-Sébastien Philippart sur « Skolo » du 21 mars 2020 : «  Enseignement à distance » : le chant des sirènes  »

72 Dossier de presse « Concours d’Innovation Numérique » 6e édition (p. 43)

73 Chronique de Sabine Delanglade dans « Les Échos » du 30 juin 2020 : « Le virtuel, un outil pour faire bouger «le mammouth» »

76 Tribune « FraterniTech ! » de Rémy Challe sur « Confinews » du 2 avril 2020.

78 Dans le « Canard Enchaîné » du 18 mars 2020, Jérôme Canard : « L’éducation surfe sur l’épidémie »

«  A QUELQUE CHOSE malheur est bon ! La crise du coronavirus constitue une occasion rêvée pour les entreprises du secteur des technologies de l'éducation - dites « EdTech » - d'assurer leur promo au sein même des établissements scolaires publics ! Nombre d'entre eux, du côté de l'académie de Strasbourg, ont ainsi eu la surprise de recevoir, le 10 mars, un courriel en provenance d'Aratice, société « spécialiste des solutions clés en main pour l'éducation », les « invitant à tester » leur robot « très nécessaire (sic) permettant aux enfants de poursuivre leur scolarité à distance, en temps réel et en tout simplicité ». Les boîtes n'ont pas attendu la fermeture nationale des crèches, écoles, collèges, lycées et facs sur l'ensemble du territoire pour lancer leur offensive. « Nous, entreprises de la filière EdTech française, proposons (...) de collaborer immédiatement au déploiement des dispositifs qui permettront à chaque élève de continuer de suivre à distance un enseignement de qualité », écrivaient-elles le 5 mars dans un communiqué commun. Avant de s'engager à proposer leurs solutions pédagogiques « à des conditions exceptionnelles » (tarifs préférentiels, voire gratuits). «  Évidemment , reconnaît Rémy Challe, le directeur général du réseau EdTech France, regroupant 250 entreprises du secteur, on espère qu'il y aura des actes d'achat après cette période. »

Couacs en ligne

Pour l'heure, l'Education nationale s'appuie sur le Centre national d'enseignement à distance (Cned) et les environnements numériques de travail (ENT) des différentes académies pour offrir aux élèves « une continuité pédagogique ». Mais, depuis le 16 mars, les bugs se multiplient : les plateformes des académies de l'Oise, de Paris ou de la Somme ont planté les unes après les autres. De quoi faire monter la moutarde au nez à tous les élèves (sérieux) et à leurs parents !

Devant les couacs, la direction du lycée Diderot, à Paris, a enjoint aux familles de se replier sur leurs comptes Google Education. Tout un symbole... Et, si le Cned ne fait pas l'affaire, pourquoi ne pas privilégier le Cned ? Le Centre national d'enseignement e-learning - établissement scolaire en ligne privé, comme son nom ne l'indique pas - a proposé à des établissements d’Île-de-France de mettre en place des « classes virtuelles ». Tarif pour une semaine d'enseignement : 44,50 euros par élève pour les groupes de moins de 10... Pendant la crise, il n'est pas interdit de s'enrichir ! C'est ça, aussi, la « start-up nation » ! »

79 Projet Voltaire : « Continuité pédagogique à distance & rentrée post-COVID »

Voir aussi le 25 août 2020 : « Enseignants du secondaire et confinement : comment avez-vous assuré la continuité pédagogique ? »

80 « AEF » du 21 février 2020 : « Réseau Canopé : Marie-Caroline Missir, nouvelle directrice générale » . Marie-Caroline Missir était auparavant rédactrice en chef de « L’Étudiant » avant de devenir directrice du développement de l’entreprise « Digischool » .

83 Sur le site du gouvernement le 29 juin 2020 : «  Etats généraux du numérique pour l’éducation 2020  »

84 Voir cette partie de notre billet sur Une Idée folle et Ashoka (septembre 2017) :

« À la croisée du privé et du public, on trouve également le Centre de Recherches Interdisciplinaires (CRI) fondé par François Taddei, « fellow Ashoka », dont le fonctionnement et les activités pédagogiques innovantes sont financés (entre autres) par la Fondation Bettencourt Schueller (FBS). Le CRI abrite par conséquent un « Master Approches Interdisciplinaires du Vivant - Liliane Bettencourt », une « Ecole Doctorale Interdisciplinaire Européenne « Frontières du Vivant » - Liliane Bettencourt (FdV) », une « Chaire Orange » ou une « Chaire AXA-Paris Descartes ».87 L’investissement initial de la Fondation Bettencourt Schueller dans le CRI s’est élevé à 28 millions d’euros. On comprend dès lors que François Taddei, promoteur de l’innovation dans l’éducation et chargé officiellement par le ministère d’un rapport sur le sujet, s’interroge sur le rôle que la philanthropie peut y jouer. »

85 Sophie Pène dans la Revue « Third » n°4 de mai 2020 : « Le numérique éducatif : de la tablette aux données »

87 Dans la rubrique « Business » de « Ludomag » du 24 avril 2020 : «  PopLab, partenaire GOLD des LUDOVIALES 2020  »

88 Voir le fil dédié à lesbonsprofs.com et ses packs de cours payants dans notre veille informationnelle..

89 Voir sur notre veille le fil dédié à Klassroom depuis 2017.

90 «  Nouveau monde » de Jérôme Colombain sur « France Info » du 14 mars 2020 : «  Nouveau monde. La startup Klassroom lance un service gratuit de télétravail pour les écoles primaires  » .

91 Eduvoices est immatriculée sur le registre du commerce et des sociétés depuis le 1er mars 2017 : le 10 mars 2018, Eduvoices est également devenue une association de loi 1901. Elle a pu effectuer ses formations dans les locaux de Canopé et être reçue par la DGESCO ou participer aux initiatives du Lab110bis au ministère en 2019. Voir dans notre veille le fil dédié à Eduvoices .

94 Éditorial du « Monde » du 17 mai 2020 : « L’épidémie et le rôle central de l’école »

96 Ministère de l’Éducation nationale le 10 octobre 2016 : « La refondation de l'École de la République » (la page n’est plus disponible mais se trouve archivée ici )

99 Voir par exemple l’évènement « SuperDemain 2019 » .

104 Pascal Plantard (tribune 3/4) dans « Le Monde » (abonnés) du 7 avril 2020 : « Ecole à la maison : « Qui sont les 800 000 élèves “perdus” ? » »

105 Tribune de Yann Leroux et Faustin Etindele dans « The Conversation » du 3 avril 2020 : «  Cessons de nous inquiéter : les jeux vidéo sont bénéfiques en période de confinement  ».

107 Nicolas Santolaria dans « Le Monde » (abonnés) du 9 mai 2020 : «  Journal d’un parent confiné, semaine VIII : le crash du père hélicoptère  »

110 « Assassin’s creed gratuit ce week-end » sur le site d’Ubisoft : [capture]

113 Blog de Anouk F. sur le « Huffington Post » du 17 juin 2020 : « Pour un de mes élèves, le retour à l'école arrive trop tard. Beaucoup trop tard »

116 Nous avons pu le voir à de nombreuses reprises, de la mise en place d’un dispositif numérique de soutien scolaire à distance à la généralisation à la hussarde des tablettes et ordinateurs dans les lycées d’une région académique. Voir par exemple les pseudo « expérimentations » de « D’Col » en 2013 ou des « lycées 4.0 » de la région Grand Est en 2017.

117 Voir, sur notre veille, la métaphore du crayon.

118 AVEC Apportez Votre Équipement de Communication est la traduction du BYOD Bring Your Own Device venu de l’entreprise. Voir, depuis 2012, notre v eille d’information sur l e BYOD .

119 « Café pédagogique » du 26 mars 2020 : « Continuité : La revanche du smartphone »

120 « Café pédagogique » du 3 avril 2017 : « Le ministère publie un guide des usages BYOD »

« AEF » du 11 juillet 2018 : « Équipement informatique des élèves : le ministère veut "accompagner les collectivités" sur la question du "BYOD" »

Voir le dossier « Le numérique au service de l’école de la confiance » publié le 20 août 2018 sur le site du gouvernement :

« Si la modalité d’amorçage en cours de déploiement consiste à co-financer l’achat par les collectivités d’équipements mobiles (« plan tablettes »), la très large diffusion de ces équipements au sein de la population et leur renouvellement technique rapide conduisent à privilégier désormais le développement de projets dits « AVEC » (ou « BYOD », « Bring Your Own Device ») reposant sur l’usage en milieu scolaire de leur propre équipement par les élèves. Les projets AVEC contribuent à l’allégement du poids des cartables, facilitent l’appropriation de l’outil numérique par les intéressés et atténuent les risques de rupture entre pratiques numériques éducatives effectuées pendant et hors du temps scolaire. Ces progrès devant bénéficier à l’ensemble des élèves »

121 Appel relayé dans le « Café pédagogique » du 19 avril 2020 : « Participez aux Ludoviales » . Sur « Ludovia » notre billet de 2019 : « Ludovia sans issue » .

122 CRI, « Profs-Chercheurs - Réponse collective COVID19 » : https://projects.cri-paris.org/projects/IFJer642/goals

125 Jean-Michel Blanquer (entretien) dans le « JDD » (abonnés) du 10 mai 2020 : « L’école ne sera pas une garderie »

126 François Dubet dans les « Cahiers pédagogiques » du 20 avril 2020 : « Après le virus, l’école sera-t-elle comme avant ? »

130 Dans « Les Cahiers pédagogiques » du 18 mars 2020 : «  C hers élèves gardons le contact » de Stéphanie Fizailne.

131 Dans le « Café pédagogique » du 26 mars 2020 : « Line Numa-Bocage : Le confinement, une opportunité ? »

134 Alain Bouvier, « Le roi est nu » le 29 avril 2020 sur le site « Aide aux profs »

136 « Arrête sur images » du 30 avril 2020 : « Réouverture des écoles : "Le 11 mai, je n'irai pas !" »

« Au début du confinement, Fanny Le Nevez a créé avec une collègue institutrice une chaîne Youtube, Maîtresse Fanny, pour conseiller des activités, et donner des leçons d'apprentissage : elle y explique comment faire des maths avec des boîtes d'œufs vides, sa collègue montre comment faire des masques à la maison. Très rapidement, il a fallu mettre en place des nouveaux modes d'enseignement. ""On s'est dit que les outils institutionnels ne tiendraient probablement pas la charge"". A la place des blogs, des chaînes YouTube... »

140 « Le Figaro » (abonnés) du 8 juin 2020 : «  Le numérique reconfigure l’école de demain  »

141 Béatrice Mabilon-Bonfils et Alain Jaillet (tribune) dans le « JDD » du 13 mai 2020 : «  Coronavirus : et si l'expérience du confinement permettait d'améliorer l'école en France ? »

142 Pascal Plantard (tribune 4/4) dans « Le Monde » (abonnés) du 16 juin 2020 : « L’éducation nationale n’était pas du tout prête à ce fait national total qu’a été le confinement »

144 François Jarraud dans le « Café pédagogique » du 2 juin 2020 : «  Pour l'OCDE, l'Ecole française à la traine pour relever le défi de la crise sanitaire  »

146 Christelle Lacroix (entretien) dans le « Café pédagogique » du 15 juin 2020 : « Français : Christelle Lacroix : Hybrider l’étude d’une œuvre »

147 Lettre de Valérie Pécresse, présidente de la région Île-de-France adressée aux parents d’élèves entrant en seconde.

148 Audrey Azoulay et Sahle-Work Zewde (tribune) dans « Le Monde » du 25 juin 2020 : « Le temps est venu d’agir pour ce bien commun mondial qu’est l’éducation »

150 Revue « Third » n°4 de mai 2020 : « Repenser l’éducation avec le numérique »

151 Pascal Plantard (tribune 2/4) dans « Le Monde » (abonnés) du 24 mars 2020 : « Coronavirus : « Le deuxième front de la nation apprenante » »

152 Claude Garcia (tribune) dans « Le Monde » du 16 juin 2020 : « Confinement : « Ces leçons pour l’école qu’il ne faut pas oublier » »

154 Blog « Questions d’éduc » de « Unsa éducation » du 10 mars 2020 : «  Et si le COVID-19 était, au fond, un virus du numérique ?  » (billet non signé)

158 Charline Avenel (entretien) dans « Émile » (magazine « by Sciences Po alumni ») du 16 avril 2020 : «  Confinement : quels défis pour l'éducation ?  »

159 Bénédicte Robert (entretien) dans « Émile » (magazine « by Sciences Po alumni ») du 16 avril 2020 : « Cette crise met en exergue la capacité d’adaptation et d’innovation des professeurs »

160 Frédérique Vidal (entretien) dans « Ouest France » du 4 mai 2020 : «  Des innovations pédagogiques ont été mises en place durant le confinement  »

161 Bruno Devauchelle dans le « Café pédagogique » du 19 juin 2020 : «  Numérique en classe, l'indépassable obstacle pédagogique  »

166 Voir le chapitre « École numérique : quelle évaluation ? » que j’ai rédigé à ce sujet dans l’ouvrage collectif Critiques de l’école numérique (2019) . Extrait :

« On peut appeler numérisme cette sidération ou cette abolition de l’esprit critique face à l’écosystème numérique, scolaire et non-scolaire. Souvent conjugué à une relative méconnaissance de son fonctionnement ou de ses enjeux, il est en même temps injonction à l’innovation car « on n’arrête pas le progrès ». Le refus de l’évaluation, des observations objectives contredisant l’enthousiasme vis-à-vis des nouvelles technologies, qu’il soit naïf, intéressé ou cynique, est une autre de ses caractéristiques. Ses échecs eux-mêmes sont la démonstration qu’il faut transformer davantage notre système éducatif. »

167 Isabelle Maradan dans « Chut ! » du 26 mai 2020 : «  L’enseignant post-Covid augmenté  »

169 Les questions sont consultables ici : https://etats-generaux-du-numerique.education.gouv.fr/

Questionnaire parent d'élève

1 UN ÉGAL ACCÈS AU NUMÉRIQUE POUR TOUS / FRACTURE NUMÉRIQUE

Les espaces numériques de travail (ENT) sont des portails permettant aux usagers (élèves, professeurs, familles…) d’accéder, après authentification (identifiant et mot de passe), à des services éducatifs (cahier de textes, outils collaboratifs, vie scolaire, activités pédagogiques, ressources…).

Selon vous, garantir un égal accès au numérique, c’est…

Choisissez entre zéro et deux propositions au maximum.

Fournir aux élèves un équipement informatique individuel (ordinateur portable ou tablette + forfait) pour suivre les cours à distance
Dématérialiser l’ensemble des procédures administratives et être accompagné dans l’accès aux services numériques
Disposer d’un espace numérique de travail (ENT)
Être accompagné et formé à l’enseignement à distance
Utiliser un identifiant unique pendant toute la scolarité de ses enfants pour accéder à l’ensemble des services numériques
Rendre gratuite la connexion internet pour l’accès aux services numériques d’éducation (ENT, manuels numériques, vidéos éducatives…)
Permettre aux élèves d’utiliser leurs équipements personnels (ordinateur portable, tablette, smartphone…) en classe

2. GOUVERNANCE ET ANTICIPATION

Selon vous, gouverner et anticiper par et avec le numérique, c’est…

Choisissez entre zéro et deux propositions au maximum.

Intégrer un volet numérique au projet d'école ou d'établissement et l'évaluer régulièrement
Mieux connaître et préparer les élèves aux métiers de demain transformés par le numérique
Impliquer les parents d’élèves et leurs représentants dans les choix autour du numérique éducatif (choix des outils, charte d’usage…)
Faire régulièrement des exercices d’enseignement à distance
Attirer davantage les filles vers les filières et les métiers du numérique

3. UN NUMÉRIQUE RESPONSABLE ET SOUVERAIN

Selon vous, développer un numérique responsable et souverain, c’est…

Choisissez entre zéro et deux propositions au maximum.

Former les élèves aux enjeux du numérique (protection des données, médias numériques, lutte contre le cyberharcèlement…)
Former les élèves à l’utilisation des données
Renforcer la sécurisation des applications informatiques (lutter contre le piratage de compte ou l’usurpation d’identité, protéger la vie privée…)
Former les élèves aux effets du numérique sur l’environnement, la santé, le bien-être

4. ENSEIGNER ET APPRENDRE AVEC LE NUMÉRIQUE

Selon vous, enseigner et apprendre avec le numérique, c’est…

Choisissez entre zéro et deux propositions au maximum.

Renforcer le lien individuel entre l’élève et son professeur grâce au numérique
Aménager différemment les salles pour l’utilisation du numérique
Renforcer la formation au numérique
Organiser autrement l’emploi du temps, avec une partie des cours à distance
Pouvoir varier les formes de travail : à la maison, en classe, seul, en petit groupe…
Utiliser le numérique pour proposer de nouvelles formes d’évaluations et d’examens

MIEUX VOUS CONNAÎTRE
Votre maîtrise des matériels et services numériques vous semble-t-elle ?

Une seule réponse possible.

Votre maîtrise des matériels et services numériques vous semble-t-elle ?Une seule réponse possible.Très suffisante
Suffisante
Insuffisante
Très insuffisante

Diriez-vous du numérique dans l’éducation qu’il est plutôt :

Une seule réponse possible.

Diriez-vous du numérique dans l’éducation qu’il est plutôt :Une seule réponse possible.Une contrainte
Un défi à relever
Une transformation à accompagner
Un atout
Une « fatalité » de notre époque

Vos enfants sont scolarisés :

Plusieurs choix possibles.
Vos enfants sont scolarisés :Plusieurs choix possibles.À l’école

Au collège
Au lycée

Questionnaire élève

1. UN ÉGAL ACCÈS AU NUMÉRIQUE POUR TOUS / FRACTURE NUMÉRIQUE

Les espaces numériques de travail (ENT) sont des portails permettant aux usagers (élèves, professeurs, familles…) d’accéder, après authentification (identifiant et mot de passe), à des services éducatifs (cahier de textes, outils collaboratifs, vie scolaire, activités pédagogiques, ressources…).
Selon vous, garantir un accès au numérique pour tous, c’est…

Choisissez entre zéro et deux propositions au maximum.

Utiliser un identifiant unique pendant toute la scolarité pour accéder à l’ensemble des services numériques
Utiliser son équipement personnel (ordinateur portable, tablette, smartphone…) en classe
Avoir à disposition un espace numérique de travail (ENT)
Rendre gratuite la connexion internet pour l’accès aux services numériques d’éducation (ENT, manuels numériques, vidéos éducatives…)
Donner accès à des outils simples, disponibles en mobilité, accessibles aux personnes avec un handicap, pour apprendre, réviser, échanger
Recevoir un équipement informatique individuel (ordinateur portable ou tablette + forfait) pour suivre les cours à distance

2. GOUVERNANCE ET ANTICIPATION

Selon vous, à l’avenir, il faut surtout…

Choisissez entre zéro et deux propositions au maximum.

Faire régulièrement des exercices d’enseignement à distance
Impliquer les élèves et leurs représentants dans les choix autour du numérique éducatif (choix des outils, charte d’usage…)
Attirer davantage les filles vers les filières et les métiers du numérique
Mieux connaître les métiers de demain, transformés par le numérique, pour s’y préparer

3. UN NUMÉRIQUE RESPONSABLE ET SOUVERAIN

Selon vous, pour utiliser le numérique dans de bonnes conditions, il faut…

Choisissez entre zéro et deux propositions au maximum.

Renforcer la sécurisation des applications informatiques (lutter contre le piratage de compte ou l’usurpation d’identité, protéger la vie privée…)
Être formé aux enjeux du numérique (protection des données, médias numériques, lutte contre le cyberharcèlement…)
Être formé aux effets du numérique sur l’environnement, la santé, le bien-être
Être formé à l’utilisation des données

4. ENSEIGNER ET APPRENDRE AVEC LE NUMÉRIQUE

Selon vous, enseigner et apprendre avec le numérique, c’est...

Choisissez entre zéro et deux propositions au maximum.

Organiser autrement l’emploi du temps, avec une partie des cours à distance
Renforcer la formation au numérique
Pouvoir varier les formes de travail : à la maison, en classe, seul, en petit groupe…
Utiliser le numérique pour proposer de nouvelles formes d’évaluations et d’examens
Aménager différemment les salles pour l’utilisation du numérique
Avoir un lien individuel renforcé avec son professeur grâce au numérique

Questionnaire professeur

1. UN ÉGAL ACCÈS AU NUMÉRIQUE POUR TOUS / FRACTURE NUMÉRIQUE

Selon vous, garantir un égal accès au numérique, c’est…

Choisissez entre zéro et deux propositions au maximum.

Permettre aux élèves d’utiliser leurs équipements personnels (ordinateur portable, tablette, smartphone…) en classe
Accompagner et former les parents à l’enseignement à distance
Avoir des ressources et des services numériques professionnels faciles à utiliser, disponibles en mobilité, handi-accessibles
Rendre gratuite la connexion internet pour l’accès aux services numériques d’éducation (ENT, manuels numériques, vidéos éducatives…)
Disposer d’un espace numérique de travail (ENT)
Se voir financer un équipement informatique individuel permettant l’enseignement à distance
Utiliser un identifiant unique pour accéder à l’ensemble des services numériques

2. TRAVAILLER ENSEMBLE AUTREMENT / CULTURE NUMÉRIQUE PROFESSIONNELLE COMMUNE

Selon vous, travailler ensemble autrement, c’est…

Choisissez entre zéro et deux propositions au maximum.

Développer la formation entre pairs
Imaginer de nouveaux espaces numériques de travail adaptés au travail collaboratif et aux échanges à distance
Développer l’entraide et la collaboration entre pairs en s’appuyant sur des outils collaboratifs partagés
Développer les compétences numériques pour tous en proposant une certification tout au long de la vie
Développer des modalités de recherche-action associant les enseignants et les laboratoires de recherche
S’appuyer sur le numérique comme outil de développement professionnel et personnel
Renforcer les modalités distantes d’échanges (communication, mutualisation, collaboration)

3. GOUVERNANCE ET ANTICIPATION

Selon vous, gouverner et anticiper par et avec le numérique, c’est…

Choisissez entre zéro et deux propositions au maximum.

Attirer davantage les filles vers les filières et les métiers du numérique
Être impliqué dès la conception des outils et des services numériques professionnels
Intégrer un volet numérique au projet d'école ou d'établissement et l'évaluer régulièrement
Mieux connaître et préparer les élèves aux métiers de demain transformés par le numérique
Faciliter la mise en place de partenariats numériques avec différents acteurs (collectivités, monde associatif, entreprises…) à l’échelle d’un établissement ou d’une école
Renforcer le rôle des enseignants référents pour le numérique (dans les territoires : circonscriptions, dans les établissements)
Faire régulièrement des exercices d’enseignement à distance

4. UN NUMÉRIQUE RESPONSABLE ET SOUVERAIN

Selon vous, développer un numérique responsable et souverain, c’est…

Choisissez entre zéro et deux propositions au maximum.

Prendre en compte les effets des technologies numériques, notamment en matière d’environnement, de santé et de bien-être (par exemple, droit à la déconnexion)
Renforcer la sécurisation des applications informatiques (lutter contre le piratage de compte ou l’usurpation d’identité, protéger la vie privée…)
Utiliser les données scolaires (devoirs, notes…) et les traces d’apprentissage (réussite à une activité, temps de résolution d’un problème…) au service de la réussite des élèves (parcours personnalisés, recommandations…)
Utiliser un identifiant unique pour accéder à l’ensemble des services numériques
Faciliter l’achat de ressources et de services numériques pour les enseignants
Développer une filière numérique nationale ou européenne pour les logiciels et l’hébergement des services éducatifs

5. ENSEIGNER ET APPRENDRE AVEC LE NUMÉRIQUE

Selon vous, enseigner et apprendre avec le numérique, c’est…

Choisissez entre zéro et deux propositions au maximum.

Diversifier les modalités d’enseignement : à la maison, en classe, seul, en petit groupe…
Avoir un lien individuel renforcé avec les élèves grâce au numérique
Organiser autrement l’emploi du temps, avec une partie des cours à distance
Disposer d’une plateforme d’e-tutorat (partage de ressources, expériences, mise en relation)
Acquérir de nouvelles compétences professionnelles en lien avec l’enseignement à distance
Faire évoluer les lieux d’apprentissage et l’aménagement des espaces
Utiliser le numérique pour proposer de nouvelles formes d’évaluations et d’examens

Questionnaire personnel d'encadrement

1. UN ÉGAL ACCÈS AU NUMÉRIQUE POUR TOUS / FRACTURE NUMÉRIQUE

Selon vous, garantir un égal accès au numérique, c’est…

Choisissez entre zéro et deux propositions au maximum.

Permettre aux élèves d’utiliser leurs équipements personnels (ordinateur portable, tablette, smartphone…) en classe
Avoir des ressources et des services numériques professionnels faciles à utiliser, disponibles en mobilité, handi-accessibles
Utiliser un identifiant unique pour accéder à l’ensemble des services numériques
Rendre gratuite la connexion internet pour l’accès aux services numériques d’éducation (ENT, manuels numériques, vidéos éducatives…)
Disposer d’un espace numérique de travail (ENT)
Accompagner et former les parents à l’enseignement à distance
Disposer d’un équipement informatique individuel permettant le travail à distance

2. TRAVAILLER ENSEMBLE AUTREMENT / CULTURE NUMÉRIQUE PROFESSIONNELLE COMMUNE

Selon vous, travailler ensemble autrement, c’est…

Choisissez entre zéro et deux propositions au maximum.

Disposer de nouveaux espaces numériques de travail adaptés au travail collaboratif et aux échanges à distance
Adapter le pilotage et l’animation d’équipe au travail à distance
Développer l’entraide et la collaboration entre pairs en s’appuyant sur des outils collaboratifs partagés
Développer les compétences numériques pour tous en proposant une certification tout au long de la vie
S’appuyer sur le numérique comme outil de développement professionnel et personnel
Développer la formation entre pairs
Développer des modalités de recherche-action associant les personnels d’encadrement, les enseignants et les laboratoires de recherche

3. GOUVERNANCE ET ANTICIPATION

Selon vous, gouverner et anticiper par et avec le numérique, c’est…

Choisissez entre zéro et deux propositions au maximum.

Faire régulièrement des exercices d’enseignement à distance
Renforcer le rôle des enseignants référents pour le numérique (dans les territoires : circonscriptions, dans les établissements)
Attirer davantage les filles vers les filières et les métiers du numérique
Mieux connaître et préparer les élèves aux métiers de demain transformés par le numérique
Être impliqué dès la conception des outils et des services numériques professionnels
Faciliter la mise en place de partenariats numériques avec différents acteurs (collectivités, monde associatif, entreprises…) à l’échelle d’un établissement ou d’une école
Simplifier les systèmes d'information (SI) de gestion et de pilotage du ministère
Intégrer un volet numérique au projet d'école ou d'établissement et l'évaluer régulièrement

4. UN NUMÉRIQUE RESPONSABLE ET SOUVERAIN

Selon vous, développer un numérique responsable et souverain, c’est…

Choisissez entre zéro et deux propositions au maximum.

Renforcer la sécurisation des applications informatiques (lutter contre le piratage de compte ou l’usurpation d’identité, protéger la vie privée…)
Prendre en compte les effets des technologies numériques, notamment en matière d’environnement, de santé et de bien-être (par exemple, droit à la déconnexion)
Utiliser un identifiant unique pour accéder à l’ensemble des services numériques
Utiliser les données scolaires (devoirs, notes…) et les traces d’apprentissage (réussite à une activité, temps de résolution d’un problème…) au service de la réussite des élèves (parcours personnalisés, recommandations…)
Faciliter l’achat de ressources et de services numériques pour les enseignants
Développer une filière numérique nationale ou européenne pour les logiciels et l’hébergement des services éducatifs

5. ENSEIGNER ET APPRENDRE AVEC LE NUMÉRIQUE

Selon vous, enseigner et apprendre avec le numérique, c’est…

Choisissez entre zéro et deux propositions au maximum.

Acquérir de nouvelles compétences professionnelles en lien avec l’enseignement et le travail à distance
Disposer d’une plateforme d’e-tutorat (partage de ressources, expériences, mise en relation)
Utiliser le numérique pour proposer de nouvelles formes d’évaluations et d’examens
Avoir un lien individuel renforcé avec les élèves grâce au numérique
Organiser autrement l’emploi du temps, avec une partie des cours à distance
Faire évoluer les lieux d’apprentissage et l’aménagement des espaces
Diversifier les modalités d’enseignement : à la maison, en classe, seul, en petit groupe…

170 Laélia Véron et Rachid Zerrouki dans « Arrêt sur images » du 7 août 2020 : « Enseigner confinés : "Tout était sous-dimensionné" »

171 Sur « M@gistère » Paris (avec connexion professionnelle) : « Rendez-vous des Usages du Numérique »

172 Bruno Devauchelle (entretien) dans « Le Monde » (abonnés) du 16 mars 2020 : «  Pour le CNED et son avenir, c’est l’épreuve du feu  »

175 Line Numa-Bocage dans le « Café pédagogique » du 26 mars 2020 : «  Le confinement, une opportunité ? »

177 Sur « RFI » du 26 mars 2020 « En Uruguay, les élèves confinés bénéficient d'une politique d'éducation virtuelle unique » . Voir le fil dédi é à l'initiative OLPC de notre veille éducative, sur lequel on peut lire en 2014 que les résultats de cette généralisation des ordinateurs en Uruguay (OLPC/Ceibal) sont à peu près… nuls .

178 Voir notre veille 2013-2015 sur la Khan academy .

182 Revue « Third » numéro 4 (mai 2020), Charles Tijus, Catherine Puigelier, François Jouen : « Technologies cognitives et apprentissage : un bouleversement pour apprendre, comprendre et expliquer »

183 Bruno Devauchelle dans le « Café pédagogique » du 3 mars 2020 : «  F ace au coronavirus, peut-on vraiment enseigner à distance aux enfants ?  »

184 Voir le très grand nombre d’articles promouvant la classe inversée dans le « Café » dans la dernière décennie, à commencer par « Le guide de la classe inversée » le 13 septembre 2017..

185 « Café pédagogique » du 11 mai 2020 : «  Blanquer : L'Ecole de demain sera à distance  »

186 « N’autre école » n°9 (automne 2018) : «  Écrans, numérique et éducation  »

187 Tribune collective dans « Libération » du 19 mai 2020 : « Universités : contre un enseignement «100 % à distance» »

188 Louis Derrac, consultant et formateur spécialisé dans les domaines de l’éducation et de la culture numérique (tribune) dans « Le Monde » : «  Le solutionnisme numérique ne sauvera pas l’école  »

190 Harold Bernat (tribune) dans « Marianne » du 1er avril 2020 : « Numérisation de l'école : "On ne fait pas un cours de philosophie par courriels" »

193 Philippe Watrelot (tribune) dans « Le Monde » (abonnés) du 5 mai 2020 : « L’école d’après sera ce que nous en ferons »

194 Philippe Meirieu dans le « Café pédagogique » du 17 avril 2020 : «  « L’école d’après »… avec la pédagogie d’avant ?  »

196 Fiche outil présentant la synthèse des échanges du live du 3 juin 2020 sur etreprof.fr (SynLab) avec Marie Michaleck, Jean-François Cerisier, Pascal Gille : « Apprendre de la crise pour se projeter dans l’école d’après » . Voir le fil dédié à SynLab et Etreprof dans notre veille informationnelle.

201 « Zoomdici » du 2 avril 2020, entretien avec Jean-Williams Semeraro : « Baccalauréat : ''Il faut mettre fin à ce bachotage ridicule et stressant'' »

202 Sur son blog « Principal en Varech » du 27 mars 2020 « Passe ton Bac(2020) d’abord ? Ou pas. »

204 Éditorial du « Monde » du 4 avril 2020 : « Le baccalauréat 2020, exception ou exemple ? »

205 Philippe Watrelot (entretien) dans « Le Monde » du 7 avril 2020 : «  Confinement : « L’enseignement, c’est d’abord une relation et de l’accompagnement  »

210 Dans les « Cahiers pédagogiques » du 21 mars 2020 : « Continuité pédagogique : comment ne pas creuser les inégalités ? »

213 Rodrigo Arenas (FCPE) dans le « Café pédagogique » du 10 avril 2020 : « 'Ecole d'après : Rodrigo Arenas : Il nous reste l'espoir… »

215 Tribune collective dans « Le Monde » (abonnés) du 27 avril 2020 : « Coronavirus : « Et si nous faisions la classe dehors ? » »

220 Claude Lelièvre (tribune) dans « The Conversation » du 25 juin 2020 : «  L’école à venir ne se fera pas sans les parents d’élèves  »

222 Alain Bouvier voulait également faire éclater le modèle des concours ou la forme scolaire, constatant (souhaitant?) les progrès inéluctables de la libéralisation de l'éducation. Sur son blog (relayé par le « Café pédagogique ») du 1er octobre 2017 : « Débureaucratiser le recrutement des enseignants français » A relire également sur son blog du 31 mai 2018 : « Notre système scolaire va-t-il s’effondrer ? »

223 Courrier de la DANE de l’académie de Paris du 18 mai 2020.

225 cf sur notre veille, ce fil recensant les articles de presse en 2014 autour de La Fin de l’école, comme « Cyberélèves, super-progrès » ou bien « Boum ! Une bombe atomique sur l’Education nationale » . Nous avions d’ailleurs relevé de façon amusante comme l’un des auteurs, François Durpaire, formateur, pratiquait la co-construction du savoir en l’appliquant à sa propre page hagiographique sur Wikipédia .

226 Blog SE-UNSA « L’Ecole de demain » du 21 avril 2020 : « Pour Michel Guillou, la confiance doit passer par la dégrenellisation  »

227 Tribune de François Dubet dans « La Tribune » du 6 avril 2020 : « L'épreuve du confinement révèle des inégalités qui peuvent devenir haine »

228 Selon l’enquête EPODE de la DEPP (juin 2020), 54% des enseignants de collège recourent à des « pédagogies actives ». Voir s ur le forum .

230 Bruno Devauchelle dans le « Café pédagogique » du 20 mars 2020 : « Chronique d'un confinement : première semaine »

232 « France Culture » du 18 mai 2020 : « Freinet : comment réinventer l'école »

233 Voir nos grandes autopsies montrant l’absurdité des recommandations d’Andreas Schleicher à la lecture du rapport PISA 2015 sur l’école numérique dans le monde ou l’absurdité du modèle éducatif de la « Chine » ,

235 Construire l’école d’après (2020), ESF sciences humaines et « Cahiers pédagogiques ».

236 Dans le « Café pédagogique » du 26 mars 2020 : « Line Numa-Bocage : Le confinement, une opportunité ? »

237 Blog « Questions d’éduc » de « Unsa éducation » du 17 mars 2020 : « Penser la classe hors de ses murs : pas si simple ! »

238 Rodrigo Arenas (FCPE) sur «  Europe 1 » du 2 juillet 202 0.

239 « Télérama » du 26 août 2020, dossier « Redécouvrir le plaisir d’apprendre » réalisé par Marc Belpois : « Oui, apprendre peut être un plaisir ».

240 « Ludomag » du 22 avril 2020 : « La ludification pour maintenir la continuité pédagogique » par Marie Soulié. Sur la curieuse association « Ludovia », voir notre billet de 2019 : « Ludovia sans issue ».

242 « Le Monde » du 31 mars 2020 : Continuité pédagogique : «  Rien n’a encore trouvé sa place, c’est là notre chance !  » par Maxime Abolgassemi, professeur de culture générale en classes préparatoires.

243 Yves Decaens sur « France Inter » du 13 avril 2020 : « Après un mois de cours à distance, comment vont les enseignants ? »

244 Circulaire du délégué académique au numérique de Paris envoyé le 28 avril 2020.

245 Catherine Reverdy (IFE) dans « Le Monde » du 30 juin 2020 : « Apprendre sans la classe : la difficulté du télétravail scolaire pour les élèves »

246 Sylvain Connac dans les « Cahiers pédagogiques » du 5 mai 2020 : « Une pédagogie sans contact »

248 « Petits Cahiers » n°9 : « Former les élèves à vérifier les informations » . Voir à ce sujet notre billet de 2016 sur « L’enseignement de la défiance » .

250 « France Culture » du 19 mai 2020 : « L'éducation scientifique lutte contre le Covid-19 »

251 Pascale Haag et Muriel Epstein (tribune) dans « Le Monde » du 19 mai 2020 : «  Après le confinement, assurer la continuité relationnelle plus que la continuité pédagogique  »

253 Philippe Meirieu et Rodrigo Arenas (FCPE) (tribune commune) dans « Libération » du 24 juin 2020 : « Pour une école de l’entraide et de la coopération »

254 Sylvain Connac (entretien) dans le « « Café pédagogique » du 24 août 2020 : «  Sylvain Connac : La coopération, ça s'apprend  »

256 Voir notre billet de 2017 : « Une idée glauque »

258 Charline Avenel (entretien) dans « Émile » (magazine « by Sciences Po alumni ») du 16 avril 2020 : « Confinement : quels défis pour l'éducation ? »

259 Philippe Carré, L’Apprenance : vers un nouveau rapport au savoir (2005).

260 Caisse des dépôts, « D’utilité publique » du 10 mai 2020 : « L’école du futur, l’école de tous les fantasmes ? »

261 Sur la « Lab school Paris » ou le « Lab school network », voir ce fil de veille informationnelle .

262 « Être et avoir » de Louise Tourret sur « France Culture » du 15 mars 2020 : « Coronavirus : comment faire l'école sans école ? »

263 « Soutenir la continuité pédagogique » sur le site de SynLab (non daté). Voir le fil dédié à SynLab et Etreprof dans notre veille informationnelle.

267 « Le blog de Leob » sur « Mediapart » du 4 mai 2020 : « Six semaines de «continuité pédagogique» dans un collège de Stains (93) »

269 Béatrice Mabilon-Bonfils dans le « Café pédagogique » du 4 juin 2020 : «  Bien-être : Un laboratoire pour penser "l'école d'après" »

270 François Dubet, François Taddei, Florence Rizzo, Cynthia Fleury (tribune) dans le « JDD » du 23 août 2020 : « Comment les enseignants rêvent l’école d’après-Covid »

273 « Les Pieds sur terre » (France Culture) du 26 mars 2020 : « L'école au temps du corona »

274 Alexane dos Santos dans « Capital » du 11 juin 2020 : «  Enseigner derrière un écran n’a rien de naturel  »

276 Charline Avenel (entretien) dans « Émile » (magazine « by Sciences Po alumni ») du 16 avril 2020 : «  Confinement : quels défis pour l'éducation ?  »

279 Jean-Michel Blanquer dans le « 6-9 » de « France Inter » le 27 juillet 2020.

280 CARDIE de Poitiers du 27 mai 2020 : « Les "10 essentiels" pour le retour en classe »

281 Jean-Michel Zakhartchouk sur son blog « EducPros » du 18 mai 2020 : « Mais que veulent-ils au juste ? »

284 Sur le site de « bconnexion » : https://b-connexion.fr/app/badge/info/1001

285 « Ludovia » du 23 avril 2020 : «  Confiné.e et badgé.e  »

288 Laurence de Cock sur son blog de « Mediapart » du 27 juin 2020 : « Leur monde d’après, et la couleuvre de trop »

289 Sylvain Connac dans les « Cahiers pédagogiques » du 30 juin 2020 : « Les badges de la discorde »

292 Marie-Amélie Lombard-Latune dans « L’Opinion » du 7 juin 2020 : « Ecole au ralenti: où sont les profs ? »

293 Alain Bouvier (tribune) sur le site de la Mission laïque française du 14 mai 2020 : « Quelles perspectives pour l’école en France après 5 semaines de confinement ? »

295 « Café pédagogique » du 30 juin 2020 : «  Des professeurs mis en fiches dans un lycée privé  »

302 Rapporté par l’AFP

303 Laurent Joffrin (éditorial) dans « Libération » du 5 mai 2005 : « Complexité »

304 Guillaume Erner (revue de presse) sur « France Culture » du 8 juin 2020.

305 Justine Sagot sur « LCI » du 2 juin 2020 (voir sur Twitter )

306 La circulaire du 4 mai 2020 déterminait les motifs valables d'absence et les attestations ou documents à fournir pour en bénéficier.

308 Lucie Robequain dans « Les Echos » du 9 juin 2020 : « Ecole obligatoire »

309 Dominique Seux sur « France Inter » du 8 juin 2020.

310 Amélie Lombard-Latune dans « L’Opinion » du 7 juin 2020 : « Ecole au ralenti: où sont les profs ? »

311 Marie-Duru-Bellat (entretien) dans « Le Monde » (abonnés) du 31 août 2020 : « Sans école, c’est toute la société qui s’est retrouvée en apesanteur »

316 Christelle Bertrand dans « La Dépêche » (abonnés) du 13 juin 2020 : « Éducation : comment Jean-Michel Blanquer a renvoyé les enfants à l'école »

317 « LCI » du 11 juin 2020 : « 40.000 enseignants absents pendant le confinement ? Un chiffre polémique à nuancer »

Voir aussi les « Décodeurs « du « Monde » du 16 juin 2020 : «  Non, il n’y a pas 40 000 profs « décrocheurs  »

A noter que Marie-Estelle Pech du « Figaro » a maintenu l’exactitude des 5 % de professeurs décrocheurs. Voir « Arrêt sur images » du 16 juin 2020 : «  Alors, 5% de profs "décrocheurs", vrai ou faux ?  »

319 Sondage Odoxa réalisé les 17 et 18 juin pour « Le Figaro » : « Reprise de l’école obligatoire à partir du 22 juin »

320 Sophie Audoubert (tribune) sur « Slate » du 18 juin 2020 : «  En défense des profs, contre les discours-poisons  »

321 Jean-Michel Blanquer (entretien) dans le « JDD » du 9 mai 2020 : « L'école ne sera pas une garderie »

322 Jean-Michel Blanquer sur Konbini du 30 mai 2020 .

327 Charline Avenel (entretien) dans « Émile » (magazine « by Sciences Po alumni ») du 16 avril 2020 : « Cette crise met en exergue la capacité d’adaptation et d’innovation des professeurs »

329 Courrier envoyé par la CARDIE de Paris le 1er avril 2020.

330 Courrier envoyé par la DANE de Paris les 24 et 26 mars 2020.

331 « Café pédagogique » du 17 avril 2020 : « Une enquête sur le vécu des enseignants »

333 https://eduscol.education.fr/cid105596/banque-de-ressources-numeriques-pour-l-ecole.html

« Des atouts à explorer : différenciation, innovation, interactivité, attrait, entraînement, suivi et évaluation, remédiation, travaux personnels individuels et collectifs, essai-erreur, productions intermédiaires, traces « écrites augmentées » des apprentissages, recherche, accessibilité et adaptabilité des ressources, pour toutes les modalités de travail et pour différents temps d'apprentissages ...

Issues de l'action INEE (innovation numérique pour l'excellence éducative), 14 banques de ressources numériques pour l'École (BRNE) sont déjà disponibles pour enseigner et pour apprendre du CM1 à la 3e en en français, en mathématiques, en sciences (PC, SVT et technologie), en histoire-géographie, en langues vivantes (anglais, allemand, espagnol). Des milliers de ressources didactisées et structurées sont utilisables et réutilisables mais aussi modifiables dans un cadre de confiance. »

Voir aussi : https://eduscol.education.fr/cid57544/edubase-une-banque-nationale-de-scenarios-pedagogiques.html

334 Secrétariat d’État chargé de l’égalité (21 mars 2020) : « Guide des parents confinés »

336 https://twitter.com/2vanssay/status/1294928808424935424

Arthur C. Clarke dans son essai « Electronic tutors » dans la revue Omni (juin 1980) :

« Where does this leave the human teacher ? Well, let me quote this dictum : Any teacher who can be replaced by a machine should be !  »

337 Danièle Linhart dans « Arrêt sur images » du 21 août 2020 : « Télétravail : "on n'est plus en représentation permanente" »

338 Barbara Stiegler (entretien) dans « Marianne » du 15 avril 2020 : «  Cette crise oblige le néolibéralisme à se dédire de manière spectaculaire  »

340 Maxime Abolgassemi (tribune) dans « Le Monde » (abonnés) du 31 mars 2020 : Continuité pédagogique : «  Rien n’a encore trouvé sa place, c’est là notre chance !  »

341 Olivier Coquard (ltribune) dans « Le Monde » (abonnés) du 9 juin 2020 : «  L’enseignement à distance nécessitera à l’avenir une formation et un équipement adéquat  »

342 « Arrêt sur images » du 7 août 2020 : « Enseigner confinés : "Tout était sous-dimensionné" »

343 « Usbek & Rica » du 30 juin 2020 : « Pourquoi la Silicon Valley mise-t-elle sur le télétravail ? »

Eric Schmidt dans « Face the nation » sur « CBS » du 10 mai 2020

Eric Schmidt (tribune) dans « The Wall Street Journal » du 27 mars 2020 : «  A Real Digital Infrastructure at Last  »

345 « Le Monde » (abonnés) du 17 mai 2020 : «  Coronavirus : le télétravail, nouvel idéal ?  »

347 Christian Robin (tribune) dans « Le Monde » du 22 juin 2020 : « Déconfinement : « Au secours, mes salariés ne veulent pas revenir ! » »

«  Et s’ils ne revenaient pas ? C’est la question qui inquiète ou qui fâche, selon les cas, et se transforme peu à peu en prise de conscience de dirigeants d’entreprise de toutes tailles : « Au secours ! Ils ne veulent pas revenir... » Leurs salariés évoquent leur état de santé, leur situation familiale, notamment la garde d’enfants toujours non scolarisés, l’efficacité du télétravail, leur nouvelle qualité de vie, la complexité des obligations sanitaires d’un retour sur site… Chacune de ces raisons semble légitime, et toutes conduisent avec un bon sens apparent à préconiser d’attendre la rentrée de septembre. D’autant qu’après des débuts parfois chaotiques, les activités tertiaires ont trouvé leur rythme et une certaine performance à distance. »

350 Enquête TrEpid (Ugict-CGT, CGT-Dares, CGT-Drees) menée du 6 au 27 avril 2020 (34000 réponses). Une section de l’enquête a spécifiquement été consacrée au télétravail des enseignants.

352 Nolwenn Anier (entretien) dans « Courrier cadres » du 23 mars 2020 : «  Coronavirus : “ce que nous vivons n’est pas représentatif du télétravail”  »

355 « Le Figaro » (abonnés) du 29 mai 2020 : «  Pourquoi seule la moitié des enseignants a regagné les classes  »

« « Je jongle sans difficultés entre le travail de mes deux écoliers et celui que j’envoie, à distance à ma classe maternelle, raconte Sophia, professeur des écoles à Paris, plutôt contente de sa situation depuis sa maison de banlieue avec jardin. Selon un sondage Harris Interactive réalisé pour le SNUipp du 23 avril au 4 mai, 74 % des enseignants disent avoir vécu « facilement » le confinement. A rebours du discours officiel sur l’épuisement des professeurs, Anne-Claire, professeur d’histoire estime « avoir eu moins de travail que d’habitude ». « J’ai même accueilli les fils de ma fille, épuisée par le cumul du télétravail et des enfants. » »

356 Sondage Harris Interactive de mai 2020 : « L’enseignement à l’ère du déconfinement ».

357 Courrier envoyé aux inscrits le 17 avril 2020 par le site du CNED.

359 Courrier du délégué académique au numérique (DAN) de Paris envoyé le jour de la rentrée le 20 avril 2020 avec ces conseils au retour des vacances de Pâques :

« Maintenir l'espace classe : "On ne va pas seulement à l’école pour apprendre mais pour apprendre ensemble" nous rappelle Philippe Meirieu. Par conséquent, des activités pédagogiques individuelles seules ne remplacent pas l'école. Il faut savoir construire du collectif, à travers des visioconférences (classes virtuelles) ou avec des activités pédagogiques à faire en groupe avec des outils collaboratifs de l'ENT. Ces activités pédagogiques collectives à distance permettent de reconstituer, de manière symbolique certes, l’espace de la classe. C’est essentiel. »

360 Marie-Estelle Pech dans « Le Figaro » (abonnés) du 11 juin 2020 : «  Une sanction illusoire pour les profs décrocheurs  »

362 Proposition de loi n ° 967 (19 mai 2020) visant à instaurer l’enseignement numérique distanciel dans les lycées, collèges et écoles élémentaires.

« Pour les universités, cela pourrait éviter des frais de logement et d’études aux étudiants dont les parents ne peuvent assumer des études longues et coûteuses. »

364 Pour consulter des tentatives de proposition de cours en ligne dans un cadre institutionnel avant la pandémie, voir la section du forum sur l’école en ligne, et en particulier :

- avec les grandes écoles en ligne et les «  campus connectés » depuis 2015

- avec les options et spécialités rares à distance , comme le latin, depuis 2019

- avec les remplacements d’absence depuis 2016

365 Béatrice Marie Savarieau et Hervé Daguet dans « Médiations & Médiatisations » (Revue internationale sur le numérique en éducation et communication) du 22 avril 2020 : « La classe virtuelle synchrone à l'université, un levier de transfomation de la professionnalité enseignante ? »

« L’intégration des classes virtuelles synchrones modifie-t-elle la professionnalité enseignante et quelles sont les transformations qui en résultent ? Cette recherche réalisée auprès des enseignants dans le campus numérique Forse de l’université de Rouen illustre que les dispositifs de communication médiatisée rendent possible de nouvelles modalités d’intervention, en soirée et dans l e cadre à ce qui pourrait relever du télétravail. C’est donc l’agir professionnel enseignant qui s’en trouve questionné, dans ses dimensions institutionnelles, épistémiques et ce qui fonde l’agir professionnel enseignant dans son expression, comme l’absence du corps instituant de l’enseignant. »

368 Florian Meyer, Geneviève Lameul, Simon Bolduc dans la revue « Médiations & Médiatisation » du 22 avril 2020 : «  Téléprésence, visioconférence ou webconférence : enseignement et apprentissage synchrone et distant  »

369 Document présenté par Marcel Lebrun au Forum pédagogique de la Mission laïque française le 29 mai 2020 ( Twitter ).

370 Stéphanie de Vanssay sur le blog du SE-Unsa du 24 juin 2020 : « Distanciel n’est pas le contraire de présentiel… »

371 Iannis Roder dans « Le Monde » (abonnés) du 7 avril 2020 : « Enseignement à distance : « Allez, on se connecte tous à 8 h 55 », ou presque… » .

374 Jean-Sébastien Philippart sur le blog « Skolo » du 3 août 2020 : « Confinement : quand la novlangue de l’enseignement s’enrichit »

376 Christelle Lacroix (entretien) dans le « Café pédagogique » du 15 juin 2020 : « Français  : Hybrider l’étude d’une œuvre »

378 Jonas Erin à l’occasion d’un webinaire Canopé du 10 juin 2020 : «  Hybridation de l'enseignement : opportunités et défis »

Bernadette Charlier, Nathalie Deschryver et Daniel Peraya dans Distances et savoirs n°4/2006 : «  Apprendre en présence et à distance  »

«  La formation supérieure universitaire initiale et continuée voit se développer depuis quelques années des dispositifs articulant à des degrés divers des phases de formation en présentiel et des phases de formation à distance, soutenues par un environnement technologique comme une plate-forme de formation. L’objet de cet article consiste en une tentative de définition de ces dispositifs dits « hybrides » pour en proposer des dimensions descriptives. »

381 Jean-François Chesné et Nathalie Mons (tribune) dans « Le Monde » du 1 er septembre 2020 : « Rentrée scolaire : « Pour une égalité territoriale du numérique à l’école » »

384 Pascale Haag (entretien) sur « France Culture » du 22 mai 2020 : « Les bénéfices inattendus de l'école à la maison » ; Compte rendu de l’enquête sur le blog de Pascale Haag du 29 avril 2020 : « Confinement et éducation à distance. Le regard des élèves »

386 Marie-Estelle Pech dans « Le Figaro » (abonnés) du 4 juin 2020 : «  Le système D des parents sans école  »

387 Voir notre veille informationnelle sur la libéralisation de l’école : L’école privé hors contrat

388 Nicolas Santolaria dans « Le Monde » (abonnés) du 26 avril 2020 : « Journal d’un parent confiné, semaine VI : « Le déconfinement ? Non, merci ! » »