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Damien Babet - "Pourriture pédagogique" (24/03/12)
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Damien Babet le signale : "Autrefois en thèse de sociologie à l’EHESS, j’enseignais à l’Institut d’Études Française de l’Université de New York."
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C'est l'un des titres les plus agressifs que j'aie pu lire.Pourriture pédagogique
Le compte-rendu oublie (volontairement ?) l'élément principal : le faux corrigé sur les sites commerciaux.Un billet de blog buzze chez les profs depuis trois jours, « Comment j’ai pourri le web », un petit récit dans lequel Loys, « 36 ans, professeur certifié de lettres classiques dans un lycée parisien » raconte comment il a piégé ses élèves en plaçant sur quelques sites, dont Wikipedia, de fausses informations sur le poète Charles de Vion D’Alibray avant de leur demander de commenter l’une de ses œuvres, un travail personnel à faire à la maison.
On a déjà traité ailleurs l'accusation de "vandalisme", un terme exclusivement wikipdédien .72000 liens sur Facebook, près de 400 000 affichages, un mail dans ma boite ce matin, et le sujet de conversation de salle des profs du jour. Ce succès indique que le récit du vandale touche une corde sensible chez mes collègues. Moi, ça me met en colère.
"Répétez ce qu'on dit" ? Pas dans un commentaire...L’école soumet les élèves à des injonctions contradictoires : pensez par vous-même, répétez ce qu’on dit.
"Prenez des risques" ? Pas dans un commentaire...Prenez des risques, ne vous trompez pas.
"Apprenez par cœur" ? Pas dans un commentaire...Apprenez par cœur, ne plagiez jamais.
Pas en lettres... M. Babet ne connaît visiblement pas très bien le principe du commentaire de texte. Mais on voit où il veut en venir : c'est l'institution scolaire qui par sa violence contraint les élèves à la triche.Ces contradictions sont structurelles, inscrites dans les fonctions ambivalentes de l’institution.
Où on retrouve la vulgate bourdieusienne de la "culture dominante" et de "l'autorité pédagogique" que l'on impose avec une violence presque fasciste, celle de la propagande contradictoire. Encore une fois la critique de mon expérience dérive gravement vers une critique générale de l'école, critique qui ne s'adresse donc finalement pas à moi.D’un côté, on impose aux élèves une culture dominante de pure autorité.
De quelle "culture" exactement parle M. Babet ? Car, pour autant que je le sache, sauf à supposer que par culture il faille entendre culture littéraire dans son ensemble - ce qui signifierait que M. Babet considère la culture littéraire comme une culture "dominante" et arbitraire, il y a autant de "cultures" que de professeurs de français. Les lettres sont même une des seules disciplines où toute latitude est laissée au professeur dans le choix des œuvres à étudier.De l’autre, on leur demande d’entretenir la fiction selon laquelle cette culture est librement choisie, aimée, appréciée comme supérieure par tous.
Absolument pas. Les goûts personnels des élèves n'ont rien à faire dans un commentaire de texte, qui est d'exercice d'objectivité dont le "je" est absent : c'est par la confrontation réfléchie à différents professeurs, à différentes œuvres, à différentes esthétiques et à différentes époques que l'on peut faire naître ce goût de la littérature.La bonne élève, c’est celle qui a le bon goût de sincèrement aimer Flaubert.
De telles considérations confirment une méconnaissance profonde de l'exercice : il n'y a pas "des bonnes réponses" attendues des élèves, comme dans un problème de mathématiques ou une traduction. Il y a une lecture et une compréhension littérale du texte - pertinente ou non -, puis des observations libres et la construction d'une interprétation à partir de ces observations. Ces interprétations sont libres : elles ne demandent simplement qu'à être rigoureusement appuyées sur le texte. Un professeur de lettres ne demande qu'à être surpris par le commentaire d'un élève. Même les élèves les plus en difficultés peuvent voir dans un texte des choses que nous n'avons pas vues. Découvrir une observation, une problématique qui nous avait échappé est toujours réjouissant.On demande ici aux élèves de commenter un poème. Il ne s’agit pas d’un travail créatif, on n’attend pas d’eux qu’ils réinventent la littérature. Il y a de bonnes et de mauvaises réponses.
C'est ce que pense effectivement les élèves qui n'ont pas compris les enjeux de l'enseignement des lettres...Penser par soi-même n’est pas vraiment l’enjeu ici, il s’agit de penser, certes, mais de penser comme le prof.
Le glissement sémantique est sophistique.Apprendre à bien penser, être bien pensant.
Bien penser, c'est penser avec cohérence, logique, en s'appuyant sur sa culture personnelle ou des observations et en structurant sa réflexion ; est-ce "être bien pensant" ?
Confusion encore fois des disciplines qui ne peuvent être comparées. Des élèves en science reproduisent des expériences qui doivent nécessairement conduire à un même résultat : ce n'est pas absolument pas le cas en lettres où les élèves proposent une interprétation personnelle, au même titre que celle du professeur d'ailleurs. "Personnelle" ne signifiant pas subjective ou arbitraire.Tout comme ces expériences scientifiques reproduites en cours de bio ou de physique, il y a le goût et la couleur de la science, mais ce n’est pas de la science : on n’y fera jamais de découverte.
La critique générale de l'école se poursuit : c'est maintenant une critique des "exercices traditionnels" ou même de la notation comme on va le voir. De ce point de vue M. Babet rejoint Oodoc : "L'expérience originale menée par M. Loys BONOD, professeur de Lettres, a le mérite d'avoir mis en exergue l'absence d'évolution et l'obsolescence des méthodes d'évaluation actuelles".Chaque prof vend plus ou moins la mèche, assume plus ou moins la transmission autoritaire du savoir, ou accepte plus ou moins le développement imprévisible de la pensée critique.
Internet rend plus compliquée l’hypocrisie pédagogique des exercices traditionnels.
Comme le dit Flaubert dans son Dictionnaire des idées reçues : "Baccalauréat. Tonner contre."
A hypocrisie, hypocrisie et demie : ce sont surtout les parents d'élèves qui rejettent toute notation tout en y accordant une importance démesurée.On prétend que ce qui importe c’est la démarche, alors qu’on juge le résultat.
Quant à la démarche, elle est aussi importante que le résultat, n'importe quel professeur sincère le dira. En revanche c'est une hypocrisie pédagogique d'affirmer que la démarche prévaut sur le résultat.
Puisqu'on dit qu'il ne s'agit pas d'obtenir "un même résultat"...Mais un même résultat peut maintenant s’obtenir par de nouveaux moyens.
La fausse monnaie est ce qu'elle est : de la fausse monnaie. Si elle peut tromper les élèves, elle ne trompe pas les professeurs...La fausse monnaie du web dévalorise nos trésors de papier.
Un compte à régler avec Flaubert, semble-t-il. Pourtant, le romancier aussi avait des comptes à régler avec la bourgeoisie : quel dommage de ne pas l'avoir compris...Disons-le plus brutalement : les corrigés en ligne rendent accessible aux enfants de pauvres le petit truc du perroquet bien dressé qui nous permettait, auparavant, de distinguer la progéniture bourgeoise, celle qui aime sincèrement Flaubert.
Bref on voit bien à quoi se résument l'enseignement des lettres pour M. Babet : "le petit truc du perroquet bien dressé". C'est une pensée naïve quand elle vient des élèves, inquiétante quand elle vient d'un professeur, grave quand elle vient d'un penseur auto-proclamé de l'école.
Eh non, tout ne se vaut pas, même si l'horizontalité absolue est effectivement l'horizon d'attente des tenants de "l'égalitisme" pointé par Philippe Muray. Non, malheureusement, mon faux commentaire validé par les comités de lecture de Oboulo et Oodoc ne vaut pas mon vrai commentaire. M. Babet est bien naïf s'il pense que les corrigés et résumés disponibles sur le net sont de bonne qualité...Voilà le scandale. Tout se mélange. Tout se vaut. « Maintenant tout est devenu horizontal » me disait un collègue (nostalgique).
Peu importe pour nous : c'est surtout pour les élèves qu'elle est grave, pris qu'ils sont entre deux injonctions contradictoires (moi aussi je peux en trouver) : celle d'une école qui veut développer la patience, l'effort, la pensée personnelle et autonome, et celle d'une société qui prône l'immédiateté, la facilité et la consommation passive.Pour nous, la situation n’est pas confortable.
Effectivement...Je suis sur le point d’abandonner la lutte contre le « plagiat » (mémoriser un cours ou un manuel scolaire, c’est bien, emprunter une phrase sur le web, c’est du « plagiat », allez comprendre), mais je ne sais pas trop où je vais.
Encore un relativisme coupable (apprendre un cours, c'est finalement le plagier...) se soldant par une démission pure et simple ("abandonner la lutte"). La notion de plagiat est peut-être à revoir. J'aime bien d'ailleurs l'acception positive du mot "emprunt" s'agissant de copier-coller non déclaré : il s'agirait plutôt de vol à quelqu'un d'une part, d'imposture devant quelqu'un d'autre d'autre part.
Ou c'est leur sens moral qui explique leur lucidité...C’est par cette angoisse que je m’explique le désarroi moral qui pousse des profs à célébrer Loys.
Si le web était vraiment une bibliothèque, on pourrait s'en réjouir. Mais c'est hélas plutôt, avec quelques ressources dignes d'intérêt perdues en son sein, un fatras informe, un capharnaüm qui fait peine à voir, rempli de compilations hâtives, de forums mal renseignés, des sites de triche organisée, d'auteurs masqués et de sources anonymes, de résumés bâclés ou fautifs entre deux bandeaux publicitaires, de corrigés plus que douteux et vendus à la va-vite.Le geek vandale qui les venge de l’obsolescence soudaine de leurs compétences de bibliothèque...
Il y chez les béats de l'internet cette croyance que le web ne peut connaître que le progrès, que ses quelques (!) défauts actuels seront amenés à disparaître, que la route est ouverte vers la perfection de la connaissance et du savoir collaboratif, du partage social (dont le copier-coller est un exemple), vers un monde meilleur en somme. Et si ce n'était pas le cas ?
L'esprit critique, l'autonomie de pensée, la culture personnelle ne sont pas des "savoirs", et encore moins des savoirs scolaires "disponibles en ligne". Un élève qui recopie une solution à un exercice de mathématiques ou une traduction sur un site accède-t-il à un "savoir scolaire" ?... et de la désacralisation provoquée par ces usages instrumentaux du savoir scolaire disponible en ligne.
Mais si Damien Babet peut indiquer une url pour connaître la littérature sans lecture ou pour apprendre à penser sans Google, je suis intéressé...
Ils sont surtout choqués, à vrai dire, que les élèves aillent sur internet pour commenter un texte...Si Loys avait découpé une feuille d’encyclopédie papier dans un centre documentaire de lycée pour la remplacer par une fausse, mes collègues seraient choqués.
Toujours la même confusion qui confond lecture, compréhension et interprétation d'un texte avec une simple recherche documentaire.
Commettre un "attentat", "frapper ses enfants" : voilà ce que j'ai fait en amusant mes élèves...La démonstration par l’absurde (« Il ne faut faire confiance à personne, croyez-moi. La preuve : je vous ai trahi ») apparaîtrait pour la démonstration absurde qu’elle est dans tout autre contexte : un président qui financerait des attentats pour se faire réélire, un magazine qui publierait de faux articles pour critiquer la presse, des parents qui frapperaient leurs enfants pour leur apprendre la vie.
Je n'ai jamais dit aux élèves qu'ils ne devaient avoir confiance en personne : je leur ai dit qu'ils devaient avoir confiance en eux avant tout et paradoxalement en moi, leur professeur pendant un an, qui n'ai pas d'intérêt personnel à leur vendre quoi que ce soit. En ridiculisant les sites de corrigés mercantiles, ma démonstration n'a rien d'absurde ou de nihiliste.
Oui et c'est bien dommage.Ce n’est pas si grave. Je n’ai peut-être pas l’esprit du canular. Je manque d’humour.
In cauda venenum, pour être pédant : je crois qu'il faut mettre cette dernière invective sur le compte de l'exécration des lettres par M. Babet.Mais sur ce site militant de profs opposés aux nouvelles technologies (à l’école), lire que cette blague narcissique et pédante poursuivait le but hautement moral de libérer les élèves d’un « manque cruel de confiance en eux »… c’est vraiment une pourriture pédagogique.
Quant à la vraie et durable "pourriture pédagogique" occasionnée à grande échelle par les sites de corrigés, pas un seul mot dans l'article... Il fallait le faire !
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