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"Des crocodiles sur internet. Panique morale et loi de la pesanteur" (Marie-Anne Paveau)
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Comme d'habitude, toute critique du numérique procède nécessairement d'une crainte elle-même nécessairement irrationnelle.Des crocodiles sur internet. Panique morale et loi de la pesanteur
Michel Serres ferait bien de savoir de quoi il parle. La vieillesse est un naufrage : www.laviemoderne.net/veille/viewtopic.php?f=3&t=268“Les nouvelles technologies nous ont condamnés à devenir intelligents ! “, Michel Serres, 2007
La critique de l'Internet est donc assimilée à une forme de racisme. On ne fait pas mieux comme terrorisme intellectuel.J’aime bien Jamel Debbouze. Ce type me plaît, surtout dans l’acuité que contiennent certaines de ses sorties. Le coup du bol breton est définitivement intégré dans mon magasin personnel de citations et phrases-cultes, entre Peirce et Arendt (hé oui). “L’intégration, c’est quand t’as ton nom sur le bol breton”. Et le bol breton a encore quelques belles bolées de cidre fabrication française devant lui. Mais j’avais été aussi frappée par cette remarque au détour d’une interview : “Vous savez, quand on ne connaît pas, on crache dessus, on cogne quoi, c’est comme ça” (de mémoire). Ce n’est pas tant le contenu qui avait retenu mon attention que la manière évidente et explicite de formuler ce qui reste souvent implicite et même dissimulé derrière des arguments aux apparences plus rationnelles.
Et, pour être concret, le hashtag #UnBonJuif sur Twitter, ce n'est pas du racisme, par contre.
C'est beau, mais creux.Sur OWNI, dans un billet intitulé “Peur sur le web“, Laurent Chemla a une jolie expression à laquelle je souscris entièrement pour décrire l’internet tel que je le vois, que je le pratique, tel que je l’habite et tel que je l’aime : “J’ai toujours vécu internet comme un désir”.
Et non, il y a des esprit grincheux qui ne s'occupent pas que de leur seul "désir" propre, mais de l'éducation de générations d'enfants.Mais cette approche désirante, et donc créative, n’est vraiment pas la plus répandue.
C'est sûr que c'est plus simple que de s'interroger sur ces réactions.Ces dernières semaines j’ai rencontré plusieurs réactions négatives au numérique ou à l’internet, et j’ai à chaque fois pensé à Jamel Debbouze.
Quel titre ambitieux !Dans une formation doctorale que j’assurais, la partie sur le doctorant 2.0...
...sensée !...a provoqué des réticences fortes d’une jeune femme
C'est vrai que Twitter est un vrai appel à une pensée et à une syntaxe complexes et inscrites dans la durée. Et puis, quand on a 1.500 followers sur Twitter, on a plein d'amis virtuels.... réticences qui embrassaient sans distance les discours technophobes bien connus de la dégradation de la langue (“Ah mais moi je ne pourrais pas écrire comme ça, aussi rapidement, sans relire, sans corriger, j’ai besoin de revenir sur mon texte, que ça soit parfait, rien que d’y penser ça me donne des frissons”), ou de la solitude pathologique du geek (“ah mais, à ce compte-là, on ne sort plus, on ne voit plus personne, le virtuel, ça coupe de la réalité”).
Comme quoi on peut être jeune et avoir un regard critique. Les personnes des générations antérieures sont généralement disqualifiées pour réfléchir aux numérique. Sauf Michel Serres, qui pourtant n'y connaît rien !Je précise bien “jeune femme”, pour enfoncer le clou de la non-pertinence de cette notion de “digital native” derrière laquelle nombre de rejets irrationnels se tapissent.
C'est amusant comme certains, qui appartiennent à l'élite universitaire, pratiquent le relativisme culturel, en moquant le "bon français" mais en écrivant le mieux possible eux-mêmes, voire avec une certaine préciosité. Ces personnes seraient avisées de consulter des copies d'élèves en fin de scolarité obligatoire pour voir que la notion de "bon français" n'est peut-être pas si relative.La récente chronique d’Antoine Compagnon dans le Huffington post va exactement dans ce sens, tout en prétendant le contraire : il faut lire ce morceau de purisme le plus anachronique et le plus élitiste, dans lequel il n’est pas du tout question de numérique, mais de correction de la langue, à coup de subjonctifs et de subordonnées complexes, comme si l’internet était un papier comme un autre, sans contexte, sans dispositif, sans écosystème, sans technologie, sans univers en un mot. Répondant à la critique d’un lecteur qui l’accusait d’écrire de manière “débraillée” (toujours cette métaphore du corps de la langue), c’est-à-dire “numérique”, Antoine Compagnon rate une belle occasion d’expliquer que l’écriture numérique est, fondamentalement… une écriture, ni plus ni moins “débraillée” qu’une autre. Mais au lieu de cela, il réduit le “numérique” au bon usage, comme dans une antique chronique “Le bon français” du Figaro.
Il faudrait peut-être lire des ouvrages sur la pensée de la technique, en ce cas. Je recommande Jean-Pierre Séris.Dans une communauté savante d’un pays lointain, un responsable a déposé un unique exemplaire papier d’un document collectif dans un scriptorium fermé, que les moines et moniales du groupe, censément levés pour mâtines et supposés consacrer tout leur temps aux joies sereines du recopiage, étaient invités à aller lire manuellement, si je puis dire. À l’ère de la dématérialisation des dossiers de toute sorte, il lui a été suggéré une forme un tout petit plus numérique, qu’il a refusée au nom du “risque électronique”. Le “risque électronique”. Je connaissais le risque sismique, nucléaire, chimique, professionnel, mais électronique, je découvre.
Critiquer le numérique, c'est donc militer pour le retour au Moyen-âge... Avec toujours ce parallélisme inepte, pour qui a réfléchi, entre révolution numérique et invention de l'imprimerie.Cette réponse médiévale (pardon aux médiévistes, oui je sais que cette période n’est pas aussi obscure que le dit le stéréotype, mais là, tout de suite, j’ai besoin du stéréotype, vous savez, genre Le nom de la rose), cette réponse médiévale donc, m’a rappelé une autre anecdote.
Voilà à quoi est assimilée toute pensée numérique, même d'une jeune doctorante : une superstition stupide. Mais en réalité, les vrais superstitieux sont ceux qui refusent d'admettre que le numérique ne comporte pas que des aspects positifs.On m’avait rapporté la réponse d’une vieille dame, dans les années 1970, à Calais, à un médecin qui lui conseillait d’emmener ses petits-enfants au bord de la mer pour qu’ils se baignent et soient donc moins sédentaires : “Ah, mais non, pour que les crocodiles y m’les mangent ?”
Beaucoup d'oublis dans cette liste à la Prévert des dérives supposément imaginaires du numérique.Des crocodiles, c’est ça, c’est exactement ça. Chacun a ses crocodiles personnels, chacun a son imaginaire du danger et de la sauvagerie, et pour certains, il y a des crocodiles sur internet, qui dévorent la langue, l’écriture, la sociabilité, la fiabilité et les documents.
La panique, c'est surtout de constater que ceux qui devraient réfléchir à l'éducation des enfants ne le font pas et abdiquent devant le-tout-puissant-numérique-avec-lequel-il-faut-de-toute-façon-vivre.Il existe depuis longtemps des réflexions sur cette “phobie” de l’internet et de la technologie en général, et on a pris l’habitude d’en parler comme d’une “panique morale”, comme le fait Xavier de La Porte dans un billet récent sur le site InternetActu : “Le vrai problème de ceux qui répandent la panique, explique-t-il, est leur conviction que toute ère technologique révolue était l’âge d’or de la civilité et de la contemplation.
Personnellement je m'estime moins numériquement incapable que certains twitteurs... Michel Serres est bon exemple de "numériquement incapable" et de "panique morale".Or, c’est faux”. Cette dimension fantasmatique est également à verser au dossier anthropologique des “numériquement incapables”, dont parle très bien Pierre Marige dans “Numériquement incapables : stigmatisation et acculturation“.
Il ne manquait que la psychanalyse de bazar. Celui qui critique Internet a des problèmes à régler avec lui-même. Effectivement avec tous ces verrous (réactionnaire, raciste, refoulé), la discussion risque bien d'être ouverte.Il y montre clairement comment le sujet fabrique ses propres rejets en les attribuant à l’extérieur, et élabore sa propre stigmatisation en l’intériorisant. Dans mon vocabulaire, et avec des références proches de la psychanalyse, c’est un mécanisme de projection (Mélanie Klein) : j’attribue aux autres l’origine de mes rejets, de mes angoisses, de l’ensemble de mes sentiments négatifs (le prochain billet de la série “Discours de place” y sera d’ailleurs consacré).
Ah en plus les défauts qui n'existent pas du numérique sont de la faute de ceux qui le critiquent.Avec un soupçon de dispositif “cheveux de Münchhausen” (Paul Waztlawick) : pour traverser une rivière, le baron se tire vers le haut avec ses propres cheveux ; ou comment fabriquer soi-même les causes des conséquences dont on se plaint.
Il ne manquait que ça !
L'argumentation de Marie-Anne Paveau est pour l'instant très pauvre. On est plutôt dans l'imprécation, avec ce billetJe ne peux terminer ce billet sans mentionner le débat actuel sur la dangerosité des jeux vidéo, enfin, “débat”, si l’on veut, à partir d’un article crépusculaire de Claire Gallois dans Le Point, intitulé “Permis de tuer”, auquel Yann Leroux a répondu de manière percutante par l’ouverture d’un réjouissant Tumblr Jouer n’est pas tuer, où il se met en scène façon dedipix. Le collectif Merlanfrit.net vient de publier une excellente synthèse de la question, et il faut lire cet intelligent billet d’urgence. On voit donc quel puissant réservoir imaginaire constituent l’internet et la technologie informatique, numérique et électronique en général, et également quelle puissante structure : Anciens vs Modernes, Réel vs Virtuel, jeux éducatifs hors ligne vs Jeux vidéo en ligne, autant de paires binaires qui organisent les discours sociaux et permettent aux individus de produire des argumentations pour justifier leurs positions, surtout quand elles ne peuvent pas être argumentées, justement.
Et voilà : encore une fois, le numérique est réduit à sa permanente et seule potentialité.Que le monde se diversifie, que les univers se multiplient, que les possibilités humaines s’amplifient, et voilà que le rappel à une humanité circonscrite dans le cercle de sa propre pesanteur se transforme en terreur anthropologique.
Je ne sais pas s'il y a des crocodiles en ligne, mais il existe des marigots de la pensée.Vous qui prenez en ce moment même le risque électronique inouï de parcourir les dangereux espaces de l’internet, et même parfois d’y construire des villas, d’y engager des relations et d’y déposer vos trésors, d’y flâner, d’y jouer et d’y voyager, faites attention à vous, et regardez bien où vous marchez. Qui sait, vous pourriez y laisser vos jambes, et votre réalité. À moins que, peut-être, les crocodiles de l’internet, comme celui d’Hérodote en illustration, ne vous transforment en brosse à dents, dans un élan de symbiose… électronique ?
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Cela dit, je doute qu'Internet fasse véritablement du mal à l'orthographe.
Internet révèle simplement des choses qui lui préexistent, comme par exemple, la nullité orthographique et grammaticale de la majorité des gens (je ne m'exclus pas du lot, d'ailleurs).
Typhon
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- Loys
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Mais vous avez vu les copies de mes élèves de troisième ? Quand je parle d'orthographe, c'est de ça que je parle, pas de purisme ou de français académique. On est dans une forme d'illettrisme en fin de scolarité obligatoire.
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Loys écrit: Votre nullité ne m'apparaît pas du tout.
Tout est relatif, bien entendu.
Quand on s'aventure à critiquer l'orthographe des gens sur Internet, on risque toujours de se faire taxer d'hypocrisie car personne n'a une orthographe parfaite.
Mais vous avez vu les copies de mes élèves de troisième ? Quand je parle d'orthographe, c'est de ça que je parle, pas de purisme ou de français académique. On est dans une forme d'illettrisme en fin de scolarité obligatoire.
Ah, je ne conteste pas ce fait, mais je doute qu'Internet en soit la cause.
La coupable, c'est l'école de la république qui n'assure plus sa mission et fabrique des illettrés.
Internet n'est ni une cause, ni un remède à ces problèmes.
Typhon
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- Loys
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Plutôt d'accord, même si Internet a une petite part de responsabilité.Typhon écrit: La coupable, c'est l'école de la république qui n'assure plus sa mission et fabrique des illettrés.
Internet n'est ni une cause, ni un remède à ces problèmes.
Mais, pour le remède, ce n'est pas ce que j'entends...
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- Loys
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PS : Marie-Anne Paveau serait sans doute vexée d'être considérée comme une simple "journaliste". Il y a des limites à l'égalitisme, tout de même !
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- Loys
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J'aimerais bien savoir automatiser un compte Twitter comme ça : j'ai plein d'idées !
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encore un bel exemple de bluff technologique non? Il s'agit en l'occurrence d'un type de discours, fort répandu, qui assure une véritable propagande pour l'utilisation sans discussion des machines et nouvelles technologies. Comme disait le vieux Ellul, on entend bien sous les mots de cette dame "le terrorisme feutré de la technologie" qui s'exprime. On terrorise l'adversaire (on le culpabilise, le disqualifie), à savoir le sceptique voire le rétif au numérique, en le renvoyant au camp des peureux, des ringards, des dépassés du train de la modernité. Bref, ceux qui perdent toujours face à la marche en avant de l'Histoire.Sous entendu: pas de discussion ni de critique possible d'Internet ou autre dispositif numérique. Autrement dit: There is no alternativ. Précisons en effet, comme vous le faites, qu'il faut distinguer l'idéologie numérique (le techno discours véhiculé en général par les médias, la pub, le marketing ou Michel Serres) et la technologie numérique. ce blog critique à l'encontre du tout numérique utilise adroitement la technologie numérique.
Pour ma part, je considère que ce genre de propagandistes de la bonne parole numérique sont de véritables illuminés, qui ne mesurent absolument pas la face obscure (les dégâts, les inutilités, les régressions, les pertes, les ravages même) que signifie cette ère du tout-numérique. prenons un exemple récemment évoqué: l'inutilité et même le caractère contre productif de l'usage de powerpoint dans l'enseignement...
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