Le jeu de loi de Wikipédia
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- Loys
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Simple coquille journalistique du "Monde", ou bien du Ministère, ou encore du Parquet ? Ma langue fourche régulièrement et pourtant je fais bien la distinction (exemple ici ).
Bien sûr, on n'est pas obligé de prendre cette déclaration du Ministère - en forme d'apologie de l'action de la DCRI - pour argent comptant. Mais Rémi Mathis, dans son message sur le BA, reconnaît lui-même l'illégalité de l'article : à lui de nous éclairer sur cette information (la "demande du parquet, sous le contrôle de l'autorité judiciaire").
Je découvre aussi, dans "Le Point" du 10/04/13, cette déclaration d'Emmanuel Roux :
Les informations étaient en ligne depuis 2009. Pourquoi avoir mis tant de temps à réagir ?
La DCRI ne passe pas ses journées à scanner le Web. Des officiers ont constaté l'infraction et ont averti le parquet de Paris. Ce dernier a saisi la DCRI car elle dispose d'une compétence exclusive sur ce type de problème. Après quelques recherches, le parquet a saisi la justice américaine, dans une procédure de coopération judiciaire, pour demander le retrait mondial de la page. Sans succès.
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- Loys
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Où l'on retrouve le combat des gentils libristes bénévoles et forcément bien intentionnés contre une méchante officine de renseignements, aux méthodes crapuleuses et arbitraires. Et la France est désormais menacée d'être comparée à toutes ces affreuses dictatures. Laurent Chemla trouvait les mêmes accents pour défendre l'expression du racisme et de l'homophobie sur Twitter.La France va-t-elle filtrer Wikipédia ?
Bienvenue au club… Selon Emmanuel Roux, le secrétaire national du Syndicat des commissaires de la police nationale, la France pourrait prochainement mettre en place un filtrage de Wikipédia. La nation des droits de l’Homme se retrouverait en charmante compagnie : Chine, Arabie saoudite, Iran, Pakistan, Ouzbékistan…
Pierre-Carl oublie pourtant de dire que les décisions de la justice "du pays des droits de l'Homme" ne sont pas respectées par Wikipédia, qui lui rit même au nez en reproduisant dans une quinzaine de langues l'article dont elle demande la suppression. Faut-il comprendre que l'exercice de la justice, que Pierre-Carl Langlais qualifie de "censure" dans son premier article, s'apparente à une forme de dictature ?
Toujours rappeler que les wikipédiens sont des bénévoles : cela empêche toute critique.En cause ? Toujours cet article sur une petite station militaire du Massif central. La semaine dernière, la DCRI tente d’intimider un administrateur bénévole afin d’obtenir sa suppression. Cette procédure à la légalité douteuse suscite un tollé mondial.
M. Langlais oublie de rappeler que la DCRI a contacté un mois auparavant la Wikimedia Foundation qui a refusé d'accéder à sa demande.
On en arriverait peut-être pas là si Wikipédia (ou plus exactement la WF) respectait la loi française.Comme si il n’y avait pas suffisamment de dégâts, certaines institutions publiques envisagent très sérieusement de demander à des opérateurs téléphoniques d’interdire partiellement l’accès à l’encyclopédie en ligne :
« L’un des moyens juridiques, en France, serait que les différents opérateurs internet reçoivent l’ordre judiciaire de bloquer l’accès aux pages concernées. »
Un ballon d’essai…
Et dans les versions antérieures : la DCRI a demandé la suppression de la page un mois auparavant.Ces réactions hallucinantes sont riches d’enseignements. De toute évidence, la DCRI et la Syndicat de la défense et de la sécurité nationale, qui l’a probablement mandatée, se soucient fort peu du contenu effectif de l’article encyclopédique. Cela expliquerait le relatif flottement sur l’information supposée classifiée. Emmanuel Roux évoque des « taux de résistance de matériaux ». Il suffit de se reporter à la version de l’article au 6 avril, pour s’apercevoir qu’il ne publie rien de tel.
Cette réponse de Pierre Carl Langlais en dit long sur la défense de Wikipédia : pour qu'une page de Wikiépdia ne soit pas illégale, il suffit de se reporter à la version qui ne l'est pas.
En l'occurrence, si les responsabilités n'étaient pas à ce point noyées dans le fonctionnement de Wikipédia, il n'y aurait pas nécessité de faire jurisprudence.Il paraît envisageable d’émettre l’hypothèse suivante, d’ailleurs soutenue par Reporter sans frontière : la DCRI a lancé un ballon d’essai. En se focalisant sur une infrastructure d’importance secondaire et sur des informations déjà divulguées, elle tente de faire jurisprudence. Elle répond sans doute à une demande venue d’en haut : le ministère de l’Intérieur semble suivre le dossier de près.
Imaginons un instant que ces informations ne soient effectivement pas importantes ? Qu'adviendra-t-il le jour où ce sera le cas ? J'ignore si la DCRI avait l'intention de faire jurisprudence mais il serait souhaitable que jurisprudence soit faite puisque Wikipédia refuse d'établir aucune responsabilité légale en France.
Sous contrôle judiciaire, n'importe quel prétexte n'est pas n'importe quel prétexte. Toujours cette obsession de la censure.Plus d’une centaine d’administrateurs de la Wikipédia francophone résident en France. Une quinzaine d’entre eux sont facilement identifiables. Il suffirait de faire pression sur l’un d’entre eux pour obtenir le retrait de n’importe quelle information sous n’importe quel prétexte.
Ce qui est "bien commode", c'est qu'il n'y a pas de responsable de Wikipédia devant la justice française.Bien commode, cette procédure rapide n’est pas conforme à la loi française. Interrogé par le point, le vice-président de Wikimedia France enfonce le clou :
« La LCEN, loi de 2006, prévoit des procédures précises quant aux demandes de suppression d’un contenu. Ces demandes doivent être adressées à l’hébergeur. Le bénévole n’est pas le représentant de l’hébergeur, il n’est pas non plus l’auteur de l’article, il n’y a pas d’éditeur sur Wikipédia. »
Il est évident dans ce cas précis qu'un administrateur avec pouvoir de suppression d'un article est assimilable à un hébergeur. Et sur le lien entre la Wikimedia Foundation et Wikimédia France, nous nous sommes déjà exprimés.
C'est vrai qu'une illustration du sceau du FBI, c'est un vrai enjeu de sécurité nationale.Quand la Wikimedia Foundation se moquait du FBI
L’hébergeur du site, la Wikimedia Foundation, ne se contente pas de menaces. Elle en a déjà vu d’autres. En 2010, le FBI avait déjà tenté de faire supprimer l’illustration d’un de ses emblèmes officiels. L’avocat de la Fondation, Mike Godwin, avait réagi [PDF] au quart de tour :
« Je tiens à vous informer que votre interprétation du statut juridique de l’emblème est non seulement partiale (comme le montre on ne peut plus clairement les distorsions très stratégique que vous faites du vocabulaire juridique) et, ce qui est encore plus important, incorrecte. » Au début de sa réponse, Godwin se félicitait également de la mise en retrait prochaine de son correspondant. Faire de l’esprit sur le dos du FBI : voilà qui n’est pas si commun…
L'anti-France, je ne crois pas.A ceci s’ajoute un climat psychologique assez particulier. Les romans de John le Carré mettaient déjà en évidence la déprime des services secret en temps de paix. La disparition des repères manichéens n’est pas toujours facile à vivre. C’est ce qui ressort des propos d’Emmanuel Roux :
« Il est possible que les Américains soient de mauvaise foi, et qu’ils n’aient pas envie de voir disparaître cette page gênante pour la France. Nous sommes dans un monde en guerre, ne l’oublions pas. »
Paranoïa et folie des grandeurs…
Dans cette optique, Wikipédia serait le site de « l’étranger », voire de l’anti-France.
En tout il ressort bien clairement de cette affaire, comme de celle de Twitter, que c'est la loi américaine qui s'applique en France, n'en déplaise à Pierre-Carl Langlais.
La communauté francophone est une entité indépendante... Il faut finir la phrase : elle n'est pas tenue de respecter la loi française.Elle vise à extorquer des secrets militaires au profit de nos véritables ennemis du moment, les Américains – on se demande à quoi sert l’Otan…
Ces représentations grandiloquentes peinent à se concilier avec la réalité des choses. Jusqu’à nouvel ordre, la communauté francophone est une entité indépendante, composée de Français, de Belges, de Suisses, de Canadiens, de Tunisiens… Elle n’est assujettie à rien ni personne et possède ses propres modalités d’organisation [PDF].
Wikipédia est au-dessus de la loi française.L’hebdomadaire wikipédien The Signpost résume assez bien comment les wikipédiens ont finalement pris la décision de restaurer l’article. Aucun chef ne s’est imposé à un moment donné : il y a eu une délibération de 24 heures avant de se résoudre à cette initiative. J’y étais d’ailleurs initialement opposé avant d’être convaincu par mes collègues.
Les serveurs de Wikipédia sont américains : ce n'est pas une question "d'origine", que je sache, mais un fait. On voudrait nous faire croire au mythe de l'universalisme wikipédien...Enfin, bien que d’origine américaine...
S'attaquer à une disposition envisagée par une partie du congrès, ce n'est pas lutter contre les États-Unis : c'est prendre parti politiquement. Et encore une fois, voici l'aveu que la neutralité de Wikipédia est bel et bien un mythe et qu'elle veut se constituer en force politique, au dessus des lois nationales dans le monde et au dessus de la représentation nationale aux États-Unis. A force de tout confondre, vraies dictatures et pays démocratiques s'évertuant à faire respecter des lois décidées par une représentation nationale, je ne suis pas si sûr que Wikipédia se rende un grand service....Wikipédia a peu de respect pour son pays d’origine. L’année dernière, la communauté anglophone avait lutté victorieusement contre une disposition liberticide du Congrès, le Stop Online Piracy Act. La DCRI n’a peut-être encore rien vu…
Au nom de la lutte contre la dictature et la censure, Wikipédia, qui n'a été élue par personne et qui pratique l'anonymat, fait sa propre loi.
Je note que s'il y a bien une communauté sur Wikipédia, c'est une fondation distincte et sans rapport avec elle qui a in fine le pouvoir décisionnel de supprimer des articles ou de suspendre des administrateurs.
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PS : Le terme de "communauté" de Wikipédia est un abus de langage supplémentaire, la seule "communauté" concrètement identifiable est celle des admins et de leurs courtisans (une centaine de personnes environ) qui font la loi au jour le jour, la censure, la justice, la police, le tout indiférencié, sans règles écrites, à la manière d'une mafia et dans une ambiance sectaire.
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- Loys
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Le terme "communauté", c'est comme les termes "libre" ou "bénévole" : ça intimide.Wikibuster écrit: Le terme de "communauté" de Wikipédia est un abus de langage supplémentaire, la seule "communauté" concrètement identifiable est celle des admins et de leurs courtisans (une centaine de personnes environ) qui font la loi au jour le jour, la censure, la justice, la police, le tout indifférencié, sans règles écrites, à la manière d'une mafia et dans une ambiance sectaire.
Résumons toutes les confusions qui résultent du fonctionnement actuel de Wikipédia :
- un article n'est pas illégal en soi : seule une version de l'article peut éventuellement être illégale. Bonne recherche dans l'historique.
- Wikipédia publie des pages parmi les plus consultées en France mais chacune des pages n'a ni auteur ni éditeur
- La Wikimédia Foundation n'a pas de rapport avec Wikipédia, même si elle reçoit des millions de dollars en dons pour développer l'encyclopédie
- La Wikimedia Foundation n'est pas non plus un éditeur même si elle peut exercer un contrôle éditorial selon son appréciation (gestion des administrateurs, suppression du contenu)
- La Wikimedia Foundation se considère comme simple hébergeur... mais qui n'est pas tenu de respecter la loi français sur l'hébergement puisqu'il est américain.
- Wikimédia France, qui promeut la Wikimedia Foundation et est subventionnée par elle, n'a aucun rapport avec elle
- Wikimédia France n'a aucun rapport avec Wikipédia, même si un certain nombre de ses membres en sont administrateurs avec un pouvoir éditorial.
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- Anonymous
Bien sûr, derrière les internautes doivent aussi respecter les lois de leur propre pays, être sur Internet n'implique pas une non-responsabilité morale lorsqu'on dépose un contenu. Cependant, la restauration de l'article de la station militaire n'était pas illégale étant donné que l'administrateur n'était pas français, mais suisse. Penser qu'Internet, qui un réseau mondial, tout comme Wikipédia qui est un projet mondial, peut être régulé par des lois nationales est une pure utopie étant donné que les lois varient d'un pays à l'autre. Je suis d'accord que le contenu d'Internet doit être régulé, mais cela doit être une loi mondiale, rédigée par l'ensemble des autorités du monde, avec la participation des internautes, et non pas dans leur dos pour protéger des intérêts privés comme les tentatives que nous avons eu ces deux dernières années.
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Petite correction, c'est hallucinant de caricature mais il semble bien que ce soit Wikimedia France qui sur le papier finance Wikimedia Inc. Inutile de dire que devant les tribunaux ce montage juridique à géométrie variable va être très apprécié !Loys écrit: - Wikimédia France, qui promeut la Wikimedia Foundation et est subventionnée par elle, n'a aucun rapport avec elle
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- Loys
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Juraastro écrit: Un truc qui ne peut pas fonctionner est d'exiger à la Wikipédia francophone de respecter la loi française, parce que la version de Wikipédia en langue française n'est pas destinée à la France seule, mais à l'ensemble des francophones. On se retrouverait alors dans une situation où certains contributeurs devrait respecter la loi d'un pays qui n'est pas le leur et dans lequel ils ne vivent pas. Un exemple simple, vous Loys, votre forum est accessible en langue française, donc votre public peut aussi bien être français, que belge, suisse... Trouveriez-vous normal qu'un jour, on demande à votre site de respecter la loi suisse ou belge parce qu'un contenu n'a pas plut aux autorités de ces pays ? Sur Wikipédia c'est pareil. Certes, les contributeurs se doivent de respecter le droit américain, bien qu'ils n'y habitent pas pour la majorité, mais ça c'est parce que le contenu est hébergé aux USA ; respecter la loi du pays dans lequel les serveurs hébergeant votre site se trouvent est une règle universelle pour tout site web.
Vous avez évidemment raison et ce débat a déjà été mené à propos de Twitter. Cet incident ne fait qu'illustrer à sa façon le problème (car de ce point de vue c'en est un) que constitue le web pour la justice de n'importe quel pays démocratique. Si l'on suit votre raisonnement, tout contenu en français sur le web doit par définition échapper à la justice française.
En l'occurrence, ne soyons pas hypocrites : l'article a été créé en français, vraisemblablement par un Français (une recherche d'IP pourrait peut-être le confirmer) au sujet d'une station militaire française : le public visé par l'article est évidemment français. La vidéo dont l'article s'est en partie inspirée est diffusée régionalement. L'article n'est devenu francophone et même international que par la publicité que la DCRI lui a donnée.
En précisant tout de même que les serveurs les plus fréquentés au monde sont américains. Si la règle est de jure universelle, l'application est de facto plutôt américaine.Certes, les contributeurs se doivent de respecter le droit américain, bien qu'ils n'y habitent pas pour la majorité, mais ça c'est parce que le contenu est hébergé aux USA ; respecter la loi du pays dans lequel les serveurs hébergeant votre site se trouvent est une règle universelle pour tout site web.
Bien sûr qu'une régulation nationale d'Internet est utopique, tout autant je pense qu'une sorte de loi mondiale et démocratique.Bien sûr, derrière les internautes doivent aussi respecter les lois de leur propre pays, être sur Internet n'implique pas une non-responsabilité morale lorsqu'on dépose un contenu. Cependant, la restauration de l'article de la station militaire n'était pas illégale étant donné que l'administrateur n'était pas français, mais suisse. Penser qu'Internet, qui un réseau mondial, tout comme Wikipédia qui est un projet mondial, peut être régulé par des lois nationales est une pure utopie étant donné que les lois varient d'un pays à l'autre. Je suis d'accord que le contenu d'Internet doit être régulé, mais cela doit être une loi mondiale, rédigée par l'ensemble des autorités du monde, avec la participation des internautes, et non pas dans leur dos pour protéger des intérêts privés comme les tentatives que nous avons eu ces deux dernières années.
Vous formulez quand même un principe étonnant : quelle est la légitimité démocratique des "internautes" ? de la "communauté" de Wikipédia ? Et - dans les faits - des administrateurs qui se sont réunis pour décider de republier l'article ? Qui sont-ils seulement pour décider de ce qui est légal ou pas ?
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- Loys
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Wikibuster écrit: Petite correction, c'est hallucinant de caricature mais il semble bien que ce soit Wikimedia France qui sur le papier finance Wikimedia Inc. Inutile de dire que devant les tribunaux ce montage juridique à géométrie variable va être très apprécié ! :doc]
Il faudra que vous fassiez un papier là-dessus. Avec des liens.
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- Loys
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Il y aura toujours un pays dans le monde dont la loi ne sera pas française.Juraastro écrit: Bien sûr, derrière les internautes doivent aussi respecter les lois de leur propre pays, être sur Internet n'implique pas une non-responsabilité morale lorsqu'on dépose un contenu. Cependant, la restauration de l'article de la station militaire n'était pas illégale étant donné que l'administrateur n'était pas français, mais suisse.
Avec Wikipédia, comme avec Twitter, nous découvrons que ce pouvions déjà soupçonner : un modèle d'irresponsabilité légale. Pour ne pas dire morale, avec la reproduction dans le monde entier et dans de nombreuses langues d'un article supposé contenir des informations militaires classifiées.
J'attends toujours la suppression de l'article par la Wikimedia Foundation maintenant qu'il est avéré qu'il s'agit d'une demande de la justice française. C'est bien l'aveu, malgré ses dénégations vertueuses, que la Wikimedia Foundation se considère comme non tenue de respecter la loi française.
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