Pourquoi il faut d'urgence autoriser Internet au Bac

Internet au bac

Il est grand temps d'offrir aux élèves du XXIe siècle des examens… connectés !

Qui defend encore le baccalauréat aujourd’hui ? Ce diplôme qui ne diplôme plus mérite davantage un réquisitoire qu’un plaidoyer. Si l’on veut vraiment faire l'apologie de cette poussiéreuse institution républicaine, il est grand temps de la vêtir des habits neufs de la modernité et d’y autoriser enfin… l’usage d’Internet pour tous !

Élèves accablés, enseignants innovants et réformateurs professionnels, réjouissez-vous car au nord de l’Europe se lève une aube nouvelle : le Danemark, ce petit pays du bonheur, vient d’entrer hardiment dans la modernité en autorisant, le premier, les examens connectés.

Applaudissons ce early adopter de l’école du futur, une école qui ne peut être que meilleure puisque le progrès technologique est toujours un progrès humain (il suffit pour s'en convaincre de songer à notre merveilleuse industrie alimentaire moderne).

Oui, le Danemark a raison : le monde a changé, l’école doit changer. Et comment s’opposer au numérique, puisqu’il s’impose à nous de toute façon ? Internet n'est-il pas partout autour de nous ?

Alors, puisque nous n'avons pas le choix, engouffrons-nous au plus vite, et avec enthousiasme encore, dans le sillon tracé par ce pionnier du Far Web.

Faisons fi – en ces temps de crise – des difficultés techniques, matérielles et budgétaires ainsi que des atermoiements moraux que ne manqueront pas de soulever tous les obscurantistes de l'école du passé, de l'école dépassée. L’éducation de nos enfants mérite mieux que ces considérations mesquines : car il est presque certain que la crise actuelle de l’école sera rapidement résolue grâce à sa refondation numérique.

Pour ceux qui en doutent encore, voici quand même les quatre arguments qui doivent nous convaincre de passer le plus vite possible au baccalauréat 2.0.

Comme à la maison

« Quand vous faites un devoir à la maison vous avez accès à Internet. Donc, pourquoi en priver les candidats au bac ? » fait observer avec justesse le Café Pédagogique1. Ce raisonnement est d’ailleurs valable pour bien d’autres choses : un manuel, un dictionnaire, un professeur particulier, le frigidaire, etc.

Il y aura bien sûr des esprits chagrins pour prétendre qu’Internet est rarement utile pour un devoir à la maison, voire que la servitude à Internet pose – en définitive – plus de problèmes qu'Internet n’en résout. Il est vrai que la maîtrise d’une langue étrangère, la résolution d’une équation en mathématiques ou l’explication de texte en philosophie n’ont pas grand chose d’un exercice documentaire. Mais c’est justement tout le problème du baccalauréat actuel.

Pour le commentaire de français par exemple, il est encore nécessaire de lire attentivement un texte, de le comprendre, de procéder à des observations, de les synthétiser, de dégager une problématique, de construire un plan pour y répondre et enfin de rédiger pour mettre en forme une pensée personnelle. Un vrai pensum d’un autre temps, quand Internet offre en quelques secondes des résumés et des commentaires instantanés d’une grande qualité. Nous entrons dans l’ère de la pensée collaborative : dans ces conditions à quoi bon demander aux élèves de développer une pensée propre, quand celle d’un autre fait aussi bien l’affaire ? À quoi bon, d’ailleurs, commenter des œuvres littéraires quand personne ne les lit plus ?

S’il ne fait aucun doute que Google est, à la maison, l’ami des élèves, certains encore ne manqueront pas de faire observer qu’apprentissage et examen sont deux choses distinctes, qu’on apprend pendant l’année et qu’à l’examen on fait la preuve de ce que l’on a appris.

C’est décidément ne rien comprendre aux bouleversements de la révolution numérique !

Il faut aujourd’hui penser l’enseignement et la pédagogie autrement. Nous vivons une révolution copernicienne de la connaissance ! Plus besoin d’apprendre pour savoir, mais simplement d’être connecté. L’instantanéité et la facilité d’accès remplacent avantageusement les longs efforts pénibles que nous devions fournir pour apprendre. Pourquoi connaître les verbes irréguliers anglais puisque les listes sont sur Internet ? Pourquoi même apprendre l’anglais puisqu’il existe de merveilleux outils de traduction automatique ?

Internet nous libère. Grâce à lui l’Humanité pourra enfin sortir des ténèbres de l’ignorance grâce au clavier et à la fibre optique !

Fini la lecture, le par-cœur et le ressassement du passé, vive le copier-coller et la recherche de mots-clefs du futur !

Pourquoi même évaluer puisque tout un chacun, grâce à Internet, non seulement deviendra savant à volonté mais pourra faire l'éclatante démonstration de son talent devant le reste de l'Humanité en ligne ?

Le savoir enfin disponible

Car aujourd’hui l’école n’est bien sûr qu’une sorte d’entonnoir et les élèves, des oies que l’on gave de connaissances aussi ineptes qu’inutiles. Les professeurs n’attendent des élèves qu’une chose : la répétition à l’identique de ce qu’ils ont appris.

Les exercices de raisonnement ont peu à peu disparu du baccalauréat : même en mathématiques, en série scientifique, on propose des QCM sans justification et une question de restitution de connaissances : pour les élèves qui n’auraient pas appris, l’usage de la calculatrice est de toute façon autorisé. En français les qualités d’expression écrite ne sont plus prises en compte et on propose même un sujet d’invention de niveau collège. En latin ou en grec, les élèves ne sont plus évalués sur la capacité à traduire un texte, mais à retraduire des textes déjà étudiés et à réciter leur commentaire. Pire encore : dans certaines disciplines, la restitution de connaissances cède la place à la synthèse de documents : d’une certaine manière on a déjà renoncé à demander aux élèves de savoir.

N’est-il pas évident, pour qui observe cette évolution du baccalauréat, que rédiger, raisonner ou même simplement apprendre ne sont évidemment plus à la portée des élèves d’aujourd’hui ? Il est temps de mettre un terme à cette hypocrisie qui est pour les élèves une source de souffrance permanente, et de leur simplifier la vie, en leur demandant uniquement de savoir utiliser un moteur de recherche.

Car la recherche documentaire, c’est l’avenir.

Avec Internet, la maîtrise de la langue française elle-même devient une formalité, ainsi qu'on peut le constater chaque jour sur Internet. Un élève incapable de traduire un texte en langue étrangère devient – sans effort ! – intelligent en accédant directement… à des traductions en ligne !

Internet au bac

Quant aux vieux exercices canoniques rassis du baccalauréat, qui résistent encore à la technologie moderne, ces épreuves de la supposée pensée complexe qui ont fait souffrir tant de générations d’élèves avant Internet – comme la dissertation, l’explication de texte philosophique ou le commentaire littéraire –, n’est-il pas temps de les abolir une fois pour toutes ? Un exercice qui ne peut s’effectuer sous forme de QCM ou qui ne peut être traité avec Internet n’est-il pas totalement obsolète ?

Quand on y réfléchit bien, le progrès technologique est une formidable opportunité pour faire artificiellement disparaître l’échec scolaire, car il est plus facile de donner aux candidats le diplôme que le niveau en principe requis pour l’obtenir. Profitons donc de cette chance historique : vidons définitivement le baccalauréat de sa substance.

Prouvons à nos enfants que nous les aimons : ne leur demandons plus d’efforts, ne leur imposons plus de souffrances vaines. A la maison, les désirs sont réalisés dans l’instant : n’est-ce pas au tour de l’école de se plier à ce progrès dans l’éducation des enfants ?

À l’école du monde réel

Dans le monde réel, c’est-à-dire le monde du travail (l’école étant par définition un lieu où personne ne travaille), les adultes recourent en permanence à Internet : nous surfons, nous googlons, nous consultons nos mails, nous tchattons, etc.

Il est temps que les élèves puissent enfin prendre modèle sur nous, ainsi que le déclare – non sans un certain génie – le ministre de l'Éducation danois, Bertel Haarder : « Nos examens doivent refléter la vie quotidienne d'une salle de classe, et la vie quotidienne d'une salle de classe est elle-même le reflet de la vie en société »2.

Il a raison : il faut au plus vite mettre un terme à ce cloisonnement aberrant entre le monde des adultes et celui des enfants, à cette distance proprement inhumaine que nous avons toujours instaurée avec eux. Finissons-en avec cette ultime ségrégation sociale et n’ayons pas peur de proclamer que les enfants sont des adultes comme les autres ! Saluons d’ailleurs les louables efforts de nombreux parents pour ressembler à des enfants.

Il est également de notre responsabilité éducative de préparer davantage les élèves au monde du travail en veillant à leur future employabilité, conformément aux besoins fluctuants des entreprises. Quand l’école renoncera enfin à ses chimères d'émancipation, à ses fonctions sociale, civique et républicaine, quand elle remplira enfin et avant tout sa seule fonction économique, les élèves comprendront sa véritable utilité et se réjouiront de venir en classe.

En se mettant à l’heure des nouvelles pratiques adolescentes, l’école deviendra enfin un lieu de consommation comme un autre. Puisque l’élève est un futur consommateur, cultivons chez lui les bons réflexes de consommation. Ainsi le temps de cerveau disponible pourra enfin devenir profitable, même pendant la classe. Et les élèves retrouveront avec bonheur à l’école les mêmes écrans qu’ils ont tant de mal à quitter à la maison.

« Comme on ne va pas les empêcher d’aller sur Internet, il faut l’intégrer dans nos pratique pédagogiques » constate un pédagogue volontariste. De fait, on voit bien qu’exercer une autorité sur des enfants est presque impossible aujourd’hui. Dans ces conditions, comment pourrait-on les instruire puisqu’on ne parvient déjà plus à les éduquer ?

Non, ne conduisons pas nos enfants vers ce qu’ils ne connaissent pas : rassurons-les, réconfortons-les et montrons-leur ce qu’ils connaissent déjà. Smartphones, Facebook, jeux en ligne : confrontons-les au même, à l’identique. Car il ne fait aucun doute que cette moelleuse rencontre de l’élève avec lui-même fera naître en lui la motivation qui lui manque aujourd’hui et – à défaut d’estime –, la reconnaissance pour son professeur.

La fin programmée de la fraude

N’oublions pas, bien sûr, qu’Internet au baccalauréat est la réponse définitive à la fraude technologique, que nous connaissons depuis quelques années en France avec la multiplication des smartphones. Soyons innovants : transformons l’interdiction en obligation ! En y réfléchissant bien, d’ailleurs, on pourrait trouver de nombreuses applications à ce raisonnement imaginatif.

Ainsi plus personne ne fraudera, d'une certaine façon. Ou bien tout le monde fraudera : peu importe au fond, puisque la fraude ne  sera plus le fait de quelques-uns. Ne sera-ce pas là un bel exemple de démocratisation de l’école ?

Internet au bac

Il est vrai que certains s’inquiètent cependant : et si les candidats profitent d’Internet pour tricher autrement, en faisant appel à une aide extérieure par exemple ?

Alors certes nous pourrions – comme au Danemark – interdire toute communication ou échange avec l’extérieur. Mais une telle frilosité n’est-elle pas dérisoire ? Les candidats de demain auront tôt fait de contourner les barrières informatiques que nous serons sans cesse contraints d’inventer. Le hacking n’est-il pas le propre de cette génération de « natifs du numérique » ?

Et au fond une telle interdiction n’est-elle pas inique et contraire à l'esprit d'Internet ? Pourquoi interdire toute communication pendant l’examen, quand l’essence même d’Internet est le partage solidaire et la communication ?

Non, allons plus loin que le Danemark : si nous ouvrons la porte de l’Internet à l’examen, ouvrons-la grande, au lieu de la refermer aussitôt avec toutes sortes de filtres, de contrôles et de prohibitions nouvelles qui – à peine mises en place – seront déjà dépassées.

Nous n’avons de toute façon rien à craindre de ce progrès technologique, pour une raison très simple. L’initiatrice du projet danois n’a-t-elle pas déclaré que les Danois n’étaient pas tricheurs3 ?

Si les Danois ne sont pas tricheurs, pourquoi les Français le seraient-ils ?

Vers un monde sans école

Voyons plus loin que le simple baccalauréat.

Internet au bac, c’est l’occasion non seulement de reformater les examens mais également l’école elle-même.

Aux apprentissages inutiles auxquels l’école astreint les élèves tant bien que mal, préférons la recherche documentaire. Ne cherchons plus à penser, apprenons à trier ! À la vieille culture poussiéreuse des humanités, tournée vers le passé, substituons la culture informationnelle, tournée vers sa propre mise à jour.

À terme, grâce à Internet, toutes les utopies démocratiques rêvées par nos pédagogues les plus visionnaires pourront enfin devenir réalité : la disparition du travail personnel, l’abolition de l’évaluation, du concours et de l’examen, l’orientation choisie, l’égalité et la réussite de tous. La revanche des cancres, en quelque sorte, même s’il est vrai que – avec les étonnants taux actuels de réussite au baccalauréat – il n’y a, de fait, plus de cancres depuis longtemps. Et qu’importe si les ingénieurs des grands groupes technologiques de Palo Alto, au cœur de la Silicon Valley, continuent de confier leurs enfants à des écoles déconnectées. Ou si l’école numérique n’a pas produit les résultats attendus – loin de là – dans certains districts américains défavorisés.

C’est l’e-education qui sera l’étape suivante : après l’examen et le cours connecté, l’examen et le cours en ligne. Dans le supérieur, le futur est déjà là, renvoyant les vieux amphithéâtres au Moyen-âge de l’éducation : l’avenir est à la dématérialisation et aux moocs. Des startups américaines se partagent déjà les parts de ce vaste marché, en proposant des modules de cours achetés à de grandes universités américaines et revendus à prix cassé. L’université en ligne est disponible sur iTunes : téléchargez les cours dans votre lecteur mp3 !

Internet au bac

Mais tout ceci est encore trop timide : à quand l’e-education dans le secondaire ou le primaire ? En maternelle, pourquoi enseigner à écrire à la main comme au Moyen-âge, alors que le clavier est le nouveau paradigme de la vie moderne ?

Il est vrai que certains sceptiques, au nom du pragmatisme, réclament du temps, de la réflexion sur les enjeux du numérique, des études et des statistiques sur les résultats concrets obtenus. Mais ne comprennent-ils pas que le futur est une urgence ? Que l’école est en crise et qu’au point où elle en est, toute solution – même mauvaise – est bonne à prendre ?

Si le World education forum lui-même (en partenariat avec des entreprises aussi sérieuses que Hewlett-Packard, Intel et Microsoft, Cisco et Adobe) nous invite de façon pressante à franchir le seuil de l’école numérique, quelle raison avons-nous de douter encore ?

Suivons l’exemple danois, n'ayons pas peur et osons le futur !

Nous vivons aujourd’hui une période historique. Les pédagogues se sont toujours interrogés sur les outils les plus adaptés pour enseigner. Mais pour la première fois, l’interrogation est renversée : comment adapter l’enseignement à ce nouvel outil, Internet ?

@loysbonod