Recette pour un brevet soigneusement désossé

20150214

La recette du nouveau brevet pour une réussite sans aucune exigence !

Vous n'avez pas donné au collège unique les moyens de réussir et la faillite de l’école est aujourd'hui criante en fin de scolarité obligatoire ?

Vous voulez réformer le collège pour obtenir une réussite scolaire garantie, sans plus aucun lien avec le niveau scolaire des élèves ?

Mais malgré le soutien de deux fidèles syndicats enseignants réformistes, vous craignez, hélas, la réaction hostile des enseignants encore attachée à une vraie réusssite ?

Quelques années seulement sont nécessaires. Pour réformer le collège, comprenez qu'il vous faut désosser préalablement votre brevet.

Voici donc les douze étapes d'une recette totalement imaginaire. Veillez à bien respecter l’ordre et les quantités indiqués.

1. Quelques années à l’avance, faites mijoter dans votre collège un doublon inutile pour l’évaluation : le contrôle continu et terminal d’une part (l’actuel brevet) auquel vous aurez ajouté les centaines d'items du socle commun de compétences d’autre part. L’agacement bien compréhensible des professeurs vous sera utile plus tard pour remplacer l'un par l'autre. Par ailleurs vous aurez veillé à évider le brevet lui-même.

2. Afin d’étourdir la bête, lancez toutes vos préparations simultanément, en profitant de l'apathie des enseignants sous un gouvernement de gauche : réforme des cycles, réforme du statut des enseignants, réforme des rythmes scolaires, suppression du redoublement, réforme de l’évaluation, réforme du brevet, école numérique, enseignement du code informatique, réforme du socle commun, réforme de tous les programmes et in fine réforme du collège. Peu importe si certaines de ces réformes sont vouées à être abandonnées en cours de route : elles permettront de mieux faire passer les autres.

3. Multipliez les instances nouvelles (DNE, CSP, CNESCO), présidées par des adeptes des nouvelles pédagogies, lancez des conférences citoyennes et de grandes consultations tous azimuts (programmes, évaluation, numérique) et délayez ainsi le débat public pendant une année ou deux.

4. Au marché, choisissez bien soigneusement vos « jury citoyens » pour permettre à votre sauce de prendre.

5. Entre-temps, demandez à l'Inspection générale de proposer un nouveau système d'évaluation de la dictée qui facilite grandement l'obtention de la moyenne.

6. Pour donner un peu de piquant à votre plat, procurez-vous un historien, si possible militant et ayant participé à la rédaction de votre programme éducatif, pour relativiser ou même nier la baisse des horaires de français ou du niveau des élèves en orthographe depuis le XIXe siècle. Attention : ce genre d'oiseau est plutôt rare.

7. Vous avez maintenant terminé vos préparations. Saisissez le brevet à vif en supprimant brutalement le contrôle continu, afin de rendre inutiles les évaluations des enseignants pour le brevet.

8. Dépouillez soigneusement les enseignants de leur compétence disciplinaire. Pour ce faire, remplacez les trois épreuves écrites actuelles du brevet par une seule, ne portant plus que sur des « compétences » du socle qui ne seront plus définies nationalement et correspondront à des bribes de disciplines diverses. À ce stade, le français et les mathématiques ne sont plus évalués en tant que tels, ni au contrôle terminal ni au contrôle continu. Avec un peu de chance personne ne s’en rendra compte.

9. Par précaution, compensez cet écrit unique par trois épreuves orales, dont deux correspondent à de nébuleux « projets personnels » (peut-être en groupes, comme les travaux dits « personnels » au lycée). Le brevet sera désormais attribué par un jury interne à chaque collège. Par fantaisie, gardez cependant le nom de brevet.

10. Faites en sorte que la plupart de ces épreuves soient pluridisciplinaires pour contraindre, conformément à leur nouveau statut, les professeurs à travailler en équipes, par compétences et selon une pédagogie de projet qu’ils n’ont pas choisie. De la sorte et avec la mise en place de nouveaux cycles, vous préparez insensiblement vos professeurs à devenir interchangeables comme au lycée (accompagnement personnalisé, travaux personnels encadrés ou enseignements d’exploration) : c'est le premier pas vers une école fondamentale, de six ans à quatorze ans.

11. Avec l'économe, épluchez ce qui reste du redoublement, tout en laissant croire que des solutions sont à l’étude pour le remplacer : le niveau scolaire n’est plus pris en compte pour une orientation au lycée. Dans la foulée, supprimez l’accompagnement éducatif des élèves en difficulté dans la plupart des collèges, tout en proclamant que l'école est une priorité. Assaisonnez avec une pincée de numérique pour les élèves en difficulté.

12. Dans le projet de nouveau socle, noyez par exemple le français dans un domaine appelé « langages pour penser et communiquer » (comprenant également les langues vivantes, les langages scientifiques, ceux des médias, des arts et du corps), lui-même recouvert par deux autres domaines (« méthodes et outils pour apprendre » et « formation de la personne et du citoyen »), afin de retirer toute l'amertume du premier. Touche finale : permettez que l'acquisition de ce domaine ne soit même pas nécessaire pour le passage au lycée, en laissant penser que la maîtrise de la langue (pilier de l'ancien socle) pourra l’être plus tard.

Bravo : vous avez réussi ! Vos professeurs sont assommés, démoralisés ; les disciplines commencent à devenir caduques ; le niveau scolaire catastrophique des élèves n’est presque plus visible. Vous pouvez maintenant maintenir vos concitoyens dans l'illusion d'une réussite pour tous, et ce à moindre coût !

Nota : la même recette, moyennant quelques aménagements, pourra sans doute être appliquée au baccalauréat dans un avenir proche.

@loysbonod

Mise à jour à 16h49 : les cinq domaines du nouveau socle ont été dévoilés la veille.